Peu de Français connaissent la signification de l’acronyme ZFE, et encore moins la réalité qui se cache derrière. Pourtant ces “zones à faible émission” nourrissent depuis plusieurs mois une colère sourde sur les réseaux sociaux. Une colère aux accents de gilets jaunes, qui se vit à coups de “eux, à Paris” contre “nous, les ruraux dépendants de la bagnole”. Une colère qui n’a jamais franchi les digues du Web, comme en témoigne la modeste affluence aux manifestations organisées le 6 avril dans plusieurs villes, mais pourtant bien réelle. Une colère qui laisse de marbre le gouvernement, au risque de l’attiser encore davantage. Plongée dans un bras de fer qui dit beaucoup des fractures actuelles de la société.Lorsque le mouvement démarre au début de 2025, les ZFE sont déjà une vieille histoire. En vertu de deux lois de 2019 et de 2021, 40 métropoles de plus de 150 000 habitants doivent, pour lutter contre la pollution de l’air, instaurer des limitations d’accès à leur territoire à certaines catégories de véhicules, en fonction de leur âge. Le 1er janvier 2025 est une étape clé, avec l’entrée dans le dispositif des voitures diesel de plus de 14 ans et des “essence” de plus de 19 ans. Soit, sur le papier, des millions de véhicules qui pourront recevoir des amendes de 68 et de 135 euros en cas d’infraction. L’inquiétude se répand. Des élus locaux reçoivent des appels affolés de leurs administrés.D’un tweet, au tout début de 2025, l’écrivain Alexandre Jardin propulse le mouvement au premier plan. Sa géniale intuition ? Désigner du hashtag #lesgueux ceux qu’il considère comme les victimes des ZFE. De plateaux télé en presse locale, il le décline à l’infini : les “parcs à gueux” pour désigner les parkings à l’entrée des agglomérations destinés à accueillir les véhicules non autorisés, les “passe gueux” pour parler de ces dérogations temporaires que les villes ont décidé de mettre en place pour les “petits rouleurs”. Son discours est rodé, il parle de ce père divorcé qui ne peut plus aller chercher ses enfants pour le week-end, de l’épicière de son village de l’Aude qui sait que “tout le monde est concerné”, enfin “tous, sauf les Toulousains”. Le concept marche aussi pour “tous, sauf les Parisiens”, “tous, sauf les Lyonnais”… Il joue à fond la carte “des déconnectés des centres-villes, aisés, sans voiture ou avec des voitures suffisamment récentes pour ne pas être touchés”, contre les “gueux”, dont “on se fiche, ces gens qu’on ne voit jamais à la télé, avec leur accent impossible”.”Les gueux, ces gens qu’on ne voit jamais à la télé”Il appuie sur ce qui alimente la colère : l’impossibilité de circuler autrement qu’en voiture par endroits, la décote subie par la “bagnole” exclue des ZFE puisque désormais invendable. Il dénonce les donneurs de leçons qui invitent à prendre les transports en commun dans des zones où il n’y en a pas, à acheter des voitures électriques à des prix faramineux quand “un quart du pays est à découvert et bouffe des pâtes le 15 du mois”. Il lance des formules qui claquent comme “on ne peut pas purifier l’air des riches au détriment des pauvres”. Il n’hésite pas à en rajouter sur la “soviétisation” et la “culture de la RDA”.Populiste, mais efficace bien au-delà des seuls automobilistes concernés. Des gens le félicitent dans la rue, ses tweets connaissent un énorme succès et son livre #lesgueux publié chez Michel Lafon, au prix de 4,90 euros, se place en tête des ventes de la catégorie “politique”. Comme lors des coups de chaud dans le monde paysan, artisan ou taurin ces dernières années, que personne n’a su prévoir ni encadrer, il relaie un même besoin de lancer un “Ça suffit !” à un pouvoir jugé indifférent. Quitte à surfer, tout démocrate et apolitique qu’il se revendique, sur les “mauvais sentiments” de l’époque.D’autres s’engouffrent derrière lui. Non sans arrière-pensée ni rivalité masquée. 40 millions d’automobilistes, le lobby connu pour ses combats contre les 80 kilomètres-heure ou la perte de point lors de petits excès de vitesse, entend profiter de la fenêtre de médiatisation offerte par l’écrivain. Depuis plusieurs années, il tente de mettre le sujet au premier plan, sans grand succès. Des élus locaux montent aussi au créneau, en particulier ceux des petites communes qui entourent les villes centres des ZFE. Leurs électeurs sont les premiers concernés. Dans l’Hérault, Laurent Jaoul, maire sans étiquette de Saint-Brès (3 500 habitants), revendique avoir, à la mi-février, obligé Michaël Delafosse, le président socialiste de l’agglomération et maire de Montpellier, à repousser jusqu’en 2027 l’entrée en vigueur des restrictions de circulation. Le Rassemblement national, qui a compris qu’une majorité de Français étaient hostiles aux ZFE, espère tirer des bénéfices électoraux de ce combat, comme hier contre les éoliennes. A gauche, certains s’inquiètent de la rupture sociale. Tous ont en tête les élections municipales de 2026.Avec Lyon, Paris était la seule ville qui devait obligatoirement étendre sa ZFE à de nouvelles catégories de véhicules le 1er janvier 2025Longtemps, le gouvernement minimise. Après tout, la colère reste peu visible sur le terrain. Les appels à manifester chaque samedi matin devant les mairies ne rassemblent au mieux que quelques dizaines de personnes. La pétition lancée par 40 millions d’automobilistes sur le site de l’Assemblée nationale pour demander l’abrogation des ZFE ne recueille “que” 28 000 signatures, un score modeste au regard des succès des tweets sur le sujet. Et les recours collectifs envisagés par des avocats ne parviennent pas à réunir un nombre suffisant de requérants pour être financés.Les pouvoirs publics comprennent mal cette grogne contre des mesures qui ne sont pas aussi punitives que certains le laissent entendre. En effet, seules deux agglomérations, Paris et Lyon, avaient l’obligation, en raison de leur niveau de pollution, d’étendre aux Crit’Air 3 les restrictions de circulation au 1er janvier 2025. Les autres villes pouvaient repousser la mise en œuvre à 2027 ou après et réduire au strict minimum les catégories de véhicules concernés. Toutes ont d’ailleurs prévu des dérogations pour les besoins ponctuels et ont érigé 2025 en “année pédagogique”. Alors pourquoi tant de colère alors que personne n’est encore verbalisé et que l’enjeu est si important ? Le 3 avril, Agnès Pannier-Runacher, la ministre de la Transition écologique, a reçu Alexandre Jardin. Il lui a parlé “mépris des classes populaires”, “entrave à la liberté de circulation”, elle a rétorqué “enjeu sanitaire”. A ses côtés, un médecin chargé de rappeler les 40 000 morts par an dues à la pollution de l’air.Quelques jours plus tôt, le gouvernement avait pourtant été pris par surprise. En commission des lois, un amendement à la loi sur la simplification économique, porté par le RN mais voté par la droite et des élus du bloc central, avait abrogé purement et simplement les ZFE. Une alerte sérieuse. Pourtant, alors qu’un nouveau vote doit avoir lieu ce mardi 8 ou mercredi 9 avril, l’exécutif ne révise son dispositif qu’à la marge, en limitant l’obligation de ZFE aux seules agglomérations de Paris et Lyon. Trop peu pour de nombreux Français qui continuent de trouver le système complexe et injuste. Mi-février, il a suffi que la préfecture du Rhône organise une opération de vérification des Crit’Air sans verbalisation pour que son tweet soit vu 600 000 fois et commenté sans aménité. Preuve, pour ceux qui en doutent encore, que le sujet est éminemment inflammable.Les opposants les plus modérés réclament un moratoire suivi d’une remise à plat complète. Leur idée ? Un dispositif plus équitable que le simple critère d’âge pour évaluer la pollution d’un véhicule, par exemple sur la base du contrôle technique, mais aussi un effort sur les transports en commun et des aides à l’acquisition de véhicules propres. Seule manière, selon eux, de poursuivre la lutte contre la pollution, sans laisser le champ libre aux plus populistes. Et la colère éclater au grand jour.
Source link : https://www.lexpress.fr/societe/revolte-contre-les-zfe-derriere-alexandre-jardin-les-coulisses-de-la-colere-des-gueux-L6XD2G67HRGJRMM32VO3ZWHTDM/
Author : Agnès Laurent
Publish date : 2025-04-08 05:30:00
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