L’économie et les projets de société n’existent pas séparément l’un de l’autre. Toute analyse du protectionnisme trumpien faite sur le pur angle économique (l’immigration nourrit la croissance, les tarifs douaniers nuisent au PIB…) donne un sentiment aigu d’absurdité. Mais cette approche est assez largement hors sujet. Une analyse pertinente doit intégrer les effets économiques et les projets extra-économiques. L’inefficacité économique est souvent le prix à payer d’un projet idéologique.Il est désormais difficile de douter que l’objectif prioritaire de Trump n’est pas de maximiser le PIB américain ou même les gains en Bourse de ses amis milliardaires. Il veut mener à terme un agenda isolationniste, même si cela coûte de la croissance. Les milieux économiques ne l’avaient pas complètement intégré. Si la Bourse a autant chuté à partir du 4 avril, alors même que la date d’annonce des droits de douane était connue depuis longtemps, c’est bien parce que les investisseurs pensaient encore que Trump ne sacrifierait pas autant les profits des grandes entreprises américaines à son projet idéologique. C’est pourtant le cas.De ce point de vue, dénoncer les transferts de la classe moyenne vers les milliardaires, comme le font de nombreux démocrates, c’est se tromper de cible. Les tarifs douaniers sont pour Trump un élément de retour à une préférence américaine martelée pendant la campagne, au même titre que le démantèlement d’USAID et les promesses de reconduites à la frontière des immigrés clandestins. Certains de ces éléments résonnent aussi dans l’électorat démocrate.Cela veut-il pour autant dire que Trump sacrifie “consciemment” l’efficacité économique sur l’autel des valeurs d’America First ? Ce n’est pas évident car la tension entre économie et valeurs n’est pas entièrement assumée chez lui. Le choc boursier est interprété comme une réaction de court terme : le discours trumpien affirme qu’à moyen terme les Américains en sortiront plus riches. Les économistes sont dans leur rôle quand ils clarifient les coûts économiques des annonces récentes. A une perte d’efficacité à long terme (dont il faut reconnaître qu’on ne sait pas la quantifier précisément) s’ajoute l’incertitude créée chez les entreprises (qui risque de précipiter le pays dans la récession), et le coût d’adaptation des chaînes de valeur, qui s’apparente à une destruction de capital. Par ailleurs, l’industrie est aujourd’hui très largement automatisée, si bien que le grand mouvement de relocalisation sur lequel l’administration compte créera pour l’essentiel des emplois de robots.L’Europe doit penser “stratégique”Face à cette Amérique décomplexée, que doit faire l’Europe ? Une erreur serait d’attendre un “retour à la raison” dans quatre ans ou aux prochaines élections de mi-mandat. Il est bien sûr très plausible que les démocrates reprennent le contrôle de la Chambre des représentants, voire du Sénat, dans deux ans. Mais, à moins d’un renversement, l’électorat semble structurellement favorable au protectionnisme. Il est douteux que le parti démocrate refasse le pari néolibéral des années Clinton et Obama.L’Europe pourrait également être tentée de poursuivre une politique guidée exclusivement par l’efficacité économique. C’est de fait la doctrine historique de la Commission européenne : les tarifs douaniers pénalisent avant tout ceux qui les mettent en place. Ce raisonnement, toutefois, se révèle incomplet, car il néglige les dimensions non-économiques du libre-échange. En devenant trop dépendants de certains Etats, nous leur donnons la possibilité d’influencer nos choix de société, par exemple en pesant sur la réglementation. Nos grands partenaires commerciaux n’hésitent pas à utiliser le commerce international comme levier de négociation pour imposer leur vision du monde. Perdre le contrôle de la production des semi-conducteurs, des médicaments, de l’armement de pointe, peut nous rendre incapables d’élever la voix, dans cette tectonique des grands blocs. Dans ce contexte, l’Europe doit choisir ses partenaires avec soin, et éviter de se mettre à leur merci. Aucun partenaire commercial ne doit devenir incontournable au point de pouvoir exercer une forme de chantage économique sur les Européens. Cela implique de soumettre notre politique commerciale à une logique systématique de diversification des approvisionnements. Et quand cela s’avère impossible, nous devons développer nos propres capacités de production sur le sol européen, quitte à accepter un coût plus élevé. Les économistes rechignent traditionnellement face à cette stratégie, car elle nuit à l’efficacité. Mais l’efficacité n’est pas le seul critère dans le monde qui vient.Si l’Europe veut défendre ses valeurs et demeurer un acteur à part entière sur la scène internationale, elle doit accepter que la souveraineté a un prix : celui de renoncer à une efficacité économique maximale.*Augustin Landier est professeur à HEC et David Thesmar, professeur au Massachusetts Institute of Technology. Ensemble, ils ont écrit Le Prix de nos valeurs (Flammarion, 2022)
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Publish date : 2025-04-08 11:00:00
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