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Il existe un gisant parmi tant d’autres au cimetière parisien du Père-Lachaise. Celui-ci est particulier, qui charrie deux histoires, une grande et une populaire, les deux se confondant dans le ciel de l’espoir politique et sentimental.Le gisant de Victor Noir ne ressemble à aucun autre. Il est couché dans une attitude surprenante comme pris sur le vif, son chapeau haut de forme à ses pieds comme s’il venait de tomber à l’instant, comme s’il pouvait se relever et reprendre une promenade momentanément interrompue ! Lorsqu’on lui commanda le gisant du journaliste Victor Noir en 1891, Jules Dalou eut l’idée de le représenter au moment de sa mort, tel qu’il fut découvert, pour accentuer le scandale de son assassinat.Quand le 10 janvier 1870, Victor Noir se présente devant Pierre-Napoléon Bonaparte, cousin de l’empereur Napoléon III, il est le témoin de Pascal Grousset, journaliste républicain, qui, à la suite d’une dispute avec Pierre-Napoléon, est là pour préparer le duel qui réglera l’affaire, le ton monte et le cousin de l’empereur tue Victor Noir d’un coup de pistolet à bout portant. Le scandale de l’abus de pouvoir impérial se confond avec la défense des libertés publiques et Napoléon III décide d’organiser les funérailles loin du centre de Paris en ébullition, préférant Neuilly-sur-Seine. En vain : une foule immense de près de 100 000 personnes se déplace, des républicains, des socialistes, des opposants qui constituent le moment fédérateur de l’antibonapartisme.Un rituel superstitieuxEn 1891, sous la IIIe République, la dépouille de Victor Noir fut transférée au cimetière du Père-Lachaise, devenant un martyr républicain, célébré par Jules Vallès et Louise Michel. Il faut attendre les années 1960 pour que des plus curieux remarquent la protubérance au niveau de l’entrejambe du gisant de Victor Noir, Jules Dalou désirant par cette érection rappeler que le journaliste martyr devait se marier le lendemain de sa mort…La tombe de Victor Noir au Père Lachaise est devenue un objet de superstition en amour.Et voilà que toucher le sexe du gisant devient un rituel superstitieux pour faire revenir un amour perdu, pour d’autres, toucher le bout de ses chaussures rendrait fertile. L’oxydation visible du bronze, attirant l’œil sur l’intimité du gisant, les touristes et Parisiens sacrifiant toujours plus nombreux à ce rituel, poussèrent, pour une obscure raison, les pouvoirs publics à ériger une grille de protection autour de la tombe en 2004, qui n’a pas tenu deux jours face aux protestations. On ne joue pas avec les légendes et l’amour.Prison de la sacralitéQu’un symbole de la République soit devenu une superstition d’amoureux me bouleverse à chaque fois – c’est tout l’esprit français, la révolution et le libertinage, réuni autour de cette dépouille. La pauvre Molly Malone n’a pas eu la même chance à Dublin. Sa sculpture emblématique représente une jeune femme en tenue traditionnelle du XVIIe siècle, qui pousse une charrette remplie de coquillages et de moules – elle était poissonnière le jour – et arbore un décolleté très généreux pour rappeler que, manquant de ressources, elle se prostituait la nuit. Une pratique touristique s’est installée qui consiste à frotter la poitrine de la statue pour porter chance, ce qui a entraîné l’inévitable et visible usure poitrinaire. En réponse, le Dublin City Council a décidé de sensibiliser les visiteurs aux violences sexuelles, car statue ou pas, Molly Malone n’a pas autorisé qu’on lui touche les seins.Victor Noir non plus n’imaginait pas qu’on lui frotterait le sexe pour faire revenir un amoureux ! Qu’il soit nécessaire de sensibiliser aux violences sexuelles, hommes et femmes, d’accord, personne n’est autorisé à toucher qui que ce soit sans son accord, mais sacraliser le corps féminin au point de s’émouvoir de toucher des seins en bronze d’une statue, c’est renvoyer les femmes vers la féodalité où, pour leur “protection”, on les préservait des regards comme de l’extérieur, où, sous prétexte de leur sensibilité et de leur fragilité, on leur interdisait l’espace public. Le corps féminin était alors le lieu sacré de la reproduction mais surtout la propriété des hommes. Militer pour l’émancipation des femmes, c’est aussi et particulièrement les libérer de la prison de la sacralité qui fige leurs corps dans un interdit mortifère.



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Author : Abnousse Shalmani

Publish date : 2025-04-20 10:00:00

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