L’Express

« C’est aussi une décision politique » : la folle histoire de la participation du breakdance aux JO

La danseuse Sya Dembélé, surnommé Bgirl Syssy, est arrivée en quart de finale aux JO de Paris 2024.




Au pied de l’obélisque de la Concorde, 5800 spectateurs survoltés attendent avec impatience l’arrivée sur scène de Sya Dembélé. Du haut de ses 16 ans, la jeune danseuse française vient de se qualifier, en ce vendredi 9 août, pour les quarts de finale de breakdance aux Jeux olympiques Paris 2024. Après plusieurs rounds durant l’après-midi, durant lesquels elle s’est brillamment imposée face à ses adversaires, B-girl Syssy – son nom de scène, précédé de B-girl pour « breaking girl » -, finit par s’élancer sur le parquet recouvert de lino noir, monté spécialement pour l’occasion au centre de la capitale. Concentrée, elle semble prête à en découdre avec sa concurrente venue du Japon, la double championne du monde Ami Yuasa, surnommée B-girl Ami. L’enjeu est de taille : si elle gagne les trois rounds du battle, l’adolescente décrochera une place pour les demi-finales – un pas de plus vers une éventuelle médaille historique.Acclamée par des spectateurs de tous âges, la danseuse, énergique et agile, se contorsionne, enchaîne les figures au sol, suit parfaitement le rythme de la musique. Pour cette compétition, ses performances sont arbitrées par neuf juges, qui surveillent avec attention l’exécution de chaque mouvement, mais aussi sa créativité, sa technique et sa rythmique. Difficulté supplémentaire : aucune des B-girls ne connaît à l’avance les musiques qui seront mixées par le DJ durant leurs prestations. Surplombant la scène, ce dernier assure une ambiance électrique en enchaînant les morceaux, pendant les trois rounds respectifs des deux concurrentes. À chaque fois que Sya Dembélé touche le sol, les supporters français l’encouragent à grands coups d’applaudissements et de hurlements. Mais rien n’y fait – Ami Yuasa gagne la battle, en l’emportant trois rounds à zéro.Dans le public, Ophélie ne s’arrête pas pour autant d’applaudir. Cette jeune passionnée de danse, qui a choisi d’assister à la finale féminine « pour les grandes chances de médailles de la France », se dit « déjà très heureuse d’en être arrivée là ». « Il y a un niveau incroyable, elle n’a clairement pas démérité. Et surtout, c’est génial qu’on ouvre les JO à d’autres horizons, en proposant du breakdance ! », s’exclame la spectatrice. Celle qui ne regardait plus les Jeux depuis des années s’est laissée séduire par les nouvelles disciplines proposées pour cette édition 2024, et ne semble pas déçue du spectacle : « J’ai découvert des pépites, dont Syssy. Et l’ambiance est tellement incroyable, ça donne vraiment envie de s’intéresser plus au breakdance. J’espère que ce ne sera pas la dernière fois qu’on voit cette compétition aux JO ! ». »C’était une évidence »Pour Ophélie, comme pour les près de 6000 autres spectateurs réunis sous l’obélisque de la Concorde, ce spectacle est rare et inédit. Le breakdance, discipline née dans les rues de New York dans les années 1970, n’avait jusqu’à présent jamais été représenté aux Jeux olympiques. « À la base, c’est une culture qui vient des gangs du quartier du Bronx, qui réglaient une partie de leurs problèmes via des battles de danse », résume le danseur Thomas Ngom, alias B-boy FlowAngel, membre du collectif Break Dance Crew. Le mouvement traverse l’Atlantique, puis est repris par des danseurs français au début des années 1980, qui s’inspirent des mouvements visionnés sur des cassettes VHS qui se passent de main en main. »Ils mettaient pause sur des vidéos de mauvaise qualité filmées au fin fond de certains quartiers des Etats-Unis, puis décortiquaient et reproduisaient mille fois les figures. Il n’y avait pas encore d’écoles de breakdance, pas de professeurs, pas de reconnaissance de cette danse, pas de concours officiels », explique Thomas Ngom. La discipline, pratiquée par une poignée d’initiés, est alors très loin de l’image policée des Jeux olympiques – et les danseurs d’alors n’auraient jamais cru la voir ajoutée au programme d’une telle compétition internationale.Mais au fil du temps, le breakdance se professionnalise partout dans le monde, et un certain nombre de championnats voient le jour. En France, de plus en plus d’écoles de danse proposent des cours de breaking, et des dizaines de collectifs et d’associations forment les futurs breakers. En parallèle, le Comité international olympique (CIO) tente, depuis le début des années 2010, de moderniser son image un brin désuète, en permettant notamment aux pays hôtes de proposer, à chaque olympiade, une série de sports additionnels. Ces disciplines, choisies par les organisateurs et validées par le CIO en fonction de différents critères – parité, coût et complexité d’organisation, engagement des athlètes ou encore sécurité des sportifs -, sont disputées le temps d’une olympiade, sans garantie d’être maintenues aux Jeux suivants. C’est ainsi que le baseball, le softball ou le karaté, largement pratiqués au Japon, ont fait leur retour aux JO de Tokyo en 2021, ou que la boxe féminine a été ajoutée au programme des Jeux de Londres en 2012.Lorsque les organisateurs des JO de Paris étudient les éventuels sports additionnels à sélectionner pour 2024, le choix du breakdance est alors « une évidence », raconte à L’Express Aurélie Merle, directrice des compétitions sportives pour Paris 2024. « Nous voulions des sports en alignement avec l’ADN de ce qu’allait être Paris 2024, qui soient complémentaires avec les disciplines existantes, attractifs pour la jeunesse, praticables par le plus grand nombre, et sortent des cadres traditionnels. L’escalade, le skateboard streetpark, le surf, et bien sûr le breaking répondaient à ces exigences », détaille-t-elle. D’autant que durant les Jeux olympiques de la jeunesse de Buenos Aires de 2018, où le breakdance est représenté pour la première fois, la qualité des prestations des danseurs français et l’attrait des plus jeunes pour la discipline tapent dans l’oeil du Comité d’organisation des JO (COJO). « Il y avait des performances incroyables, cette idée de sport au centre de la ville, praticable simplement en appuyant sur le bouton play de la radio », fait valoir Aurélie Merle. »C’est cool de pouvoir s’ouvrir au monde » »C’est aussi une décision politique, comme tout ce qui touche aux Jeux », souligne Eric Monnin, sociologue du sport et historien, directeur du Centre d’étude et de recherche olympique universitaire. « En proposant le breaking, on se rapproche des concepts d’un sport interculturel, intergénérationnel, plus moderne, ce qui correspond tout à fait à la volonté du CIO depuis le début des années 2010… Sans compter que nous avions de belles chances de médailles dans cette discipline, avec un vivier de sportifs très compétents », explique-t-il. La Fédération nationale de danse (FFD) abonde. « C’est une discipline jeune, populaire, très présente sur les réseaux sociaux, qui ne nécessite pas de grosses infrastructures, exigeante sportivement et qui présente un vrai background culturel, soit tout ce que voulaient le COJO et le CIO », souligne Charles Ferreira, président de la FFD.Pour faire une entrée fracassante dans le monde olympique, le secteur a néanmoins dû s’adapter. Charles Ferreira se souvient encore de l’appel de la Fédération mondiale de danse sportive (World DanseSport federation, WDSF), qui le presse, quelques mois avant les JO de la jeunesse de 2018, d’organiser des sélections officielles françaises pour la compétition. « Il fallait aller très vite, organiser des sélections dans tous les pays… En France, on a dû faire nos sélections en vidéo pour gagner du temps, ce qui était assez singulier », raconte le directeur. Une organisation à la hâte, qui a pourtant porté chance à la France : à Buenos Aires en 2018, le danseur Martin Lejeune décrochera une médaille d’argent. Surtout, le succès des JO de la jeunesse a largement permis de mettre en valeur la discipline partout dans le monde, y compris en France. »On a eu énormément de demandes d’interviews, notamment de médias qui ne nous auraient jamais appelés avant. Mais aussi des demandes institutionnelles pour réaliser des spectacles et des prestations, des demandes d’inscription à nos associations, des demandes d’information sur la discipline… C’est cool de pouvoir s’ouvrir au monde comme ça », commente Thomas Ngom. Pourtant, dans un premier temps, certains danseurs restaient perplexes sur la présence du breakdance aux JO. « Ça été un peu controversé, parce que certains avaient peur que ce ne soit pas vraiment représentatif de la discipline. Mais rien n’a été lissé : on peut concourir sous nos propres blazes [surnoms donnés à chaque danseur, NDLR] et faire tous les mouvements qu’on veut », rassure le danseur.Aurélie Merle confirme : la directrice des compétitions sportives a bien dû essuyer quelques critiques, mais assume pleinement son choix. « Depuis le début, notre projet est audacieux : on a voulu casser les codes, proposer de nouvelles choses, ce qui implique toujours des questionnements ou des interrogations. Mais nous sommes ravis de démontrer que notre choix était le bon », lâche-t-elle. Et pour cause : en ce vendredi 9 août, le stade plein à craquer de la place de la Concorde exulte lorsque Ami Yuasa gagne la première médaille d’or olympique de l’histoire du breakdance, face à la lituanienne Dominika Banevič (Bgirl Nickla) – qui n’a pas démérité. Malgré la défaite des Françaises, le stade est debout, et des drapeaux bleu-blanc-rouge s’agitent dans le soleil couchant. La vraie victoire est pour le breakdance mondial.



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Author : Céline Delbecque

Publish date : 2024-08-10 09:00:46

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