Le Canada est un peu à l’Amérique ce que la Suisse est à l’Europe : lacs et montagnes, francophonie, multilinguisme, fédéralisme, pacifisme. Les mélomanes se souviendront même que les deux nations partagent une icône : Céline Dion, qui a remporté l’Eurovision en 1988 sous les couleurs helvétiques. Bref, une carte postale où se mêlent zénitude et paillettes. Certains auront donc été surpris de voir la patrie de Leonard Cohen et Shania Twain sortir les griffes face aux menaces d’annexion et à la guerre commerciale lancées par Donald Trump. Coup de bluff ou menaces sérieuses ? Peu importe. Car au Canada, les sorties hostiles du président américain ne font rire personne. Ottawa a répliqué en annonçant de nouveaux droits de douane sur certains produits américains. Contre-offensive soutenue massivement par la population. Tandis qu’un appel au boycott des produits américains commence à se ressentir dans les chiffres : “La part des produits américains dans nos ventes totales est en chute libre”, a ainsi déclaré le PDG d’Empire Co. Ltd., propriétaire de Sobeys et Safeway, deux grandes chaînes de supermarchés au Canada.Une attitude jugée ingrate par le secrétaire américain au Commerce, Howard Lutnick, qui a estimé que le Canada devrait “dire merci” à son “plus grand partenaire commercial au monde, vital à son existence”. Les Canadiens, pas assez reconnaissants ? “Lutnick pense que nous sommes une nation de gens polis et dociles qui vont au travail en raquettes et remercient chaque érable qu’ils croisent en passant. Il ferait mieux jeter un oeil au classement des pénalités par joueurs de tous les temps dans la LNH (Ligue nationale de hockey) et de noter où la plupart de ces durs à cuire sont nés”, lui a répondu le chroniqueur au Toronto Star Vinay Menon. Et tant pis si, sur le plan économique, c’est David contre Goliath (environ 75 % des exportations canadiennes sont destinées aux États-Unis).”Dans le commerce comme au hockey, le Canada gagnera”, a lancé Mark Carney, le nouveau Premier ministre canadien, remplaçant de Justin Trudeau. Les libéraux peuvent d’ailleurs remercier Donald Trump de leur avoir redonné des couleurs dans les sondages à l’approche des législatives prévues en octobre prochain. D’abord promis à la défaite, ils devancent désormais Pierre Poilievre, chef du Parti conservateur. “Le fait est que si Trump n’avait pas brandi la menace de nouveaux droits de douane ni multiplié les déclarations désinvoltes sur la transformation du Canada en 51e État, il aurait pu conserver un voisin amical et même complaisant. Au lieu de cela, même si les conservateurs prennent le pouvoir, les Canadiens attendront de leur dirigeant qu’il les défende”, soulignait récemment dans Foreign Policy le chroniqueur canadien Kevin Yin. Le tout-puissant président américain aurait-il sous-estimé la 9e puissance économique mondiale ?Un coup d’œil dans le rétroviseur rappelle pourtant que ce n’est pas la première fois que le Canada se rebiffe. Lors de la guerre de 1812, avant même de devenir officiellement le Canada, les habitants de ce vaste territoire sous domination britannique repoussèrent l’envahisseur américain. Le président des États-Unis, James Madison, avait en effet déclaré la guerre à l’Empire britannique en s’attaquant aux colonies du Haut et du Bas-Canada. Convaincus que la victoire serait rapide, les Américains pensaient profiter du fait que la Grande-Bretagne était déjà largement mobilisée par les guerres napoléoniennes en Europe. Ce qui fit dire à William Eustis, le secrétaire américain à la Guerre : “Nous pouvons prendre le Canada sans soldats, il nous suffit d’envoyer des officiers dans la province et le peuple […] se ralliera à notre bannière.” Mais à leur grande surprise, les populations locales ne les accueillirent pas en libérateurs. Deux ans après, le conflit s’acheva sur un échec pour les États-Unis.”Vivre à vos côtés, c’est comme dormir avec un éléphant”Un siècle et demi plus tard, c’est la guerre du Vietnam qui ravive les tensions entre les deux voisins. En 1965, le Premier ministre canadien Lester B. Pearson – prix Nobel de la paix – appela à une pause dans les bombardements au Vietnam, ce qui lui valut une vive remontrance de Lyndon B. Johnson, rapportée par le journaliste Lawrence Martin dans The Presidents and the Prime Ministers (1982). L’affaire n’ira pas plus loin. À la fin des années 1960, Pierre Elliott Trudeau – père de Justin – devient la bête noire du président américain Richard Nixon. Le tort du leader canadien ? Avoir pris ses distances sur le plan militaire en pleine guerre froide, mais aussi avoir reconnu la Chine communiste en 1970.Un an plus tôt, le leader canadien déclarait à propos des États-Unis : “Vivre à vos côtés, c’est comme dormir avec un éléphant. Peu importe sa bonne volonté, on est affecté par chacun de ses mouvements.” Autre pomme de discorde : le virage protectionniste de l’administration Nixon qui imposa brièvement en 1971 une hausse de 10 % des droits de douane sur toutes les importations de bien étrangers, produits canadiens compris. Un électrochoc qui poussera Ottawa à diversifier ses échanges commerciaux afin de réduire sa dépendance économique vis-à-vis des États-Unis.Plus proche de nous, en 2003, si l’on se souvient du discours de Dominique de Villepin contre la guerre en Irak, on oublie souvent que le Canada, malgré la pression américaine et britannique, refusa également d’y participer. Le 17 mars, sous un tonnerre d’applaudissements à la Chambre des Communes, le Premier ministre Jean Chrétien annonçait que, sans résolution de l’ONU, le Canada resterait à l’écart. Résolution qui ne viendra jamais, mais qui n’empêchera pas les États-Unis de lancer l’offensive sur Bagdad trois jours après. “George W. Bush était déçu. Il ne pensait pas que le Canada dirait non”, relatera des années plus tard Jean Chrétien. Curieusement, si les Etats-Unis eurent la dent dure contre la France, ils pardonnèrent une fois de plus à leur allié canadien… “Il y a beaucoup à admirer dans la culture canadienne, et les Américains l’apprécient”, analyse auprès de L’Express, Joseph Nye, l’ancien directeur de la Kennedy School of Government à Harvard, théoricien du soft power. Ironie de l’histoire, conclut-il, “en attaquant le Canada, Trump a surtout rappelé aux Canadiens pourquoi ils sont différents… et pourquoi s’ils tiennent à le rester”.
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Author : Laurent Berbon
Publish date : 2025-03-15 07:45:00
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