Depuis l’investiture de Donald Trump, Julien Sage s’interroge : “Faudra-t-il un jour quitter les Etats-Unis ?”. Comme de nombreux scientifiques installés sur le territoire américain, ce professeur français de cancérologie et de génétique à l’université Stanford a vu une partie de ses fonds académiques supprimés ou suspendus. Certains mots comme “handicap”, “historiquement” ou même “femme” ont été bannis par l’administration Trump et ne peuvent plus figurer dans ses projets de recherche. Des contraintes et une atmosphère “anxiogène”, qui le poussent à envisager de plier bagage.La même question taraude de nombreux chercheurs outre-Atlantique. Pas de chiffres officiels, mais un sondage publié par la revue Nature le 27 mars montre que, sur 1 600 scientifiques interrogés, 1 200 (75 %) pensent quitter le pays. Les institutions françaises sont formelles : à l’Agence nationale de la recherche, à l’Institut Pasteur ou à l’Agence nationale de recherche sur le sida, pas un jour ne passe sans appels de chercheurs inquiets, prenant le pouls pour un poste en Europe. “La situation s’aggrave de jour en jour, ce qu’il se passe là-bas est très préoccupant”, alerte Alain Fischer, ancien président de l’Académie des sciences et professeur émérite au Collège de France.L’Europe tente de réagirEn 2016, alors que Donald Trump s’en prenait aux sciences du climat, la France et l’Allemagne avaient lancé une initiative conjointe, “Make our planet great again”. Pour le moment, l’Europe discute sans parvenir à se coordonner. Le ministre français de la Recherche, Philippe Baptiste, a obtenu que 11 de ses homologues européens (Allemagne, Autriche, Bulgarie, Espagne, Estonie, Grèce, Lettonie, République tchèque, Roumanie, Slovaquie et Slovénie) signent une lettre commune adressée à Ekaterina Zakharieva, la commissaire européenne à la Recherche et à l’Innovation. Le courrier demande une réunion immédiate afin de “faire preuve de solidarité et d’un regain d’attractivité pour l’accueil de talents remarquables de l’étranger”.A la suite de cette missive, une réunion des ministres européens s’est tenue sous l’égide de la Commission européenne. Une enveloppe de 30 millions aurait été évoquée. “Ce n’est pas à la hauteur des enjeux”, déplore une source bien informée. Une nouvelle réunion entre la commissaire Zaharieva et les ministres des Etats membres est prévue “très prochainement afin d’harmoniser nos actions”, assure une porte-parole de la Commission européenne. “Reste que pour l’instant, il ne se passe pas grand-chose. C’est frustrant car ce serait vraiment utile”, regrette le Pr Fischer.Le Conseil européen de la recherche, principal financeur de la recherche à l’échelle de l’UE, a tout de même décidé d’augmenter le montant de ses aides à l’installation. Cette allocation était jusqu’à présent plafonnée à un million d’euros. “Elle devrait être doublée”, détaille Maria Leptin, présidente de l’institution. Mais ces fonds, destinés à attirer les scientifiques dont les expériences sont les plus ambitieuses et coûteuses, ne seront pas réservés aux ressortissants des Etats-Unis. “Nous jugerons sur la qualité des projets proposés, comme le veut notre institution”, poursuit la dirigeante qui appelle, elle aussi, à une réponse européenne coordonnée.Sur le plan national, la France a annoncé travailler sur un programme dédié. Mais les détails se font toujours attendre. Aux Pays-Bas, le ministre de l’Education et des Sciences Eppo Bruins a aussi avancé l’idée de la création “à très court terme” d’un fonds destiné à faire venir des scientifiques de premier plan.Des initiatives locales et principalement françaisesEn attendant que les Etats avancent, ce sont les acteurs locaux qui s’organisent. Dans l’Hexagone, l’université d’Aix-Marseille (AMU) a lancé début mars la première initiative dotée d’un budget. Baptisée “Safe Place for Science” (Lieu sûr pour la science), elle vise à ouvrir une quinzaine de postes pendant trois ans pour accueillir des universitaires basés aux Etats-Unis. “Nous avions prévu de débloquer entre 10 et 15 millions d’euros en fonction du succès de l’opération. Ce sera 15, puisque nous avons reçu 150 candidatures !”, confie l’université.Les profils sont parfois prestigieux. Six chercheurs de la Nasa, l’agence spatiale américaine, frappent à la porte de la cité phocéenne. Mais aussi des spécialistes du climat de la non moins réputée National Oceanic and Atmospheric Administration et des experts en ARN messager, poussés hors des Instituts nationaux de la santé, où des milliers de licenciements ont été annoncés. Safe place for Science a pu être lancée rapidement grâce à la fondation Amidex de l’AMU, qui dispose d’un budget annuel de 26 millions d’euros dédié au recrutement de scientifiques issus de pays en guerre (Afghanistan, Palestine, Yémen ou Ukraine)… et désormais à ceux venant d’un pays où l’administration guerroie contre la science. “Notre premier critère de sélection est l’urgence, car nous avons reçu des témoignages de personnes licenciées en à peine une heure et qui se retrouvent à la rue alors qu’elles ont des enfants”, confie l’AMU, qui rappelle l’ADN de Marseille, “éternelle terre d’accueil”. Les premiers chercheurs devraient arriver dès cet été.La Fondation ARC pour la recherche sur le cancer a annoncé un plan similaire, mi-mars. Un peu plus de 3,5 millions d’euros seront débloqués pour accueillir une dizaine de chercheurs en difficulté. “Le montant pourra être augmenté si besoin, prévient déjà son vice-président, le professeur d’hématologie Eric Solary. Il s’agit d’une opération de sauvetage de la recherche, parce que le cancer est une maladie mondiale et qu’il faut la combattre mondialement. Nous avons très peur de certaines nominations, comme celle du ministre antivax Robert Francis Kennedy Jr. qui va avoir un impact sur le développement des vaccins contre le cancer.” L’université Vrije de Bruxelles prévoit elle aussi de débloquer des fonds : 2,5 millions d’euros pour ouvrir 12 postes postdoctoraux, “avec une attention particulière pour les Américains”, a-t-elle déclaré. Une réponse à une “ingérence préoccupante” de l’administration Trump dans la liberté de la recherche académique.Les cerveaux fuiront-ils vraiment en Europe ?D’autres institutions européennes se sont manifestées, sans pour autant annoncer de financement concret. En Allemagne, la Société Max Planck, qui regroupe 84 instituts scientifiques, a assuré vouloir attirer des chercheurs américains de haut niveau. Tout comme l’université de Cambridge, au Royaume-Uni, qui indique envisager des “injections de financements”. En Suède, l’Institut Karolinska propose des contrats de douze mois comme solution d’accueil immédiate pour des universitaires menacés. Enfin, des chercheurs de l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL), en Suisse, appellent à la création d’un “programme Einstein” pour attirer des scientifiques américains. Interrogé par la RTS, Jean-Paul Kneib, directeur académique du Space Center à l’EPFL, est persuadé que “la fuite des cerveaux va continuer”. Mais le Vieux Continent pourra-t-il tous les attirer et les accueillir ?A l’occasion de “Make our planet great again”, 1 800 candidatures avaient été envoyées. Seules 123 ont été retenues. “Quand bien même l’Europe oserait s’unir et porter une initiative commune forte, nous aurons sans doute du mal à attirer des chercheurs de nationalité américaine, parce que les salaires sont très élevés dans leur pays, estime le Pr Solary. En revanche, il sera sans doute possible de faire revenir des Européens”. Au jeu des rémunérations, l’Allemagne ou la Suisse semblent les mieux placés. La France, elle, pourrait tirer profit de sa bonne réputation. Un sondage diffusé par le magazine New York Post place l’Hexagone en 6e position pour les Américains, scientifiques ou non, qui souhaitent partir. “Et on dit que la France n’est pas compétitive, mais la retraite, la santé et les études pour les enfants coûtent beaucoup moins cher : l’écart entre les salaires n’est donc pas si grand”, estime de son côté le Pr Sage. Ces derniers mois, les investissements de France 2030 ont notamment permis de faire revenir quelques grands noms, comme Yasmine Belkaid ou Bana Jabri. L’exécutif assure que ces efforts se poursuivront.”Ce sont surtout les jeunes qui veulent partir, car les budgets sont bloqués, analyse le Pr Alain Fischer. Les chercheurs prestigieux, eux, peuvent attendre de voir ce qu’il se passe”. Une analyse partagée par Julien Sage : “De nombreux scientifiques confirmés se demandent ce qu’ils vont faire si la situation continue d’empirer. Certains ont peur de prendre une décision trop tôt, tout en redoutant qu’il soit trop tard ensuite, car les places sont limitées.” Une chose est sûre, la captation des cerveaux prendra du temps. “Ce sont des projets à six mois, un an”, confirme le Pr Solary. La fondation ARC reste néanmoins confiante et assure que les actions comme la sienne vont se multiplier.Les chercheurs tiennent tout de même à alerter sur de potentielles dérives de ces aides. “Les actions menées doivent être financées avec de l’argent en plus, et pas ‘à la place de’”, insiste le Pr Fischer. “Je serai déçu si ces recrutements se faisaient au détriment de la recherche locale, ce serait une occasion manquée de vraiment aider le monde scientifique”, abonde le Pr Sage. La science n’a en tout cas jamais eu autant besoin de soutien.
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Author : Victor Garcia, Antoine Beau
Publish date : 2025-04-09 05:00:00
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