La force d’une image peut nourrir bien des spéculations. En voici une : le 20 avril, vingt-quatre heures avant la mort du pape François, ce dernier recevait le vice-président américain J.D. Vance à Rome. Le choc de deux catholicismes, alors même que les points de tension entre Washington et le Vatican sont multiples. Le lendemain, le souverain pontife s’éteignait en pleines célébrations pascales.Depuis, les questions concernant l’agenda de l’administration Trump vis-à-vis de l’Eglise catholique s’amoncellent. Parmi celles-ci : quel impact l’imprévisible président américain pourrait-il avoir, à la fois sur le choix du futur pape, mais aussi sur l’avenir des institutions catholiques ? Pour L’Express, Massimo Faggioli, professeur de théologie et d’études religieuses à l’université de Villanova (Pennsylvanie) qui, dès le premier mandat de Donald Trump, jugeait “naïf de penser que l’état des affaires internationales n’influencera pas les cardinaux lorsqu’ils se réuniront pour élire le successeur de François”, fait le point sur la situation.Selon lui, “malgré la complexité du contexte géopolitique actuel, le changement le plus inquiétant pour l’Eglise catholique reste le retour de Donald Trump”. Pour le Vatican, l’enjeu est double : “trouver un candidat qui saura adresser les problèmes d’aujourd’hui tout en faisant consensus”. Mais la tâche s’annonce complexe, prévient le spécialiste.L’Express : En 2016, lors du premier mandat de Donald Trump, vous écriviez déjà qu’”il serait naïf de penser que l’état des affaires internationales n’influencera pas les cardinaux lorsqu’ils se réuniront pour élire le successeur de François”. A l’heure d’une deuxième administration Trump, comment la situation géopolitique est-elle susceptible d’affecter le choix des cardinaux électeurs ?Massimo Faggioli : Sur le papier, beaucoup de choses ont changé par rapport à 2016. Il y a eu la guerre en Ukraine, qui est toujours en cours. Une autre a commencé à Gaza. Mais malgré la complexité du contexte géopolitique actuel, le changement le plus inquiétant pour l’Eglise catholique reste le retour de Donald Trump et le fait que nous ne savons pas où va l’Amérique. Au siècle dernier, le Vatican pouvait compter sur le fait que les Etats-Unis étaient une démocratie, un grand pays occidental qui se situait d’un certain côté de la barrière. Mais aujourd’hui, nous ne pouvons plus en être sûrs. Entre le président américain et l’Eglise catholique américaine, la relation est très incertaine. Or les universités pontificales dépendent de plus en plus de l’argent américain.Le flou qui plane autour des ambitions du président américain fait craindre des effets très négatifs sur la capacité de l’Eglise à fonctionner correctement en Amérique et même au-delà – car l’argent américain aide de nombreuses églises locales dans le monde. Le conclave va donc devoir prendre en compte de nombreux critères pour faire son choix, parmi lesquels le facteur Trump, qui reste le plus instable.Mais concrètement, comment Donald Trump est-il susceptible d’influencer le choix de ce conclave ?Il est possible que certains cardinaux notamment issus de pays pauvres réalisent, si ça n’était pas déjà le cas, que l’administration Trump sera sans doute synonyme à l’avenir d’une baisse de l’aide financière américaine. Cela pourrait donc les pousser à faire le choix d’un candidat qui serait jugé capable de dire les choses en face à Donald Trump, car il y a maintenant urgence. En 1978, le conclave s’était déroulé alors que le rideau de fer séparait l’Est de l’Ouest. L’urgence était le communisme. Jean-Paul II était ainsi devenu le pape de la guerre froide. En 2005, dans le monde de l’après 11 septembre, ce fut Benoît XVI. Aujourd’hui, une des urgences que devra gérer le prochain pape est Donald Trump.Le pape François était un féroce contempteur de la politique de Donald Trump, dont il avait décrit la politique migratoire comme un “programme d’expulsions massives”. Le président américain va-t-il tenter de tirer profit de sa disparition ?Pour Donald Trump, la ligne du pape François représente tout ce qu’il abhorre. C’est le passé. A la fois, Donald Trump ne pense qu’à Donald Trump. Il ne se rendra aux funérailles de François que pour vernir son image. Ça n’est ni par respect pour lui, ni pour l’Eglise catholique. Ce que le pape François a pu lui dire, ou dire de lui, ainsi que sa conversation avec J.D. Vance, son dernier visiteur avant sa mort, n’aura sans doute pas de conséquences sur les politiques de Trump. L’inverse, cependant, est très probable. Car le trumpisme catholique version J.D. Vance se fonde en partie sur l’idéologie de la loi et de l’ordre au nom d’une morale traditionnelle, et le fait de vouloir démanteler les institutions, y compris catholiques.Il aurait été facile d’expliquer que le pape était trop malade pour rencontrer J.D. Vance. Fallait-il prendre cette entrevue comme une main tendue à l’administration Trump ?C’était un message d’ouverture tout court : un rappel que le pape et le Vatican parlent avec toutes les personnes dont les décisions peuvent affecter l’Eglise et le monde en général. A mes yeux, cette rencontre était une bonne idée car après, J.D. Vance a rencontré les responsables de l’action et de la diplomatie du Vatican. L’échange a été substantiel ! Autrement dit, il ne s’agissait pas seulement d’une séance photos entre le pape et le vice-président. Et c’est tant mieux, car je le redis : avec Trump au pouvoir, la liste des questions qui nécessitent un dialogue entre le Vatican et Washington s’est allongée.Au-delà de Donald Trump, de nombreuses démocraties libérales et catholiques sont en crise. Comment cela peut-il affecter cette élection ?L’une des questions que devra se poser ce conclave sera de savoir si le catholicisme peut rester silencieux sur l’avenir de la démocratie libérale – au sens de respect des droits fondamentaux, de l’État de droit, de liberté de la presse. Une question cruciale car nous tenons pour acquis que le catholicisme peut travailler, opérer et évangéliser partout. C’est faux. Sans système démocratique, l’Eglise ne peut pas fonctionner correctement. Et la lecture de ce problème n’est pas la même selon que l’on se trouve en Europe, en Asie ou en Afrique. Je pense donc que le conclave prendra soin d’élire quelqu’un qui soit capable de comprendre tout cela et d’apporter une juste réponse à cette situation. D’autant que cette crise des démocraties est plus prégnante que jamais au XXIe siècle.Quel qu’il soit, le successeur de François s’inscrira-t-il, selon vous, dans la continuité de son héritage, ou faut-il s’attendre à une rupture de ligne ?C’est difficile à dire. Même si les cardinaux électeurs choisissent un profil qui voudrait faire machine arrière sur les politiques de François, ça ne sera jamais dit comme tel. Évidemment, chaque pape choisit un certain degré de continuité et de rupture. Mais dans les faits on dira toujours qu’il s’inscrit dans la continuité de son prédécesseur.Récemment, vous jugiez que ce conclave serait “un test pour l’Eglise institutionnelle à une époque de crise des institutions”, notamment dans le cadre du scandale des abus sexuels dans l’Eglise. Qu’entendiez-vous par là ?Je parlais de sa résilience. Le conclave est une institution ancienne, érigée entre le XIe et le XIIIe siècle. Certains le jugent archaïque, notamment car les règles de participation sont très strictes : les cardinaux électeurs doivent avoir moins de 80 ans, être des hommes, célibataires, choisis par les précédents papes, et tout ce qui se dit durant ce moment reste secret jusqu’à ce que la décision soit annoncée publiquement.Une élection au Vatican n’est pas plus à l’abri des maux de l’époque qu’une autreOr cet événement va se tenir à une époque d’intense polarisation de la société et d’érosion de la confiance en les institutions. Le tout, alors que les moyens d’influencer une élection se sont décuplés. En un tweet, un scrutin peut se retrouver discrédité. Une élection au Vatican n’est pas plus à l’abri des maux de l’époque qu’une autre. Se pose donc la question du crédit qui sera apporté au choix des cardinaux. C’est l’un des enjeux majeurs du moment : trouver un candidat qui saura adresser les problèmes d’aujourd’hui tout en faisant consensus.A une époque marquée par une importante sécularisation, l’Eglise catholique peut-elle encore jouer un rôle politique à l’échelle mondiale ?C’est encore le cas dans de nombreux pays ! Il n’y a rien sur la scène mondiale qui soit comparable au Vatican, et au travail que l’Eglise catholique accomplit dans le monde entier. Le tout, alors qu’elle n’a pas d’armée et qu’elle ne dispose pas des outils étatiques classiques. Sa force, c’est qu’elle peut envoyer des messages puissants, en paroles ou en actes, sur lesquels de nombreuses personnes comptent quotidiennement pour vivre. Oui, ça n’est pas un empire. Le Vatican n’est pas infaillible. Mais il est clair que c’est la meilleure voix discordante dont nous disposions pour lutter pacifiquement contre le nouveau visage impitoyable de notre politique, dont l’une des manifestations est Donald Trump.Quel profil vous semble le plus susceptible d’émerger de ce conclave ?Plusieurs facteurs rentrent en jeu : leur nationalité, leur âge, leur orientation théologique, par qui ont-ils été initiés, viennent-ils de zones périphériques… Nous ne pouvons pas spéculer sérieusement à ce stade. Il faudra attendre de voir l’évolution de la conversation du conclave dans les prochains jours, au sein des institutions de l’Eglise et ce qui ressortira dans la presse, pour faire des hypothèses. Mais le choix du pape est toujours un mélange de théologie et de politique. Et même si le candidat retenu s’annonçait plus spirituel que politique, cela ne préjugerait pas de la suite. Le pape François avait prononcé un discours très spirituel lors du conclave qui l’a choisi. Sa papauté s’est pourtant révélée très politique.L’une des grandes questions du moment concerne toutefois le poids que pourraient avoir les cardinaux les plus conservateurs dans ce conclave…C’est une question difficile. Le pape François a fait beaucoup de vagues en Amérique. Il a opéré de nombreux changements au cours de son exercice. Il est clair que certains de ceux qui n’ont pas été satisfaits de sa papauté rechercheront un profil plus institutionnel. Mais paradoxalement, un profil jugé plus “classique” pourrait justement faciliter la poursuite de certaines des politiques de François car, comme je vous le disais, la continuité est privilégiée.
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Author : Alix L’Hospital
Publish date : 2025-04-25 03:45:00
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