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Guerre commerciale, plan d’investissement en Allemagne, évolution des taux d’intérêt… Gilles Moëc, chef économiste du groupe Axa et directeur de la recherche d’Axa IM, analyse les conséquences des bouleversements en marche pour notre pays. Il se montre plus inquiet pour les Etats-Unis que pour la France.L’Express : Les premiers mois de 2025 ont été marqués par le plan d’investissement annoncé par l’Allemagne, le projet de réarmement de l’Union européenne (UE), les nouveaux droits de douane imposés par les États-Unis qui posent la question d’une riposte de l’Europe, … Avec quelles implications pour l’économie française ?Gilles Moëc : S’agissant des droits de douane, la France n’est pas au premier rang des pays concernés. Le poids dans le PIB de notre commerce de biens avec les Etats-Unis est en fait assez limité. La France sera en revanche touchée par la “deuxième vague”. Via le choc sur les profits des entreprises françaises, qui ne produisent pas nécessairement en France pour le marché américain, mais dont l’activité mondiale va être affectée. Et puis surtout, via nos exportations à l’intérieur de l’UE, en particulier vers l’Allemagne ou l’Italie, deux pays dont la dépendance aux échanges de biens avec les Etats-Unis est bien supérieure à la nôtre. L’effet sera peut-être un plus long à se matérialiser, mais il finira par être significatif.L’Europe doit-elle montrer les muscles ?Si l’opinion publique semble être favorable à une réponse de l’Europe, sur le plan économique, cela revient à ajouter un choc d’offre à un choc de demande important. Compte tenu de l’ampleur de ce qui a été annoncé par Trump le 2 avril, le choc sur l’économie américaine va être très important. Il ne me paraît donc pas nécessaire de rajouter des mesures de rétorsion lourdes à cette espèce d’auto-punition que s’infligent les Etats-Unis, qui vont très vite en sentir la douleur. On voit déjà depuis deux mois la confiance des ménages se dégrader, la consommation effective décliner…Deuxième point : l’Europe importe peu de biens américains – c’est d’ailleurs bien le problème, du point de vue des Etats-Unis. Et ce qu’on importe, a-t-on vraiment envie de le taxer ? Je pense par exemple au gaz naturel liquéfié. Une telle décision reviendrait à renchérir le coût de notre énergie de substitution de court terme au gaz russe… On peut en revanche poursuivre ce qu’on a fait jusqu’à maintenant, qui me semble judicieux, à savoir essayer de trouver les produits américains qui peuvent avoir un effet de levier politique aux États-Unis, parce qu’ils vont toucher des États clés, sans pour autant, alourdir nos coûts de production. La réponse doit rester ciblée, il ne faut pas rendre coup pour coup.S’agissant des services, le rapport de force change, parce que les grandes entreprises technologiques ont besoin du marché européen. Joe Biden, déjà, était très remonté contre la taxe digitale. C’est là où on peut durcir le ton. Maintenant, rien n’interdit de mettre sur la table la possibilité de riposter, sans nécessairement passer à l’acte. A condition d’avoir l’espoir, derrière, d’être en mesure de négocier avec les Américains.La réponse de Bruxelles doit-elle intervenir rapidement ?Je pense au contraire qu’il ne faut pas se précipiter. A ce titre, l’instrument anti-coercition a été très bien pensé. Il prévoit d’abord un examen par la Commission européenne pour constater les mesures protectionnistes américaines, puis un passage devant le Conseil européen. Et ensuite une négociation. L’implémentation des mesures de rétorsion intervient en dernier ressort. Engageons cette séquence. Et voyons si on peut obtenir quelque chose des Etats-Unis. A mon sens, il sera plus facile de négocier dans deux mois, quand l’inflation américaine sera à 5 % et que la consommation aura dégringolé plutôt que d’essayer d’entrer en confrontation dès maintenant.Pour la France, guerre commerciale et manque de visibilité constituent des défis supplémentaires au rétablissement des finances publiques ?Les taux longs sont repartis à la baisse mais restent à un niveau plus élevé qu’il y a quelques mois. Ma référence, c’est le taux de croissance nominal tendanciel de l’économie française, que l’on peut situer à 3,2 %, dont 2 % d’inflation. Quand les taux passent au-dessus de 3,2 %, techniquement, les conditions de soutenabilité de la dette publique se détériorent. Et l’on oscille ces derniers temps autour de ce seuil.Ramener le déficit à 3 % s’annonce encore plus délicat dans ce nouveau contexte. Le marché est beaucoup moins focalisé sur cette cible car il y a moins d’instabilité politique qu’il y a quelques mois. Les préoccupations actuelles sont des dossiers de politique étrangère, de défense, qui naturellement remettent le président Macron dans le jeu, ce qui rend la politique française plus lisible pour les investisseurs internationaux. Cela explique en partie pourquoi le spread [NDLR : écart de taux d’intérêt] s’était resserré entre la France et l’Allemagne. Notre voisin d’outre-Rhin ne va plus jouer ce rôle de référence disciplinaire : il ne faut pas que cela devienne un prétexte pour se sentir libre de laisser filer la dette. Le marché devrait maintenir une certaine pression.D’autant que la hausse de l’endettement public allemand a une autre conséquence. Leur offre d’obligations souveraines, très demandées pour leur qualité, va augmenter. Il y aura plus de Bund sur le marché, avec un taux de rémunération correct. La demande de titres d’autres signatures souveraines européennes pourrait en pâtir [NDLR : avec pour conséquence une hausse du taux exigé par les investisseurs].Les investissements massifs annoncés par le gouvernement Merz profiteront-ils à la croissance tricolore ?Oui, mais pas tout de suite. Je ne cesse de le répéter : les tarifs, c’est pour aujourd’hui, la relance budgétaire allemande, pour demain. Je ne crois pas qu’on en verra les effets en 2025. Peut-être en 2026. Mais il ne faut pas non plus surestimer l’effet d’entraînement de l’Allemagne sur un pays comme la France. Elle reste notre premier partenaire commercial, et reçoit deux fois plus d’exportations françaises que les Etats-Unis mais nous ne sommes pas une nation industrielle, nous n’allons pas fournir toutes les infrastructures allemandes. En revanche, la bonne nouvelle vient du sous-développement de leur réseau de distribution électrique. La production renouvelable est au Nord et la consommation électrique est au Sud. Or leur réseau n’est pas adapté en conséquence. En France, avec le nucléaire, nos exportations d’électricité vont probablement augmenter. Si l’Allemagne maintient son modèle manufacturier en substituant des dépenses militaires et d’infrastructures à une demande chinoise pour son industrie en déclin, elle aura besoin d’énergie.Dans nos prévisions, nous avons ajouté 0,2 point de croissance à la France en tendanciel, ce qui est à la fois peu et beaucoup au regard du faible rythme actuel. Mais seulement à partir de 2026. En revanche, nous avons doublé notre estimation de la croissance allemande, du fait des investissements massifs annoncés dans les infrastructures, un secteur qui repose essentiellement sur des dépenses domestiques. Au total, cela représente 11,6 % sur 10 ans pour le pays, c’est considérable.



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Author : Muriel Breiman

Publish date : 2025-04-07 17:15:00

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