“Je suis heureux, nous possédons du pétrole et Chengriha”. Ce message anodin échangé par Boualem Sansal sur la messagerie WhatsApp avec Xavier Driencourt, l’ex-ambassadeur de France en Algérie, a été lu à son audience d’accusation, le 20 mars, selon un compte-rendu du quotidien arabophone Echorouk. Ce jeudi 27 mars, l’outrage à corps constitué, c’est-à-dire l’insulte à l’armée, a été retenu parmi les motifs de la condamnation de l’écrivain franco-algérien à cinq ans de prison ferme et l’équivalent de 3 500 euros d’amende. Le tribunal considère qu’il a ironisé sur le vice-ministre de la Défense et chef d’état-major des armées, Saïd Chengriha.”Premièrement, peut-on rire de tout ? Deuxièmement, peut-on rire avec tout le monde ?”, s’interrogeait l’humoriste Pierre Desproges sur France Inter, en septembre 1982. A ces questions, le tribunal de Dar El Beida, à l’est d’Alger, répond deux fois non. Durant sa comparution, il a été reproché à plusieurs reprises à Boualem Sansal d’avoir plaisanté avec Xavier Driencourt, devenu ces derniers mois la bête noire du pouvoir algérien. Outre la phrase sur Saïd Chengriha, Boualem Sansal a été condamné au motif d’avoir blagué – deux fois – sur l’adhésion ratée de l’Algérie aux BRICS, ce groupe de nouveaux pays émergents, à l’été 2023. Une meurtrissure nationale, semble-t-il, sur laquelle l’écrivain aurait eu le tort d’échanger deux plaisanteries sur WhatsApp avec le diplomate français. Le tribunal y a vu une atteinte à l’économie nationale.Le Franco-Algérien de 80 ans aurait aussi écrit un article – probablement jamais publié – évoquant “le sujet de la puissance militaire de l’Algérie et de l’armée”, ce sur quoi le juge lui a demandé de se justifier. “J’ai écrit cet article pour présenter mon point de vue sans aucune intention de nuire à l’institution militaire, que je respecte tant”, a répondu Boualem Sansal, selon Echorouk.L’entretien de Boualem Sansal au média d’extrême droite Frontières n’a fait l’objet d’aucun débat devant le juge, mais il a bel et bien été retenu contre lui. “Tout le problème vient d’une décision prise par le gouvernement français : quand la France a colonisé l’Algérie, toute la partie ouest de l’Algérie faisait partie du Maroc, Tlemcen, Oran et même jusqu’à Mascara […] la France a décidé comme ça, arbitrairement, de tracer une frontière”, avait déclaré l’écrivain le 2 octobre 2024. Pour ces propos sur le tracé de la frontière algéro-marocaine, l’homme de lettres est condamné pour atteinte à l’unité nationale.”Mak” et DGSEIl a encore été reproché à Sansal d’avoir échangé des messages sur WhatsApp avec un certain “Yazid”, membre prétendu du “Mak”, le Mouvement pour l’autodétermination de la Kabylie. Cette organisation est considérée comme terroriste depuis mai 2021. Elle demande un référendum sur l’administration de la Kabylie, incluant la possibilité d’une indépendance. Le “Mak” est décidément au coeur des scandales entre la France et l’Algérie puisque en décembre 2024, la chaîne publique AL24 News prétendait dévoiler un complot français impliquant la DGSE et le Mak. Les services secrets auraient projeté de faciliter les actions terroristes du Mak en Algérie. Des accusations totalement refutées par Stéphane Romatet, l’ambassadeur de France, devant lequel ces reproches n’ont d’ailleurs jamais été formulés, contrairement à ce qu’a pu écrire la presse algérienne.Boualem Sansal a nié avoir échangé de quelconques messages avec un membre du “Mak”. Il a tout de même été condamné pour détention de vidéos et de publications menaçant la sécurité et la stabilité nationales. En novembre 2023, déjà, plusieurs médias algériens, notamment le très virulent site Algérie Patriotique, imaginaient des réunions du Mak “sous l’égide de la DGSE”. Le chef d’accusation d'”intelligence avec l’ennemi”, l’ennemi en question étant Xavier Driencourt, a lui été abandonné.Ce qui frappe dans la procédure, en revanche, c’est l’utilisation d’échanges privés de Boualem Sansal pour justifier des atteintes à la dignité nationale. L’interpellation de l’écrivain à l’aéroport, le 16 novembre 2024, au motif de l’entretien au média Frontières, a permis à la police algérienne de mettre la main sur ses appareils électroniques, a expliqué le juge le 20 mars. Cette fouille, notamment de son ordinateur et de son téléphone portable, a permis aux enquêteurs de monter un dossier plus important contre le romancier.Cette stratégie bien connue des avocats est parfois appelée “pêche aux filets dérivants”, une méthode utilisée pour “alimenter subrepticement un dossier qui manque d’éléments”, expliquait l’avocat Etienne Madranges, ancien juge, en 2020. Il s’agit de provoquer une première fouille sur un motif précis puis de se servir des éléments obtenus dans un second temps pour obtenir une condamnation. Devant le juge, l’écrivain de 80 ans a invoqué sa “liberté d’expression” et des “conversations privées entre amis”. En pure perte.
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Author : Etienne Girard
Publish date : 2025-03-28 07:20:00
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