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Il s’est éteint en pleines célébrations pascales. En douze ans de pontificat, François, premier pape jésuite de l’Histoire, a marqué son temps par ses engagements sociaux et environnementaux. Mais aussi par une ligne souvent jugée contradictoire, oscillant entre ouverture et tradition.Pour L’Express, Jean-François Colosimo, spécialiste de l’histoire des religions et directeur des éditions du Cerf, analyse l’héritage religieux et diplomatique complexe que laisse le chef du Vatican. Un “pape du nouveau monde” qui s’est concentré sur les continents où le christianisme est plus dynamique qu’en Europe, mais qui laisse aussi, au sein des pays occidentaux, une Eglise très divisée entre un “catholicisme identitaire et un catholicisme missionnaire”.À l’approche du conclave, où les cardinaux devront élire un nouveau pape, Jean-François Colosimo décrypte les enjeux de cette succession, entre risque de repli conservateur ou pontificat de transition. Pour lui, “la France a ses chances de peser dans ce conclave”, avec notamment le cardinal Jean-Marc Aveline, désigné parmi les “papabiles” par la presse italienne.L’Express : Quel héritage le pape François laisse-t-il derrière lui ?Jean-François Colosimo : François a mené un pontificat de combat sur tous les fronts. Parmi ses faits d’armes, le plus crucial restera le renversement qu’il a opéré par rapport à ses prédécesseurs immédiats et qui marquera durablement le devenir du catholicisme. Il a inversé le processus de témoignage de l’Église face au monde : en plaçant comme première et prioritaire la « miséricorde » sur l’enseignement ou le jugement, il a véritablement imprimé la volonté d’accueillir et recevoir les individus tels qu’ils sont avant de chercher à leur communiquer l’essence de la vie chrétienne. Loin de n’être qu’une inversion de méthode, cette sorte de mutation spirituelle a fondé les ouvertures concrètes de son pontificat. Cela lui a d’ailleurs valu diverses critiques de la part de l’aile conservatrice parmi les croyants. Au fond, François restera sans doute comme un pape aimé hors de l’Église, controversé en son sein.Et sur le plan politique, que faut-il retenir ?La diplomatie qu’il a développée en tant que chef d’État. Sa ligne a beaucoup tenu à ce que l’on appelle la « théologie du peuple » – la variante argentine de la théologie de la libération, mais récusant le marxisme et privilégiant les pauvres avec une forte attention aux caractères historiques des nations. Encore plus que Jean-Paul II, François, qui était un péroniste de gauche dans sa jeunesse, s’est départi des strates hiérarchiques pour s’adresser non seulement au peuple de Dieu, les catholiques, mais surtout aux peuples tout court. En ce sens, il parlait la langue de l’époque, celle de la réplique des périphéries à la mondialisation.Ses choix stratégiques ont parfois pu donner le sentiment d’une certaine contradiction. D’un côté, une forte ouverture donc, au point d’engager un dialogue interreligieux sans précédent avec l’islam, et d’autoriser la bénédiction l’union de personnes de même sexe sous certaines conditions. Et de l’autre, des positions qui restaient assez traditionnelles sur le plan dogmatique bien sûr, mais aussi doctrinal et moral. Notamment sur le maintien absolu du célibat des prêtres. En fait, François était un libertaire autoritaire. Il y avait chez lui une forme d’injonction à la liberté extrêmement forte, mais telle qu’il la comprenait…Cela ne lui a-t-il jamais porté préjudice ?François aura mené un exercice solitaire du pouvoir, surtout parce qu’il s’est très rapidement aliéné la Curie, l’appareil administratif central du Vatican, qu’il avait fustigé en public dès 2014 lors de ses premiers vœux. C’est d’ailleurs l’un des principaux problèmes qui se posera à son successeur : comment « digérer » ce pontificat protéiforme, clivant, et dont certains chantiers sont restés inachevés ? Conscients de cela, les membres du conclave tâcheront certainement de projeter un pontificat de transition apte à ramener un certain ordre.Le pape François a souvent été qualifié de « pape de gauche ». Était-ce justifié ?Je ne crois pas qu’il soit pertinent de penser le cas de François sous ce prisme. C’est vrai, il a été le seul chef d’État à avoir condamné immédiatement et clairement Donald Trump. Mais ça n’était pas un révolutionnaire pour autant. La priorité donnée aux pauvres du monde entier pendant son exercice était d’ailleurs aussi l’héritage de Vatican II. Ce ressenti est au fond très européen. Ce pape venu de loin était un pape des lointains. Ce que l’Europe, divisée entre son aile conservatrice et progressiste, a vécu comme une forme de tiers-mondisme. De fait, comme nous l’avons vu au fil de ses voyages et déplacements officiels, François préférait se rendre en Mongolie plutôt qu’en France. Car pour lui, l’avenir du catholicisme n’était plus en Europe mais ailleurs. En Chine, il a passé un accord pour que l’Église « patriotique », soumise au Parti et l’Église « silencieuse », fidèle à Rome, ne fassent plus qu’une. Le Vieux Continent est une chose, mais en Amérique latine, en Asie et en Afrique, il laissera le souvenir d’une immense proximité avec les démunis, les vulnérables, les faibles et les persécutés.Reste qu’à l’heure où l’Europe se déchristianise, n’a-t-il pas joué contre les catholiques locaux en la laissant de côté ?François n’est pas responsable de la déchristianisation, ancienne, de l’Europe. Mais son choix vis-à-vis de l’Europe s’explique par deux choses. D’abord, c’était un jésuite : une communauté qui s’est toujours projetée à l’échelle universelle depuis les Grandes Découvertes. Il y avait donc chez lui cet imaginaire de l’inculturation du christianisme, de la traduction de l’Évangile dans d’autres cultures. Ensuite, il a porté un regard au fond pragmatique sur la réalité : la Chine, par exemple, compte quelques dizaines de millions de catholiques pratiquants. L’enjeu était numériquement plus important qu’en Europe. En clair : c’était un pape du nouveau monde.Mais, il est vrai, son attitude militante a aussi cristallisé l’opposition entre un catholicisme identitaire, appelant à se protéger face à un monde jugé agressif et dont le vote a été capté par Donald Trump aux Etats-Unis, et un catholicisme missionnaire allant vers ce nouveau monde. L’épiscopat de l’hémisphère nord est donc divisé entre ces deux tendances alors que le nombre est désormais au sud. François aura été le pape de cette bascule. Reste que la dernière personne reçue en visite officielle par le pape a été J.D. Vance, représentant de ce catholicisme identitaire, populiste et offensif. Ça n’est qu’une image, mais elle est puissante…Ce catholicisme identitaire a-t-il concrètement les moyens de peser dans le conclave qui décidera de son successeur ?C’est un enjeu complexe. François a été à l’origine – c’est d’ailleurs un autre de ses legs – de la réforme de la Curie après l’échec de Benoît XVI. Il a notamment augmenté le nombre de cardinaux électeurs, totalement reconfiguré les profils en nommant des personnalités venant de lieux parfois très périphériques. Mais surtout, contrairement à ses prédécesseurs, il a moins mené une politique d’équilibre des tendances. Comprenez que les cardinaux électeurs qu’il a nommés, huit sur dix, sont présumés majoritairement sur sa ligne – même si on ne les connaît guère et qu’ils ne se connaissent pas entre eux. Tout cela pour vous dire que le conclave à venir est assez peu lisible. Il faudra attendre que le successeur de François soit élu pour pouvoir vérifier quelle était la tendance prédominante.Il ne faut cependant pas sous-estimer les cardinaux électeurs plus conservateurs. En Europe, il existe un candidat naturel : le cardinal de Budapest, Péter Erdó. Certes, d’après les comptages, les cardinaux électeurs européens en faveur de ce choix seraient tout au plus une vingtaine, mais ils ne sont pas les seuls susceptibles de peser dans la balance. L’enjeu se situe aussi du côté des cardinaux d’Asie et d’Afrique, qui n’ont pas de candidat évident. Or l’Afrique, par exemple, est sous la pression des missionnaires évangélistes et islamistes. Il existe une grande résistance aux avancées prônées par François sur les mœurs. On ne sait donc pas comment cette configuration va jouer, mais il y a un risque que les cardinaux électeurs catholiques conservateurs se rejoignent à partir de différentes parties du monde. Mais les Italiens considèrent que l’un des leurs, ou au moins un Européen d’ouverture, ferait un excellent pape de transition.Bien qu’il se soit rendu quelques fois en France durant son pontificat, le pape François n’a jamais visité la cathédrale Notre-Dame de Paris, victime d’un incendie qui avait ému le monde entier. Il s’est aussi souvent montré critique la laïcité à la française, allant jusqu’à dénoncer l’interdiction de signes religieux ostensibles, qu’il jugeait absurdes et plaider pour une « saine laïcité » … Que peut attendre la France de ce conclave ?Je crois que l’on surestime la « dent » que François aurait eue, selon certains, contre la France. Il n’était pas opposé à la laïcité telle que nous la vivons ici mais au laïcisme. C’est lui-même qui a fait Jean-Marc Aveline archevêque de Marseille, puis cardinal. Ce dernier a d’ailleurs été l’homme du dialogue catholique avec l’islam cette dernière décennie, ce qui n’est pas rien. De façon intéressante, la presse italienne le qualifie d’ailleurs de « papabile », ce qui signifie « qui peut être élu pape ». Ça ne veut pas dire que les jeux sont faits. Mais la France a ses chances de peser dans ce conclave, même si elle est plus absente de l’appareil du Vatican qu’auparavant. Quoi qu’il en soit, si Jean-Marc Aveline venait à devenir pape, son exercice ne serait pas forcément plus marqué par une proximité avec la France et même l’Europe. Comme François, il est un personnage du Sud. Ça n’est pas un Parisien…Dans L’Express, le sociologue américain Phil Zuckerman, coauteur de Beyond Doubt, décrivait une vaste sécularisation dans de nombreuses parties du globe. L’Église catholique peut-elle encore jouer un rôle politique à l’échelle mondiale ?Je ne suis pas catholique, mais je ne crois pas à la thèse du déclin du catholicisme. Il reste le premier corps religieux et politique à l’échelle planétaire, avec plus d’un milliard deux cents millions de fidèles. Ensuite, c’est celui dont l’étendue planétaire est la plus vaste. Il n’est pas concentré géographiquement dans une région du monde. A ce titre, le catholicisme dispose donc du meilleur corps diplomatique au monde. Entre toutes les congrégations, les fraternités, les nonciatures, sa caisse de résonnance est mondiale. Pensez que rien que les sœurs qui se trouvent par exemple en Somalie, dans les zones de conflit, rapportent des renseignements que personne ne pourrait obtenir autrement.Enfin, l’Église catholique reste précieuse car elle est fondée sur une relation très forte entre foi et raison. Là où l’évangélisme ou l’islamisme sont fondés sur le règne des émotions. Or l’Église catholique est fondée sur des normes de rationalité commune et une volonté de débattre au-delà des arguments d’autorité, acceptables par le plus grand nombre. Ainsi, même des non-catholiques peuvent penser le monde selon ses principes. Pour moi, l’avenir de l’Église catholique est non seulement indispensable dans un monde de confusion, mais assuré. En dépit des terribles affaires d’abus sexuels, il faut noter que le nombre d’adultes et d’enfants qui se font baptiser ne cesse de grandir d’années en années en France après avoir touché un creux notable. De même que le nombre de mariages religieux ne cesse de croître. Il se pourrait que face aux défis actuels, cette très vieille Église apparaisse comme neuve.



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Author : Alix L’Hospital

Publish date : 2025-04-22 04:15:00

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