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Tout un symbole. Début septembre, le rapport sur la compétitivité rédigé par Mario Draghi – prédécesseur de Giorgia Meloni à la tête du gouvernement italien – était rendu public. Quelques semaines plus tard, l’Italie devenait le quatrième exportateur mondial, devant le Japon, sur les six premiers mois de l’année. Seuls la Chine, les Etats-Unis et l’Allemagne la devancent désormais. La France, elle, n’en finit plus de reculer au classement et pointe à la septième place. Pire, elle a vu son déficit commercial se creuser de 8,1 milliards d’euros sur le seul mois de septembre, quand son voisin transalpin affichait un insolent excédent de 2,5 milliards d’euros. « Il y a eu une certaine continuité dans la volonté du pays de conquérir cette quatrième place », assure l’entrepreneur Edoardo Secchi, président fondateur du Club Italie-France.Une petite victoire pour la présidente du Conseil des ministres. Le 21 octobre 2022, près d’un mois après sa victoire, elle présentait son premier gouvernement. La première femme de l’histoire à diriger la Botte rebaptise alors le portefeuille du Développement économique en ministère des Entreprises et… du « Made in Italy ». Un parti pris qui ne doit rien au hasard : l’économie transalpine repose beaucoup sur ses exportations en raison, notamment, d’une demande domestique faible. Des échanges destinés en premier lieu à l’Allemagne, aux Etats-Unis, ainsi qu’à deux voisins, la France et la Suisse.Un modèle dans l’ombre de l’AllemagneLe modèle italien a été longtemps sous-estimé, voire méconnu. A tort. « Nous avons toujours eu les yeux rivés vers l’Allemagne, car c’est le leader européen en termes de taille et de densité, même si son industrie souffre aujourd’hui », confirme Olivier Lluansi, professeur au Cnam et auteur de Réindustrialiser. Le défi d’une génération (Les Déviations). L’Italie a pourtant des arguments à faire valoir face à la première économie du Vieux Continent. Sa principale force ? Un tissu industriel hyperconnecté composé à 99 % de petites et moyennes entreprises. En 2022, elle comptait près de 366 000 firmes industrielles, contre moins de 210 000 en France, pour un poids de valeur ajoutée dans le PIB de 23,5 %, selon la Banque mondiale, contre 16,8 % dans l’Hexagone.Ces sociétés, le plus souvent familiales, sont regroupées dans des districts industriels. Agroalimentaire, ameublement, habillement, cuir… Il en existe plus de 140, répartis principalement entre le nord et le centre du pays. « C’est un phénomène unique. Ils se sont formés de manière spontanée grâce aux ouvriers et employés qui ont créé de nouvelles entités à côté de celles dans lesquelles ils travaillaient. Les PME et ETI qui en font partie sont à la fois concurrentes et alliées. C’est une grande force pour l’exportation », souligne Fabrizio Maria Romano, président de l’Institut pour les relations économiques France-Italie. Il arrive parfois qu’une trentaine de TPE collaborent pour répondre à la demande d’un client étranger, pour ensuite se disputer un autre contrat. »Elles ont une capacité à s’adapter très rapidement au changement et ne craignent pas de reconnaître une erreur, quitte à revenir sur une mauvaise décision », affirme Antoine Mangogna, directeur général de l’ETI italienne SAATI, spécialisée dans la fabrication de tissus techniques et de produits chimiques. Installé en Italie depuis 1988, ce dirigeant français n’a jamais songé à revenir dans son pays d’origine. « Comme moi, beaucoup d’expatriés ont attrapé le virus italien, raconte-t-il. Il n’y a pas le même esprit, le même amour du travail qu’ailleurs. » Pour Fabrizio Maria Romano, « l’exportateur italien est plus souple. Parfois, les entreprises françaises ont tendance à vendre un produit qui a déjà été conçu en interne, plutôt que d’essayer de le construire avec le client. »Un Etat moins fort qu’en FranceLe fonctionnement en district serait toutefois difficilement réplicable en France. « On a longtemps présenté en modèle les clusters italiens, qui sont des exemples fantastiques de coopération entre plusieurs PME, sur des thématiques très précises. Mais l’absence d’une culture similaire de collaboration ne permet pas de faire émerger ce schéma chez nous », estime Olivier Lluansi. D’une manière générale, le paysage italien se distingue nettement du nôtre. « Ce pays a un niveau de centralisation politique, économique et historique plus faible que celui de la France. Les régions ont toujours un poids important dans la mise en œuvre de la politique économique. Cela favorise une structure industrielle plus décentralisée », note Charles-Henri Colombier, directeur du pôle conjoncture et perspectives à l’Institut Rexecode.La situation politique semble aujourd’hui stable. Ce ne fut pas toujours le cas… Depuis la crise financière de 2008, huit gouvernements se sont succédé – et plus de 70 depuis 1945. Une inconstance qui a conduit les entreprises à s’organiser par elles-mêmes. « La réussite de l’Italie n’est pas due à l’Etat central. Elle s’explique d’abord par la capacité des entrepreneurs présents dans chaque région à conserver des métiers qui, pour certains, remontent au Moyen Age. Elle tient aussi au maintien de la production sur leur territoire plutôt qu’aux délocalisations », détaille Edoardo Secchi. « L’administration n’est pas capable de lancer des grands travaux et de prendre des décisions rapides. Alors, les entreprises se débrouillent », abonde Denis Delespaul, président de la chambre de commerce et d’industrie France-Italie. Le pays a tout de même su se relever de la crise des dettes souveraines, au début des années 2010. « Il faut mettre une partie de ce redressement au crédit des réformes structurelles prises à ce moment-là. C’est parfois douloureux, mais cela paie », juge Olivier Redoulès, directeur des études chez Rexecode.Un savoir-faire reconnuPour rayonner à l’étranger, les PME et ETI s’appuient sur un savoir-faire reconnu, notamment dans les pièces mécaniques, mais pas seulement. La pharmaceutique, l’automobile et l’agroalimentaire sont particulièrement porteurs. Les petites structures bénéficient de l’aura de grandes entreprises exportatrices comme Barilla, Ferrero ou EssilorLuxottica. « L’Italie est extrêmement bien intégrée dans les chaînes de valeur comme fournisseur de produits intermédiaires. Son rôle a pris encore plus d’importance quand il y a eu des problèmes d’approvisionnement, au moment de la pandémie de Covid-19 », remarque Cristina Mitaritonna, économiste au Centre d’études prospectives et d’informations internationales.Il n’est pas rare de croiser une machine italienne dans les usines européennes… même en Allemagne, pourtant pionnière du genre. Surtout, l’industrie italienne a su opérer ces dernières années une montée en gamme spectaculaire. « Le fruit d’une vraie politique d’amélioration de la qualité des produits », certifie Olivier Lluansi. Sans compter le travail de promotion animé par la diaspora. « Les Italiens qui vivent à l’étranger sont des petits ambassadeurs. Ils arrivent à propager l’intérêt du made in Italy et à créer du réseau », illustre Edoardo Secchi.Le tableau, enviable, présente toutefois quelques ombres. A mesure que la population italienne continue de vieillir – plus rapidement que dans les autres pays de l’Union européenne -, la transmission générationnelle tourne au casse-tête. L’Italie, comme l’Allemagne, a vu le coût de l’énergie monter en flèche avec la guerre en Ukraine. Un boulet pour la compétitivité de son industrie. A force, enfin, de se reposer sur ce secteur, l’économie italienne passe à côté d’autres segments prometteurs. « En dehors de la manufacture, il y a un déficit de compétences. Très peu de gens sont aujourd’hui formés aux métiers d’avenir comme ceux liés à l’intelligence artificielle », regrette Edoardo Secchi. Une carence préoccupante, d’autant que cette technologie se diffuse partout, y compris dans l’industrie.
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Author : Thibault Marotte
Publish date : 2024-11-17 08:00:00
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