Toujours occupée par la Russie, la centrale nucléaire de Zaporijia suscite des convoitises. Donald Trump voudrait bien en confier la gestion à une entreprise américaine. Ce serait, selon lui, une manière d’assurer la paix dans cette région de l’Ukraine. Mais depuis que le président des États-Unis a ouvertement évoqué l’idée, la Russie montre les muscles. “Le retour de la centrale dans le giron de l’industrie nucléaire russe est un fait attendu depuis longtemps que la communauté internationale ne peut que reconnaître. Son transfert ou son contrôle par l’Ukraine ou tout autre pays est impossible”, estimait récemment le ministère russe des affaires étrangères. “La Russie redémarrera la centrale nucléaire de Zaporijia dès que les conditions militaires et politiques le permettront”, promet Alexei Likhachev, le patron de Rosatom. Info ou intox ? L’Express passe en revue les différents scénarios possibles avec Dmitry Gorchakov, expert en nucléaire et conseiller de l’ONG Bellona, qui suit de près la situation à Zaporijia et les questions énergétiques russes.L’Express : L’Ukraine ne semble pas avoir son mot à dire sur le futur de la centrale de Zaporijia. Quelles sont les options sur la table ?Dmitry Gorchakov : Il reste de nombreuses inconnues à ce stade. Effectivement, le destin de la centrale ne semble plus être dans les mains de l’Ukraine. Malheureusement, on ne voit pas comment ce pays pourrait reprendre l’installation par la force. Les troupes ukrainiennes combattent vaillamment, mais elles sont en train de perdre le terrain qu’elles avaient gagné dans la région de Koursk. Est-ce que la centrale va tomber dans les mains des Américains ? C’est une possibilité. Mais quelles seraient les conditions et les contreparties d’une telle décision ? Difficile de le savoir. Nous sommes dans un cas de figure qui ne s’est jamais produit avant : celui d’une centrale nucléaire occupée par un pays attaquant !L’Agence internationale de l’énergie atomique, l’AIEA, ne sait d’ailleurs pas comment réagir. Un autre scénario verrait la Russie garder la main sur la centrale de Zaporijia. A mon avis, il s’agit de l’option la plus probable. Les éléments de langage employés par les représentants russes vont dans ce sens. Par ailleurs, Donald Trump ne met pas vraiment la pression sur Vladimir Poutine. Toutefois, une question demeure : que fera le président Russe de cette centrale ?Zaporijia ne pourrait-elle pas alimenter en énergie les territoires pris de force par la Russie ?Pour Vladimir Poutine, il est beaucoup plus intéressant d’être à la table des négociations, de parler avec des chefs d’Etat comme Donald Trump, que de posséder quelques territoires. Certes, la Russie a récemment modifié sa constitution pour inclure dans ses frontières les régions arrachées durant le conflit. Cependant, si le président russe peut se servir de ces prises de guerre pour obtenir quelque chose en échange, il n’hésitera pas. Il s’occupera ensuite d’inventer un storytelling afin de justifier son choix auprès du peuple russe.Souvenez-vous. Au début de la guerre, l’occupation de Zaporijia servait de moyen de pression sur l’Occident. En agitant le risque d’accident nucléaire, la Russie disait au monde : “Attention, ne nous attaquez pas, on peut commettre le pire”. Aujourd’hui, la centrale de Zaporijia pourrait constituer un élément de négociation dans un accord plus large, avec Donald Trump par exemple. En fait, cette installation – la plus grande d’Europe – peut produire six gigawatts d’électricité : c’est énorme. Les territoires situés aux alentours n’ont pas besoin d’autant d’énergie. La centrale reste pour l’heure connectée au réseau ukrainien. Mais le raccordement à la Russie, ainsi que le redémarrage d’un ou deux réacteurs sur site, seraient longs et coûteux en raison de nombreuses difficultés techniques.Quelles sont-elles ?D’abord le combustible. Comme les trois autres centrales nucléaires ukrainiennes construites par les Soviétiques, la centrale de Zaporijia a été cédée à Kiev lorsque l’URSS a été dissoute. L’Ukraine est ensuite devenue une nation indépendante. C’est pourquoi la centrale fonctionne avec deux types d’assemblage de crayons : l’un américain et l’autre russe. Les réacteurs 2 et 6, qui fonctionnent avec le combustible russe, seraient sans doute redémarrés en premier par Moscou, mais dans quel état sont-ils ? On ne peut exclure une mauvaise surprise, étant donné que la centrale ne fonctionne plus depuis l’été dernier. Dans un cas aussi exceptionnel, la Russie serait peut-être obligée d’acheminer du nouveau combustible. Sauf qu’il n’existe pas de voie ferrée reliant la Russie à Zaporijia !Autre difficulté pour la Russie, l’état du système de refroidissement de la centrale. Celui-ci n’est plus opérationnel depuis la destruction du barrage de Kakhovka en 2023. Techniquement, la Russie peut trouver des solutions alternatives. Par exemple, elle pourrait construire un nouveau système alimenté par la rivière Dniepr ou l’un de ses affluents. Mais cela prendrait au minimum plusieurs mois et sans doute plus d’un an.Enfin, la Russie manque de personnel compétent pour opérer la centrale. D’autant que depuis plus de trente ans, l’Ukraine n’a cessé de la moderniser en y intégrant des technologies occidentales, et notamment américaines. On peut imaginer que Rosatom parvienne à trouver suffisamment de personnel pour gérer un réacteur, mais sûrement pas les six.Que peut faire l’AIEA pour réduire les risques d’incident nucléaire ?Malheureusement, pas grand-chose. La centrale est proche de la ligne de front. Chaque jour qui passe génère des risques : un obus qui éclate, un drone qui s’écrase… L’AIEA n’est pas adaptée à ce genre de situation. L’institution manque de ressources, son mandat ne lui donne aucun pouvoir coercitif. Il faut aussi rappeler que la Russie est représentée au sein de l’institution. Comme un symbole de cette impuissance, son dirigeant Rafael Grossi a dû attendre six mois avant de pouvoir se rendre sur les lieux en septembre 2022.Depuis, l’AIEA maintient deux employés à Zaporijia. Cette présence permet d’avoir une source d’informations indépendante et empêche sans doute la Russie de faire tout ce qu’elle veut sur place. Certains se demandent aujourd’hui s’il ne faut pas réformer l’AIEA pour qu’elle gagne en efficacité. Je ne sais pas quelle est la meilleure option. En attendant, attribuer la gestion de la centrale à un seul pays, qu’il s’agisse de l’Ukraine, de la Russie ou des Etats-Unis, aurait au moins le mérite de réduire la probabilité d’un incident nucléaire.
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Author : Sébastien Julian
Publish date : 2025-04-17 15:00:00
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