Un conclave de trois mois entre les partenaires sociaux pour accoucher de propositions qui amenderont la réforme des retraites votée au forceps en 2023. Qu’en sortira-t-il réellement ? Des mesures sur les carrières longues et la pénibilité, sans doute, quelques toilettages cosmétiques, aussi. Mais ceux qui rêvent d’un grand soir sur les retraites – une bascule vers un régime à points ou l’injection d’une dose de capitalisation – resteront probablement sur leur faim. L’économiste Bertrand Martinot, ancien conseiller social de Nicolas Sarkozy et auteur d’une étude pour la Fondapol sur le sujet, défend pourtant la création d’un grand fonds de pension à la française au nom de la justice sociale. Un écueil cependant : la durée que prendrait la bascule dans un tel régime… Pas certain que le projet résiste aux alternances politiques.L’Express : En matière de retraite par capitalisation, la France fait presque figure d’exception. Comment expliquez-vous ce rejet quasi systématique et épidermique des fonds de pension. Le mot est même devenu tabou…Bertrand Martinot J’y vois deux raisons. La première est idéologique. A la gauche du spectre politique, et je dirai même à l’extrême gauche, l’idée selon laquelle les salariés seraient liés au capital et non pas uniquement aux fruits de leur travail, c’est-à-dire les salaires, pose un problème doctrinal. On trouve même des débats féroces sur le sujet au début du XXᵉ siècle, au moment de la discussion parlementaire sur la mise en place d’un système par capitalisation pour la retraite ouvrière et paysanne. Les tenants d’une approche marxiste dure réfutaient totalement l’idée de capitalisation alors même que Jean Jaurès, qui raisonnait en économiste, défendait le contraire. Il avait parfaitement compris le sujet.Il expliquait ainsi que d’un point de vue pragmatique, il fallait que les salariés puissent bénéficier des fruits du capital, ce qui était favorable aux plus modestes. Il s’opposait ainsi à l’extrême gauche de l’époque et à la CGT. C’est, hélas, la voix la plus radicale qui l’a emporté. La deuxième raison est davantage d’ordre culturel, elle est liée au rapport très particulier que les Français entretiennent avec la notion de risque. D’où l’orientation massive de l’épargne des ménages vers des produits comme le Livret A.A leur décharge, l’investissement en Bourse est plus risqué…A court terme. Mais ce n’est pas vrai sur le long terme. Toutes les études montrent que sur une longue période, le taux de rendement du capital investi sur les marchés financiers est supérieur de 2 à 2,5 points au taux de croissance de l’économie. Même Thomas Piketty, que l’on ne peut guère accuser d’être un ultralibéral, le dit dans son livre Le Capital au XXIᵉ siècle. Il le déplore, ce qui n’est pas mon cas. Je pense au contraire que c’est une opportunité et qu’il faut faire en sorte que les salariés puissent en bénéficier !Cette opposition n’est-elle pas un peu hypocrite dans la mesure où une dose de capitalisation existe déjà pour les fonctionnaires ?Oui, c’est l’ERAFP [NDLR : l’Etablissement de retraite additionnelle de la fonction publique] : il s’agit d’un fonds de pension public alimenté par une petite cotisation sur les primes des fonctionnaires. C’est sur la base de ce modèle qu’il faudrait construire un fonds national pour tous les salariés.Vous dites même que le système par répartition est devenu injuste en France…En théorie pure, il n’y a pas de système meilleur qu’un autre. Tout dépend du contexte démographique. Aujourd’hui, en France, le vieillissement de la population fait que d’un point de vue intergénérationnel, le système par répartition est injuste. Mathématiquement, il aboutit à ce que, de génération en génération, les retraites soient moins généreuses. En même temps, un poids de plus en plus important pèse sur les actifs, soit par les hausses de cotisations, soit par l’allongement de la durée travaillée. En tout état de cause, vous allez travailler de plus en plus, gagner de moins en moins, pour avoir une retraite de plus en plus faible. Donc, ce mécanisme conduit à des transferts massifs des jeunes vers les plus âgés. Il est normal que ces transferts existent mais, là, ils sont inéquitables car les jeunes d’aujourd’hui ne bénéficieront jamais de ce dont les retraités actuels jouissent.Le système français est-il vraiment plus généreux que celui de nos voisins européens ?Oui, et il y a plusieurs façons de le mesurer. Premièrement, on peut comparer le taux de remplacement, c’est-à-dire le niveau des pensions relativement aux salaires. La France est dans le top 3 des pays de l’OCDE. Mais il faut ajouter une autre variable. La France est le pays qui a le taux d’espérance de vie à la retraite le plus élevé de l’OCDE. Si vous couplez ces deux indicateurs, vous pouvez affirmer que le système français est le plus généreux des grands pays développés, avec le régime italien. Le revers de la médaille, évidemment, c’est que nous avons aussi les taux de prélèvements les plus élevés. La magie n’existe pas. Tout se paie.Vous affirmez que le système actuel conduit même à perpétuer, voire accroître les inégalités entre les ménages…La France est obnubilée par la question des inégalités. Dans la réalité, les inégalités de revenus après redistribution sont assez faibles. Le problème, ce sont les inégalités de patrimoine, qui ont eu effectivement tendance à s’accroître, sous l’effet notamment de la hausse des prix de l’immobilier qui fait que les patrimoines déjà concentrés au sein d’une part relativement limitée de la population me sont encore plus au fil du temps. Par ailleurs, les cotisations retraite qui amputent les salaires sont tellement importantes que les plus modestes, dont la capacité d’épargne est déjà limitée, n’ont pas les moyens de se constituer un petit pécule. D’une certaine manière, la capitalisation permettrait d’y remédier, de façon forcée.Concrètement, comment pourrait-on aujourd’hui ajouter une dose de capitalisation dans un système déjà très complexe ?Partons de l’objectif : constituer sur un certain nombre d’années un fonds dont les revenus permettraient à terme de payer une partie des pensions. Dans l’étude que j’ai réalisée pour la Fondapol, je pars de l’hypothèse que le pilier capitalisation pourrait représenter, dans plusieurs décennies, un tiers du montant total de la retraite, ce qui correspond à peu près aux retraites complémentaires actuelles. Ce fonds générerait des recettes qui viendraient se substituer en partie aux recettes actuelles du système par répartition, ce qui aurait pour conséquences d’abaisser sensiblement les cotisations tout en consolidant le système. D’après mes simulations, une baisse de 6 à 7 points du taux de prélèvement sur les salaires est possible, ce qui soutiendrait évidemment le pouvoir d’achat. On a donc la possibilité de financer le même niveau de retraite avec, globalement, des prélèvements sur le travail inférieur. Qui peut être contre ?Il y aurait tout de même une période de transition pendant laquelle les Français devraient cotiser deux fois : une première fois pour payer les pensions des retraités actuels et une seconde pour constituer cette fameuse épargne forcée. Leur pouvoir d’achat risque d’en pâtir…Il y a de multiples façons de constituer ce fonds. Et la solution n’est pas forcément de taxer les salaires. On peut imaginer une contribution de l’Etat.Même s’il est déjà très endetté ?Si l’Etat parvient à faire des économies substantielles sur ses dépenses, il peut arriver à dégager des ressources pour abonder ce fonds. Mais il y a une troisième source qui est à mon avis incontournable : les retraités actuels. C’est une rupture totale par rapport aux réformes engagées depuis 1993. Toutes ces réformes ont eu deux lignes directrices : faire travailler les actifs plus longtemps et augmenter les prélèvements. Je pense qu’il faut faire contribuer davantage les retraités. Par exemple, en désindexant pendant plusieurs années les pensions. Une année de gel ders pensions, c‘est entre 4 et 4,5 milliards d’euros d’économies. Cet argent pourrait servir à abonder le fonds de pension national. Cet effort des retraités aurait un grand sens politique, celui de préparer l’avenir.Vous parlez d’une réforme qui s’étalerait sur plusieurs décennies. Compte tenu de la situation inquiétante de nos finances publiques, pouvons-nous attendre ?Ce qui compte pour les retraites, c’est la trajectoire, la solidité et l’équité du système. Ce n’est pas le redressement à trois ans. Par ailleurs, soyons clairs, la capitalisation ne permet pas de résoudre la question du déficit public : l’Etat, les collectivités, mais aussi toute la sphère sociale, doivent absolument faire un effort énorme sur les dépenses. Ce que j’ai essayé de montrer, c’est que nous pouvons optimiser le financement du système de retraite.L’un des arguments en faveur d’une nouvelle réforme des retraites, c’est l’effet sur le taux d’emploi des séniors. Mais est-ce vraiment le bon outil, si les entreprises ne jouent pas le jeu ?Le principal facteur à l’origine de l’augmentation du taux d’emploi des seniors depuis le début des années 2000 est le recul de l’âge légal de la retraite. Une dose de capitalisation permettrait une souplesse dans les choix individuels. Vous pourriez partir plus tôt, mais avec moins de retraite. Inversement, travailler plus longtemps serait beaucoup plus rentable dans un système par capitalisation. Le régime par répartition ne permet pas une telle flexibilité.Vous parliez d’une société française rétive au risque. Comment rassurer les Français sur la gouvernance d’un tel fonds ?Ce sujet est absolument central. Je propose qu’il soit supervisé par les partenaires sociaux, comme l’est aujourd’hui le système de retraite complémentaire Agirc-Arrco. Il faut surtout s’assurer que jamais l’Etat ne pourra piocher dans cette caisse. En clair : piquer l’épargne des Français. Le pouvoir politique a toujours de bonnes raisons de le faire : porter secours à un fleuron national, financer une guerre ou protéger l’économie d’une nouvelle pandémie. C’est pourquoi je propose que ce fonds soit inscrit dans la Constitution. Une partie pourrait être investie dans des entreprises françaises cotées, mais aussi dans des titres non cotés, des start-up éventuellement. Mais pas dans une optique de politique industrielle, simplement dans une logique de rendement. Dans tous les cas, il faudra se prémunir de la voracité d’un Etat potentiellement prédateur !
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Author : Béatrice Mathieu
Publish date : 2025-02-12 15:57:00
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