L’accord conclu le 10 mars entre l’autorité actuelle en Syrie et les Forces démocratiques syriennes (FDS), branche armée des Kurdes, ouvre la voie à une question majeure sur l’avenir du pays : l’intégration des Kurdes dans le nouvel Etat marquera-t-elle le début d’une ère de paix, ou faut-il s’attendre à de nouveaux conflits ? D’autant plus que l’armée syrienne comprend des unités djihadistes qui conservent leur autonomie et qui ne pourront jamais accepter les Kurdes, leurs ennemis traditionnels.Au début de la révolution contre le régime de Bachar el-Assad en 2011, les Kurdes, longtemps marginalisés par le pouvoir central, ont progressivement pris le contrôle de leurs régions, situées au nord-est du pays. Ils ont alors proclamé une administration autonome fondée sur un système de gouvernance décentralisé et pluraliste. Avec la montée en puissance de Daech, ils sont devenus des acteurs incontournables de la lutte contre le djihadisme. Les FDS ont bénéficié d’un soutien militaire de la coalition internationale dirigée par les Etats-Unis. La bataille de Kobané (2014-2015) a marqué un tournant, suivie par la libération de Raqqa en 2017, ancienne “capitale” de Daech en Syrie.Depuis l’arrivée de Donald Trump au pouvoir, les Etats-Unis ont manifesté leur volonté de quitter le territoire syrien. Une fois ce retrait réalisé, les Kurdes se retrouveront assiégés entre le pouvoir en place à Damas et la Turquie. Cette dernière considère les FDS comme une organisation terroriste. Des négociations ont eu lieu depuis janvier entre Ahmad el-Chareh, président syrien par intérim, et Mazloum Abdi, chef des FDS, sous le parrainage des Etats-Unis. Ces discussions ont abouti à l’accord actuel, dont l’article le plus important reconnaît la communauté kurde comme partie intégrante de l’Etat syrien et garantit ses droits à la citoyenneté.Plus de 800 civils tuésDès l’annonce de l’accord, une joie a envahi les villes syriennes. Des milliers de personnes sont descendues dans les rues pour fêter la “libération totale de la Syrie”. La zone contrôlée par les Kurdes représente 30 % du territoire. Elle contient environ 70 à 80 % des réserves pétrolières du pays, une grande partie de la production de blé et de coton, et le fleuve Euphrate, essentiel pour l’irrigation et l’électricité grâce aux barrages hydroélectriques. Ces ressources seront distribuées à l’ensemble de la Syrie, un pays qui vit une chute libre sur le plan économique.Mais les Kurdes, comme les autres minorités syriennes, doivent rester extrêmement vigilants et tirer la leçon de ce qui est arrivé aux Alaouites. A la suite de la chute d’Assad, l’autorité d’Ahmad el-Chareh a rassuré cette communauté : “S’ils lâchent leurs armes, ils seront en sécurité.” Ce qui n’a pas empêché des massacres commis contre les Alaouites de la côte. 830 civils ont été tués entre le 6 et le 10 mars par des unités djihadistes intégrées dans l’armée. Cela a poussé les Druzes, une minorité religieuse dans le sud de la Syrie, à s’accrocher encore plus fermement à leurs armes. Comme les Alaouites, certains ont même appelé Israël à les protéger contre l’autorité d’Ahmad el-Chareh.Un héritage de haineLe régime d’Assad a laissé un héritage de haine entre les Syriens. Les bombardements visant les sunnites ont alimenté la rancoeur vis-à-vis de la minorité alaouite, prise en otage par Assad. Les Kurdes ont longtemps souffert de l’oppression d’Assad comme des sunnites. Cette division entre communautés religieuses et ethniques s’accompagne de modes de vie très différents. C’est visible entre les sunnites pratiquants, qui considèrent le voile, l’interdiction de l’alcool, la pratique du ramadan ou la prière comme des actes sacrés, et les autres communautés qui ne croient pas en ces principes. Lors de mon retour en Syrie en janvier, j’ai posé une question aux membres de l’armée du ministre de l’Intérieur : “Allez-vous forcer les gens à appliquer la charia ?” Leur réponse? “Nous allons leur conseiller de le faire.” Un militaire qui porte une Kalachnikov et “conseille” à une femme aux cheveux libres de se voiler ou à un couple non marié de ne pas promener ensemble suscite la terreur chez les minorités vivant à Damas. Dans un café de la ville, j’ai blasphémé, ce qui était normal dans les milieux intellectuels avant la révolution de 2011. Mais, cette fois, les amis avec qui j’étais ont exprimé leur peur: “Ne fais plus jamais ça dans un lieu public, une nouvelle loi vient de sortir : celui qui blasphème sera condamné à un an de prison.” Dans ce contexte, la seule solution afin d’éviter les conflits et respecter la diversité ethnique et religieuse, est la création d’un Etat fédéral. Cela permettrait à chaque communauté d’avoir une autonomie locale, en y appliquant ses normes sociales.Mais cet Etat fédéral ne peut être viable sans des garanties de la communauté internationale. Il pourrait s’inspirer de modèles existants, comme la Suisse, l’Allemagne ou l’Irak. Chaque région aurait son propre gouvernement. La centralisation du pouvoir à Damas a toujours été une cause majeure de tensions. Fédéraliser ce pays ne signifie pas le diviser, mais éviter qu’une guerre civile n’entraîne sa dislocation, ce qui pourrait avoir des conséquences majeures dans tout le Proche-Orient.Ecrivain et poète né à Damas, Omar Youssef Souleimane a participé aux manifestations contre le régime de Bachar el-Assad, mais, traqué par les services secrets, a dû fuir la Syrie en 2012. Réfugié en France, il a publié chez Flammarion Le Petit Terroriste, Le Dernier Syrien, Une chambre en exil et Etre Français.
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Publish date : 2025-03-12 16:30:00
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