Attention, affaire radioactive. Dans le livre Braqueur, mercenaire, aventurier (Nouveau Monde), publié ce 26 mars, Jean-Louis Rizza raconte ses aventures mêlant petits larcins, gros braquages et… secrets d’Etat. L’ancien de la French Connection entend faire des révélations sur l’une des affaires les plus mystérieuses de la Ve République. Officiellement, Robert Boulin, ministre du Travail de Valéry Giscard d’Estaing, s’est suicidé dans une mare de la forêt de Rambouillet le 30 octobre 1979, affaibli par une affaire d’escroquerie immobilière. Rizza affirme qu’il a été assassiné, comme le supputent plusieurs enquêtes depuis vingt ans. S’il n’a pas assisté aux faits, il assure connaître l’un des auteurs : Gilbert Molina, ancien de l’Organisation de l’armée secrète (OAS), groupe terroriste opposé à l’indépendance de l’Algérie. Son nom n’avait jusque-là jamais circulé.Le père de Jean-Louis, Joseph, dit “Jo” Rizza, personnage clé des nostalgiques de l’Algérie française sur la Côte d’Azur, lui aurait fait cette confidence. “Avant sa mort, il m’a demandé de raconter, explique Jean-Louis Rizza. J’ai besoin de me libérer de tout ce que j’ai fait pour lui.” “Ce travail est le fruit d’un an de discussions et de vérifications”, décrit le journaliste d’investigation Frédéric Ploquin, ex-grand reporter à Marianne et plume du livre.”Il lui a donné un coup de marteau”Jo Rizza, décédé en 2014, était une figure du grand banditisme, l’un des chefs des commandos Delta, le bras armé de l’OAS. L’organisation a revendiqué plusieurs attentats à la fin de la guerre d’Algérie, dont la tentative de meurtre contre le général de Gaulle au Petit-Clamart, le 22 août 1962. Au début des années 1970, il s’est reconverti comme homme de main au service de politiques, notamment pour l’avocat d’extrême droite Jean-Louis Tixier-Vignancour. “Les commandes arrivaient le plus souvent par mon père. Quand il fallait cibler une personne précise, il nous transmettait tous les éléments nécessaires, nom, prénom, adresse”, écrit Jean-Louis Rizza, enrôlé depuis ses 19 ans dans l’officine criminelle de son paternel.Quelques années plus tard, Jo Rizza prévient son fils que ce contrat avorté concernait le ministre décédé. “C’est Robert Boulin, je peux te le dire puisqu’il est mort”, aurait déclaré l’ancien des commandos Delta. “C’est l’autre enculé (sic) qui a fait le travail […] Il lui a donné un coup de marteau”, précise-t-il, selon son fils, évoquant là Gilbert Molina. Et de raconter qu’un des hommes de main chargés de l’opération aurait fait monter Boulin dans une voiture en lui brandissant une carte de police, vraie ou fausse.Des “relations suivies” avec Charles Pasqua ?Si son père ne lui a jamais dit clairement d’où venait le contrat, Jean-Louis Rizza cite comme commanditaire probable le futur ministre de l’Intérieur : “Mon père ne pouvait avoir reçu l’ordre que d’un homme, avec lequel il avait depuis longtemps des relations suivies : Charles Pasqua.” A l’époque, Robert Boulin menaçait de révéler un scandale de financement du parti gaulliste. Pierre Manenti, auteur de Charles Pasqua. Dans l’ombre de la République, accueille cette révélation avec scepticisme : “Tout porte à croire qu’il ne devait pas porter Charles Pasqua dans son cœur, et réciproquement. Au moment de la guerre d’Algérie, Pasqua a fait partie de ceux qu’on a appelés les “barbouzes”, menant une guerre de l’ombre en faveur du général de Gaulle.”Au fil des ans, anciens de l’OAS et du Service d’action civique (SAC) se sont pourtant rapprochés. “En mai 1968, notamment, des membres des deux organisations trouvent une lutte commune. Certaines personnalités sont à l’articulation des réseaux du SAC, de l’Algérie française et plus tard de la Françafrique”, explique l’historien Emmanuel Alcaraz, chercheur associé à Mesopolhis et à l’IRMC-Tunis, spécialiste de l’histoire de l’Algérie et des extrêmes politiques. Jean Taousson, ancien de l’OAS, journaliste à Paris Match, futur chargé de mission pour Charles Pasqua au ministère de l’Intérieur, en fait partie. Rizza le désigne comme l’un des liens et le témoin des “relations suivies” de son père avec l’ancien sénateur des Hauts-de-Seine. Il se souvient d’ailleurs d’avoir participé à un “déjeuner” en 1988, sur la Côte d’Azur, où Jo Rizza, Taousson et Pasqua étaient réunis.Rizza et Taousson, inséparablesLe journaliste Vincent Quivy, auteur de l’ouvrage Les Soldats perdus. Des anciens de l’OAS racontent, peut attester de la proximité de Taousson et Rizza. “Je n’ai jamais vraiment rencontré Rizza seul. Taousson était presque toujours présent”, se souvient-il. Dans ce cercle de vétérans de l’OAS difficile à percer, Rizza finit par s’ouvrir. “C’était un mercenaire à la lisière du banditisme et de la politique, évoluant dans l’entourage de Jacques Médecin – quelqu’un qui ressemblait à Pasqua, mais en était éloigné, de par son affiliation à l’OAS”, explique-t-il. Pouvait-il néanmoins s’être rapproché du ministre, au point de s’être vu confier l’organisation d’une “opération Boulin” ? “Théoriquement possible, mais le caractère sanguin de Rizza me pousse à dire non, estime le journaliste. Taousson, en revanche, était presque une main noire au service de Pasqua, qui ne se vantait jamais de ce qu’il avait pu faire.” Jo Rizza était de toute façon en prison au moment de la mort de Robert Boulin, comme l’écrit son fils.Dès les années 1980, plusieurs investigations ont remis en cause la thèse du suicide du ministre. Benoît Collombat, journaliste à France Inter, s’échine depuis 2002 à démonter les nombreuses incohérences du dossier, entre une première autopsie escamotée par un procureur proche du SAC, une position du corps qui ne colle pas avec un suicide, des traces de coups passées sous silence, un témoin évoquant Robert Boulin dans une voiture avec d’autres personnes, ou des analyses sanguines mystérieusement perdues. Dans la foulée de son travail, en 2015, la justice a annoncé ouvrir une information judiciaire pour “arrestation, enlèvement et séquestration suivis de mort ou assassinat”.En septembre 2024, nouveau rebondissement : Elio D., un homme autrefois lié au banditisme, assure avoir assisté à une conversation dans une boîte de nuit de la région parisienne, quelques jours après la mort du ministre. Pierre Debizet, patron du SAC, y est alors présent avec deux autres membres de son organisation. “Ils ont sablé le champagne pour avoir récupéré “les dossiers compromettants”, ont-ils dit entre eux. Ça a déplu à Pierre Debizet qui leur a dit “oui, mais vous l’avez tué, le patron – c’est-à-dire Pasqua – avait donné l’ordre de lui filer une danse”. Le chef du commando a déclaré à Debizet “c’était un accident, il a fait un arrêt cardiaque, il est mort dans nos bras, et, dans la panique, on l’a balancé dans l’étang de Montfort-l’Amaury””, a raconté ce témoin à France Inter. Auprès de Mediapart, il détaillera même ses soupçons sur le commanditaire : “Pour être honnête, je n’aurais rien divulgué si Charles Pasqua n’était pas mort. Je pense que c’est Pasqua le donneur d’ordre, Boulin détenait des dossiers explosifs sur le RPR de l’époque. Pasqua a donné l’ordre à Debizet, du SAC, pour lui mettre une danse”, déclare-t-il. Jean-Pierre Lenoir, agent du Sdece (ancêtre de la DGSE), aurait été lui aussi témoin de la scène. Quant aux deux bandits, il s’agirait, selon Elio D., de Henry Geliot, fiché par la police comme membre d’une organisation collaborationniste sous l’Occupation, et d’un certain “Leno”.Pourraient-ils être liés à Gilbert Molina ? Engagé à 18 ans dans les commandos Delta, Molina a fait de la prison, avant d’être libéré au milieu des années 1960. Sur Internet, son nom refait surface sur Facebook, dans un groupe de nostalgiques du Saint-Barthélemy des années 1990. Molina s’y est installé et y a repris un restaurant. Pour ses proches encore vivants, les affirmations de Jean-Louis Rizza tiennent “du délire”. “Rizza est complètement fou !”, s’époumone Norbert V., autre ancien du commando Delta. Ayant refusé d’apparaître dans l’ouvrage, l’homme y est désigné sous ce nom – “Norbert V.” -, gravitant dans leur sphère de pieds-noirs installés sur la Côte d’Azur. “J’ai dit à Jean-Louis : tu me laisses en dehors de tout ça”, fulmine celui qui récuse les accusations à l’encontre de son “meilleur ami”, Gilbert Molina.Homme à tout faireSelon Norbert V., qui explique avoir été un temps “chargé de la sécurité de Jacques Chirac quand il venait en région Paca” (Provence-Alpes-Côte d’Azur), Molina n’a jamais fait partie du SAC. “C’était un mec bien, parti dans les Caraïbes pour aider les fédéraux américains à combattre le trafic de drogue”, dit-il.Auprès de L’Express, Brice Molina, le fils de Gilbert, explique quant à lui que les dates ne concordent pas : “Tout ce que je sais, c’est que mon père a quelque temps été le chauffeur de Jacques Médecin, son homme à tout faire. Il était de toutes les magouilles sur la Côte d’Azur au début des années 1970. Puis il a rencontré ma mère et il s’est calmé. Après ça, Norbert lui a recommandé de s’installer à Saint-Barth s’il voulait échapper à ses ennuis – ce qu’il a fait.” Impossible d’après lui, donc, qu’il se soit retrouvé en métropole en 1979, au moment du décès de Robert Boulin. Mais dans l’ouvrage de Jean-Louis Rizza, l’installation de Molina à Saint-Barthélemy n’est pas incompatible avec son éventuelle implication dans la mort de Robert Boulin. Car l’ex-OAS faisait, assure l’auteur, des allers-retours réguliers en métropole. Quarante-six ans après, le dossier recèle encore de nombreuses zones d’ombre.
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Author : Alexandra Saviana
Publish date : 2025-03-25 04:45:00
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