Dans une société démocratique régie par le droit, la justice est censée reposer sur deux piliers : l’égalité de traitement et la proportionnalité des sanctions. Or, un étrange déséquilibre s’installe progressivement dans notre pays. D’un côté, des citoyens ordinaires sont lourdement sanctionnés pour des fautes mineures : une erreur dans un formulaire Cerfa, un ticket de stationnement mal apposé, un oubli de déclaration dans une procédure kafkaïenne. Tandis que d’autres, ayant commis des infractions plus lourdes – violences, fraudes, détournements –, échappent à la rigueur judiciaire ou bénéficient d’une indulgence difficilement justifiable. Appelons “syndrome du déplacement normatif” cette attitude à travers laquelle l’autorité s’exerce avec sévérité sur des aspects secondaires tandis qu’elle fait preuve de laxisme sur les enjeux fondamentaux.Cette étrange pathologie, celle d’un pouvoir qui se montre intransigeant là où il serait possible d’être souple, et étonnamment permissif là où il faudrait être ferme, traverse la société française dans son ensemble. Prenons l’éducation. Nous sommes dans une ère où l’enfant peut être sanctionné pour avoir mâché un chewing-gum mais protégé pour en avoir persécuté un autre. Le carnet oublié pèse plus lourd que l’insulte humiliante. L’oubli ou le chewing-gum sont répertoriables et justifiables. L’insulte ou les intimidations demandent, elles, une prise de position. Elles obligent à dire ce qui est inacceptable, à se responsabiliser. Trop risqué pour les pleutres. Il en résulte une confusion morale : l’échelle des valeurs se dissout dans une soupe de micro-règles, la hiérarchie des fautes devient floue et la colonne vertébrale morale des enfants chancelante.Le même syndrome gangrène le monde du travail. On traque le moindre écart de procédure tout en étant complaisants sur des comportements humiliants. Le formulaire “diversité et inclusion” annuel doit être rempli en police helvetica 11 mais pas 12, et par ailleurs on renouvelle pour la dixième fois le CDD de l’employé qui aurait tant besoin d’un CDI. La justice, mais aussi l’ensemble de la vie dans la cité cèdent à ce syndrome. On peut être lourdement sanctionné pour un excès de vitesse minime, une erreur administrative bénigne. Mais des actes plus graves – violences, agressions, menaces – donnent lieu à des aménagements. Pendant qu’on surveille la bonne tenue des déchets dans des poubelles jaunes ou vertes, on laisse les zones grises du pays sombrer dans le clair-obscur de l’impunité. Il suffit enfin de prendre l’avion pour faire de tout citoyen un contrebandier présumé, sommé de vider son sac avec la soumission inquiète d’un pénitent. Le détenteur d’un tube de dentifrice trop dodu devient presque aussi suspect qu’un passager sous OQTF qui ne veut pas prendre l’avion.Un retour au sens de l’ordreAinsi, la France donne l’impression d’une société où l’on applique avec minutie des normes dérisoires, tout en abandonnant l’essentiel à la contingence. Si nous en sommes arrivés là, c’est que le bénéfice de cette attitude est double : éprouver pour les pouvoirs en question un sentiment d’efficacité malgré leur impuissance sur l’essentiel. Et tout cela dans la facilité : faire comme si tout était important, pour ne rien affronter de ce qui l’est vraiment. Il est tellement plus simple d’imposer un protocole que de poser une limite. Le pouvoir en France devient paradoxalement à la fois hypertrophié et impuissant. Il faut donc renverser le paradoxe : devenir intransigeants sur certains principes et relâchés sur les détails, souples sur les formes, tolérants sur les apparences, généreux dans les écarts. Loin du rigorisme sans esprit, il s’agit de retrouver une autorité intelligente, qui tranche quand il faut, mais qui ne s’abaisse pas à persécuter le quotidien.Il ne s’agit pas seulement d’un retour à l’ordre, mais d’un retour au sens de l’ordre. Celui qui distingue le grave du secondaire. Celui qui ne se cache pas derrière des règlements pour fuir ses responsabilités. Car une société qui applique aveuglément des normes absurdes tout en négligeant la protection de ses citoyens finit par trahir l’idéal démocratique qu’elle prétend incarner.* Julia de Funès est docteur en philosophie.
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Author : Julia De Funès
Publish date : 2025-04-28 09:30:00
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