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A l’aube de son règne, en 2017, le prince héritier saoudien a fait une promesse folle, ne provoquant qu’un haussement d’épaules amusé dans les chancelleries : “Le Moyen-Orient sera l’Europe du XXIe siècle.” Aujourd’hui, ses ambitions ne font plus rire personne. La perspective d’une période de paix inédite qui s’ouvre dans la région, après les cessez-le-feu au Liban, à Gaza et la chute de Bachar el-Assad, offre une opportunité en or à MBS de mettre sa promesse à exécution. Normalisation des relations avec Israël, création d’un Etat palestinien, encadrement de l’Iran, reconstruction des pays dévastés… Le chantier s’annonce immense, mais le jeune prince peut à présent compter sur le retour d’un autre ancien paria, Donald Trump.EPISODE 1 – MBS, l’ambitieux prince saoudien : enquête sur l’homme qui peut changer le Moyen-OrientChapitre III – Trump, une relation en or (et en dollars)Dans sa traversée du désert, MBS doit sa survie à un homme : Donald Trump. Rien de grandiloquent, mais une absence de condamnation qui valait soutien tacite. “En tant que président des Etats-Unis, Trump avait accordé un certain niveau de protection à MBS en coulisses pendant l’affaire Khashoggi, rappelle Christopher Davidson, spécialiste du Golfe à la Durham University au Royaume-Uni. Ce simple geste avait permis au prince héritier de ne pas être évincé du pouvoir malgré son isolement et des contestations de plus en plus fortes en interne.” Le Saoudien ne l’a pas oublié.Lui non plus n’a pas lâché le milliardaire républicain après sa perte de la Maison-Blanche en 2020, notamment par l’intermédiaire de Yasir Al-Rumayyan. Son visage reste inconnu du grand public, pourtant ce Saoudien de 55 ans gère une fortune supérieure à celles d’Elon Musk, Bill Gates et Bernard Arnault réunies. Cet homme d’affaires couve les 1 000 milliards de dollars du Fonds souverain saoudien, l’une des plus importantes plateformes de financement au monde.NEW3839_COVER-OUV-MBS-CARTE-INVESTISSEMENTS.jpgLe week-end suivant la réélection du magnat new-yorkais, Al-Rumayyan se trouvait à ses côtés, avec Elon Musk, au premier rang d’un combat de catch au Madison Square Garden. “Il allait régulièrement jouer au golf club de Trump à Bedminster, dans le New Jersey, ce qui montre que MBS n’a jamais considéré le président américain comme fini et qu’ils ont maintenu une grande complicité”, raconte un homme d’affaires français familier des coulisses du royaume.Photographié avec une casquette “Make America Great Again” à l’été 2022, Al-Rumayyan symbolise le pari réussi de MBS avec Trump. Dès la fin de son mandat, l’Arabie saoudite investit 2 milliards de dollars dans le fonds créé par le gendre de l’ancien président, Jared Kushner. “Les deux dirigeants s’apprécient, mais ils ne se font pas confiance, tempère Christopher Davidson. L’absence de Jared Kushner lors de ce second mandat aura aussi son importance, puisqu’il était le principal intermédiaire entre Trump et MBS.”Après l’investiture américaine, le prince saoudien est le premier dirigeant mondial à recevoir un appel de la Maison-Blanche. Dans la foulée, Trump est interrogé par un journaliste sur une éventuelle visite en Arabie saoudite. “La première fois, [les Saoudiens] avaient promis 450 milliards de dollars d’investissements aux Etats-Unis. S’ils promettent autant ou un peu plus, compte tenu de l’inflation, j’y retourne !” Le lendemain, MBS annonce son intention d’investir 600 milliards de dollars sur le territoire américain. Réponse de Trump : “Il pourrait arrondir à 1 000 milliards.”Un étrange jeu d’enchères dont le New-Yorkais raffole, mais qui a le don d’agacer les Saoudiens. En 2018, pendant une visite à Washington, MBS avait été reçu dans le bureau Ovale avec une carte des Etats-Unis mettant en évidence les régions bénéficiant des 12 milliards de ventes d’armes à l’Arabie saoudite. “C’est une bagatelle pour vous”, avait rigolé Trump, provoquant une colère sourde du prince saoudien selon son entourage, humilié d’être pris pour une vache à lait par le président américain. Leur relation pourrait toutefois changer la face du monde.Donald Trump brandit un tableau avec les ventes d’armes à l’Arabie saoudite lors de sa rencontre avec le prince héritier saoudien Mohammed ben SalmaneChapitre IV – Un continent à conquérirC’est l’un des chapitres les plus rocambolesques de la jeune carrière de MBS. En novembre 2017, il convoque à Riyad le Premier ministre libanais, Saad Hariri, qu’il accuse d’être trop proche de l’Iran. Rien d’inhabituel jusque-là, sauf que le Libanais se retrouve arrêté, malmené et menacé par des hommes de main du prince saoudien. Contraint à la démission, Hariri se retrouve otage plusieurs jours. C’est finalement Emmanuel Macron qui débloquera la situation en invitant officiellement Hariri à se rendre à Paris.Sept ans plus tard, le Liban semble avoir oublié ce kidnapping. Le visage de MBS recouvre des buildings entiers, sur des affiches aux côtés du nouveau président Joseph Aoun. L’Arabie saoudite a fait son grand retour à Beyrouth et, d’après l’Elysée, Riyad prévoit de financer et d’accompagner le renouveau de l’armée libanaise. Depuis 2021, le président français tente personnellement de convaincre MBS de l’intérêt de s’impliquer au pays du Cèdre, enfin débarrassé de la tutelle écrasante du Hezbollah pro-Iran. “Emmanuel Macron se rend compte que l’Arabie saoudite de MBS est incontournable, résume Bertrand Besancenot, ancien ambassadeur de France à Riyad. Le prince héritier a bien l’intention de faire en sorte que, dans ce monde multipolaire qui émerge, l’Arabie saoudite, seul pays arabe du G20, soit un acteur important, autonome et qui défend ses intérêts propres. MBS n’a pas l’attachement sentimental qu’ont son père ou ses aînés pour le Liban. En revanche il sait que Beyrouth constitue un élément d’un arrangement régional.”La déroute de “l’axe iranien” en 2024, avec les revers subis par le Hezbollah au Liban, le Hamas à Gaza et la dynastie Assad en Syrie, offre une opportunité historique à MBS de forger sa place de leader régional. Les nouveaux maîtres de Damas se sont d’ailleurs précipités à Riyad début janvier, et non chez leurs alliés turcs, signe du retour en force des Saoudiens dans la région.3838 geopolitique carte iranImpliquée au Liban, en Syrie et dans les pourparlers à Gaza, l’Arabie saoudite tente aussi d’apaiser les tensions entre Washington et Téhéran, plaidant pour un nouvel accord international sur le nucléaire iranien plutôt que des frappes sur les installations existantes. “Le seul objectif qui importe à MBS aujourd’hui est la réussite de sa Vision 2030, soutient François-Aïssa Touazi. Il est focalisé sur ces dossiers et a compris qu’il était indispensable de stabiliser la région pour attirer des investissements étrangers.”L’admirateur d’Alexandre le Grand ne compte pas s’arrêter là. En tant que leader régional, il vise le graal du monde arabe : la création d’un Etat palestinien. L’unique moyen d’y parvenir sera un accord de paix entre Israël et l’Arabie saoudite, pays protecteur des lieux saints musulmans. En échange, les Saoudiens demandent des garanties de sécurité aux Etats-Unis proches de celles du niveau de l’Otan, mais aussi “un chemin irréversible vers un Etat palestinien”.Une formule suffisamment vague pour aboutir à un accord ? “Si MBS pense que c’est possible, alors il va tenter d’entrer dans les livres d’histoire grâce à la question palestinienne, juge Kristian Coates Ulrichsen. Donald Trump aussi peut penser que cet accord lui ouvrirait la voie vers le prix Nobel de la paix et tout faire pour que le deal aboutisse. La question sera de savoir si, à eux deux, ils peuvent obliger les dirigeants israéliens à faire des concessions indispensables aux Palestiniens. Avec le gouvernement israélien actuel, ce sera difficile.” Un diplomate de la région, fin connaisseur des coulisses de Washington, se montre optimiste. “Trump voudra que ce traité de paix Israël-Arabie saoudite soit perçu comme son seul accomplissement personnel, et non comme le résultat d’un travail entamé par l’administration Biden. Il va prendre plusieurs mois pour le faire aboutir mais nous aurons un accord avant la fin de l’année.”Le prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane, le 16 octobre 2024 à BruxellesChapitre V – Les périls d’un princeDe dîners en réceptions, c’est une anecdote que les dirigeants saoudiens aiment partager. A la fin des années 1960, le chah d’Iran, Reza Pahlavi, avait écrit au roi Fayçal d’Arabie saoudite pour le mettre en garde : il devait suivre son exemple et d’urgence libéraliser son royaume, sous peine d’être renversé par son peuple mécontent. Le roi Fayçal répondit : “Dois-je vous rappeler que vous n’êtes pas le chah de France ? Votre population est musulmane à 90 %, ne l’oubliez pas.” Dix ans plus tard, la révolution faisait tomber Pahlavi pour installer une République islamique. L’Arabie saoudite, elle, aura mis des dizaines d’années à se libéraliser, mais rattrape son retard en un temps record. MBS va-t-il trop vite et trop loin ? Il est le premier à craindre un destin similaire à celui du chah d’Iran.Le prince héritier a fait part de ses peurs à plusieurs membres du Congrès américain : en cas de normalisation avec Israël, il deviendrait la cible n° 1 des islamistes. Dans ces conversations, MBS mentionne Anouar el-Sadate, le président égyptien qui a signé la paix avec l’Etat hébreu en 1979, assassiné au Caire deux ans plus tard. Malgré sa toute-puissance, Ben Salmane ne peut ignorer ses 37 millions de citoyens : dans un sondage effectué en novembre et décembre 2023, dans la foulée du 7 octobre, 95 % des Saoudiens affirmaient que le Hamas n’avait tué aucun civil israélien lors de ces attaques terroristes.Longtemps, le royaume est resté discret sur la guerre à Gaza, préférant la diplomatie en coulisses aux attaques publiques contre Israël. Des militants propalestiniens trop virulents sur les réseaux sociaux ou portant simplement un keffieh dans la rue sont même arrêtés. “En Arabie saoudite, le régime perçoit comme une menace toute forme d’activisme politique et c’est le cas aujourd’hui pour les pro-Palestiniens”, pointe Christopher Davidson. Lors d’une conférence à la Chatham House de Londres, en septembre dernier, le prince Turki Al-Faisal, influent au sein de la famille royale saoudienne, était pris à partie par des membres du public. “Comment ne pas vous étouffer avec votre honte de voir nos frères se faire massacrer sans rien faire ?” s’indignait ainsi un chercheur koweïtien, accusant le gouvernement saoudien de “faire porter le déshonneur à l’ensemble du monde arabe” en restant passif face à Israël.Le 11 novembre, MBS finit par lâcher : devant la Ligue arabe, à Riyad, il dénonce le “génocide” en cours dans la bande de Gaza. “La dernière chose que veut MBS, c’est condamner et critiquer Israël, assure Christopher Davidson. Mais pour des raisons politiques, il n’a pas eu d’autre choix que de faire ces déclarations. C’est ce que souhaitait et attendait tout son peuple.”Mohammed ben Salmane a métamorphosé son royaume en une dizaine d’années mais sa société reste, en majorité, très conservatrice et ancrée dans l’islam wahhabite. Si le prince héritier a fait reculer les prédicateurs religieux les plus extrêmes, il n’a pas pour autant éradiqué le salafisme, une doctrine radicale sur laquelle le royaume s’est fondé pendant des décennies. “MBS a seulement mis les salafistes dans une cage”, estime l’auteur saoudien Ali Shihabi. Un jour, Nicolas Machiavel a écrit : “Il n’y a rien de si difficile ni de si dangereux que d’entreprendre de changer l’ordre des choses.” Nul doute que le prince saoudien, son lecteur, le sait mieux que personne.



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Author : Corentin Pennarguear

Publish date : 2025-01-29 16:00:00

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