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Le 24 février, alors qu’Emmanuel Macron rencontrait Donald Trump à Washington, la diplomatie américaine opérait un tournant à New York. A l’Assemblée générale de l’ONU, les Etats-Unis s’opposaient à la résolution exigeant le retrait immédiat des troupes russes du territoire ukrainien, reconnaissant l’intégrité de ce dernier et la seule responsabilité de la Russie dans ce conflit. Ce faisant, l’ancien héraut du monde libre se rangeait aux côtés des pires dictatures de la planète. Et pour ne laisser aucun doute, le pays faisait voter le même jour, en Conseil de sécurité, un texte indigent de 83 mots demandant “instamment qu’il soit mis fin au conflit” sans aucune mention des frontières ukrainiennes ni de la culpabilité russe.A en croire les nombreux experts et commentateurs, ce revirement marque un changement d’époque : finies les positions de principes, vive les rapports de force. Retour au réalisme. Et l’Europe, nain militaire et diplomatique, s’en trouverait contrainte de suivre le mouvement imprimé par les géants. Parmi ces voix, il y a celles, sans intérêt, des admirateurs de dictateurs qui font du réalisme l’alibi de leur triste tropisme. On y retrouve de faux géopolitologues, de vrais propagandistes ainsi que quelques hommes politiques désabusés devenus conseillers de pays ennemis. Leur position n’a donc rien d’une surprise. Plus intéressants sont les analystes sincères qui voient dans le retrait l’unique voie vers la paix et affirment qu’un accord même infâmant épargnerait bien des vies. Deux arguments qui méritent d’être étudiés avec sérieux.Le “good deal” de l’Afghanistan…Face à un Donald Trump ne voyant les relations internationales qu’à partir d’une logique transactionnelle, il est vrai que l’Europe ne fait pas le poids. Pas de terres rares, une croissance en berne, une armée éparpillée. Rien à offrir qui ne saurait convaincre les Etats-Unis de s’investir dans un processus de paix où elle n’aurait rien à gagner. A l’inverse, laisser les Etats-Unis négocier directement avec la Russie permettrait d’aboutir à une paix durable, chacun y trouvant son compte… Un “good deal” comme l’affirmait le président américain ? Rappelons que c’est en des termes identiques qu’il évoqua en 2020 l’accord de Doha signé entre les Etats-Unis et les talibans, qui devait permettre un retrait des troupes américaines d’Afghanistan et l’instauration d’une paix durable. Cinq ans plus tard, le pays a sombré. La charia est partout et après avoir été effacées des espaces publics, les femmes y ont perdu le droit de parler. Parce qu’il n’a jamais impliqué la population concernée, le “good deal” n’a bénéficié qu’aux tyrans. Et les mêmes causes produiront les mêmes conséquences en Ukraine. Comme a tenté de l’expliquer à demi-mot Emmanuel Macron, sans reconnaissance préalable de son intégrité territoriale, sans implication du gouvernement ukrainien et sans aval des voisins européens, tout accord de paix est un blanc-seing donné aux assassins.A cet égard, lorsque Bachar el-Assad franchit les “lignes rouges” fixées par Obama, l’absence de conséquences fut interprétée comme une faiblesse qui donna libre cours aux pires atrocités. Et les atermoiements européens face aux actions russes en Géorgie puis en Crimée n’ont pas incité Poutine à coopérer. En vérité, tout le paradoxe de ce genre d’accords c’est qu’ils ne peuvent durer qu’à condition de concerner des nations pacifistes. Chose qui n’inquiète pas les Etats-Unis, enclavés entre deux océans, mais devrait être prise au sérieux par les Européens soucieux d’une véritable paix.Le remède serait pireReste que les Ukrainiens sont exsangues et que chaque jour de guerre charrie son lot de “morts inutiles”. Ce serait donc, à la fin des fins, le désir de sauver des vies qui légitimerait de se ranger à la décision américaine. N’est-ce pas d’ailleurs l’argument ultime, répété ad nauseam par Trump, Musk et Vance ? “Des millions de morts !”. Qu’importe l’exagération, épargner les vies sonne comme une évidence. Et même des concessions insupportables représenteraient un moindre mal. Sauf qu’ici encore, le remède serait pire. La paix à tout prix, au détriment de la souveraineté nationale, de l’état de droit et de la protection de chacun, c’est la promesse de vivre sous le joug d’une dictature. Condamné à perpétuité. Pour qui estime que la vie va au-delà de la simple survie, une telle situation serait intolérable.D’où une alternative tragique à laquelle sont confrontés les Européens. Accepter la paix proposée par Trump. Ce qui reviendrait à renier leurs principes pour sauver des vies. Ou la refuser. Et payer le prix fort pour demeurer fidèles à leur idéal d’une société qui fait de l’individu un absolu. Alternative qui n’en est pas une, puisque l’Europe ne saurait survivre en renonçant à ce qui la constitue. Car contrairement à ce qu’essayent de faire accroire les pacifistes radicaux, prêts à toutes les compromissions, ce qu’il y a de sacré en Europe, ce n’est pas seulement la vie humaine, mais d’abord et avant tout les conditions de son émancipation. Et comme tout sacré, il interdit le sacrilège – envahir un pays souverain, commettre des crimes de guerre et se partager les morceaux – et autorise le sacrifice – combattre tous ceux qui menacent la liberté individuelle et la souveraineté nationale. Raison pour laquelle l’Europe n’a rien à gagner à débuter une guerre mais tout à perdre à ne pas se défendre.Au fond, ce qui le distingue des Etats-Unis de Trump comme de la Russie de Poutine, et ce qu’aucun de ces deux dirigeants ne pourra jamais comprendre, c’est que ce Vieux Continent ne se résume pas à une basse comptabilité où transactions et petits arrangements constituent la base de la diplomatie. L’Europe n’est ni un marché ni une armée mais un idéal, un horizon ; parce qu’il est le berceau et l’avant-garde d’une civilisation particulière où l’humain compte pour tout. Une bénédiction qui est aussi un fardeau car il impose de ne jamais plier face aux négateurs de ses valeurs ; sous peine de disparaître définitivement. D’où une réponse à tous les esprits munichois : accepter une paix négociée sans l’Ukraine et le reste de l’Europe n’est pas la manifestation d’un réalisme mais l’expression d’un nihilisme. Un danger plus mortel que la guerre.*Pierre Bentata est économiste et maître de conférences à la faculté de droit d’Aix-Marseille Université. Il vient de publier La Malédiction du vainqueur (L’Observatoire).



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Publish date : 2025-02-28 11:00:00

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