Les parallèles historiques sont des exercices intellectuels souvent séduisants dans le sens où, qu’ils soient rassurants ou inquiétants, ils lèvent en partie le voile sur le futur, dont l’inconnu est particulièrement angoissant. Sembler être en terrain connu est sécurisant, nous avons alors tendance à tordre le bâton des faits sur le calque du passé. Karl Marx disait que l’Histoire se répète toujours deux fois, d’abord comme une tragédie, puis comme une farce. Si c’est le cas, les questions qui se posent face aux retournements auxquels nous assistons sur la scène internationale entre Donald Trump et Vladimir Poutine, avec l’Ukraine et l’Europe au centre du jeu, sont de deux ordres : assiste-t-on à un renversement d’alliance de la même nature que l’a été le pacte germano-soviétique de 1939, prélude à la Seconde Guerre mondiale, et si oui s’agit-il ou non d’une farce ? Ou, autre possibilité, sommes-nous témoins d’une nouvelle époque qui s’ouvre ?Voyons d’abord les protagonistes : Trump est-il Hitler et Poutine serait-il Staline ? En ce qui concerne le président américain, ce parallèle frise le point Godwin, soit l’argument qui consiste à disqualifier définitivement une personne, ou sa pensée, en la comparant au Führer ou au nazisme. Il y a bien eu quelques saluts hitlériens autour de lui (Elon Musk, Steve Bannon), et l’intéressé lui-même use d’autoritarisme en matière de droits de douane, de coupes budgétaires, de dégraissage administratif, de code moral ou de censure des nouvelles idéologies qui ont fleuri aux Etats-Unis.Pour autant, après quelques semaines de ce mode de gouvernance, on s’aperçoit que les désirs présidentiels ne sont pas forcément des ordres. Trump doit reculer (droits de douane) ou composer avec des contre-pouvoirs existants (judiciaires, surtout). Il est vrai que Hitler lui-même a mis cinq mois à installer sa dictature après avoir été, comme le président américain, démocratiquement élu. On peut encore arguer du fait que Hitler et Trump ont tenté l’un et l’autre d’user de la force pour s’emparer du pouvoir ou pour le conserver, le premier en Bavière par son putsch raté de Munich en 1923, le second avec l’assaut du Capitole par ses partisans, en janvier 2021.Les liens entre Poutine et Xi Jinping bien plus solides qu’avec TrumpConcernant Vladimir Poutine, le parallèle avec Staline, son héros déclaré, ne manque pas de pertinence. Successeur désigné de Boris Eltsine en décembre 1999, l’ancien officier du KGB a sans doute mené une campagne d’attentats meurtriers contre des immeubles d’habitation, puis instrumentalisé une guerre en Tchétchénie pour asseoir un pouvoir incontesté par la terreur. Par la suite, il a mis au pas les oligarques qui pouvaient éventuellement lui faire de l’ombre.La toute-puissance de son pouvoir a été entérinée en février 2003, lors d’une réunion au Kremlin : la conduite de la politique est revenue à Poutine, les oligarques s’occupant de leurs affaires non sans verser de confortables royalties au maître de céans. A l’époque soviétique, Staline a lui aussi instauré un climat de terreur pour s’imposer à ses pairs après la mort de Lénine, puis il s’est assuré une cour d’affidés communistes afin de gouverner sans partage, non sans avoir exterminé par la faim des millions de personnes avant de pratiquer une Grande Terreur sanglante. Hormis cet effroyable bilan humain et la dimension financière, les méthodes de pouvoir d’hier et d’aujourd’hui se ressemblent. Staline était un roué personnage, Poutine n’a rien à lui envier en ce domaine.Cela dit, Trump et Poutine peuvent-ils signer un pacte qui bouleverserait les relations internationales, comme le firent en août 1939 leurs illustres prédécesseurs, pour finalement dépecer l’Europe ? Là encore le parallèle est tentant. Que le Vieux Continent gêne à la fois Washington et Moscou est une évidence. A la Maison-Blanche, c’est le concurrent commercial qui déplaît, au Kremlin, c’est le modèle démocratique. Il ne s’agit plus de se partager l’Europe, mais de la mettre au pas. Pour Trump, c’est en pesant sur le commerce, donc sur l’économie de l’Union européenne par l’imposition de droits de douane. Pour Poutine, il lui faut consolider un cordon de sécurité (Biélorussie, Géorgie, Ukraine pour l’instant) capable d’empêcher la contagion démocratique dans son empire. Accessoirement, le fait de vouloir être chacun maître dans leur pré carré peut également les inciter à s’entendre pour laisser l’autre pousser ses pions respectifs, Trump en mettant la main sur le Groenland et qui sait le Canada, Poutine sur la Moldavie avec des visées sur la Roumanie.Comme tout parallèle historique, celui-ci a ses limites. Nous savons que le pacte germano-soviétique de 1939 a volé en éclat après l’invasion de l’URSS par les troupes allemandes, le 21 juin 1941. Il est difficile d’imaginer un scénario similaire de nos jours entre les Etats-Unis et la Russie. D’autre part, et c’est essentiel, Hitler était intéressé par une alliance avec Staline pour envahir l’Europe de l’Ouest sans risquer d’être pris à revers par l’Armée rouge. Un raisonnement similaire concernant la Chine et la Russie peut certes occuper l’esprit de Trump, mais ce serait une grave erreur de sa part, du même ordre que celle commise par Hitler, prisonnier de son obsession du judéo-bolchevisme qui l’incita à partir à la conquête de territoires orientaux, ce qui le mena à sa perte. Le rapprochement actuel, circonstanciel, de Washington et de Moscou n’aura probablement aucun impact sur le conflit à venir entre les Etats-Unis et la République populaire de Chine. Si Trump s’imagine qu’il peut acheter la neutralité de la Russie poutinienne dans le cadre de l’épreuve de force à venir avec Pékin, il se trompe. Les liens qui unissent Poutine et Xi Jinping sont bien plus solides et importants que les intérêts que pourrait avoir le maître du Kremlin à s’entendre à long terme avec Trump.Nouvelle étape dans l’évolution de notre mondeDepuis des années, Moscou et Pékin répètent qu’ils veulent instaurer un nouvel ordre mondial. Ce discours a du mal à être entendu par les puissances occidentales, alors que les deux capitales ne font qu’œuvrer en ce sens. Le but ultime est de chasser l’influence occidentale du reste du monde, telle qu’elle règne depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Il n’y a pas l’épaisseur d’une feuille de papier à cigarette entre Poutine et Xi Jinping à ce sujet. Penser le contraire, c’est profondément méconnaître les intérêts politiques des deux pays concernés. La Russie poutinienne, nostalgique de l’URSS, est dans une perspective de revanche historique que seule une bonne alliance avec la puissante République populaire de Chine peut lui faire entrevoir. Pékin, de son côté, ne cesse de s’armer pour imposer son ordre, d’abord dans son étranger proche (Taïwan, l’Asie du Sud-Est), puis au-delà en s’appuyant sur un “Sud global” dont le régime communiste chinois prétend défendre les intérêts contre l’impérialisme occidental, tout en pillant ses richesses.José Ortega y Gasset, philosophe espagnol du siècle dernier, estimait que pour bien voir son époque il faut la regarder de loin. A condition, toutefois, de ne pas se tromper de focale. Les débuts tonitruants et très déstabilisateurs de la présidence de Trump ne doivent pas nous aveugler. Nous ne revivons pas en farce la fin des années 1930 avec le lâchage de Munich et le Pacte Hitler-Staline de 1939, comme bien des éléments peuvent le faire croire, mais plutôt une nouvelle étape dans l’évolution de notre monde.La guerre de 1914-1918, à l’origine de tous les drames du XXe siècle, résultait d’un affrontement entre Etats-nations, ce qui s’est ensuite prolongé avec la Seconde Guerre mondiale. Les Etats-nations existent toujours, certes, mais ils ont tendance à se fondre dans de grands ensembles, dont l’Union européenne est l’exemple. Nous sommes, semble-t-il, plutôt à l’aube d’un affrontement entre empires, l’Amérique d’un côté, la Chine de l’autre, avec au milieu l’immense Russie et l’Europe, toutes deux elles-mêmes en conflit, puis le reste du monde comme champ de bataille, avec toutes les guerres annexes qui le déchirent. Pas davantage que le commerce florissant du XIXe siècle n’a adouci les mœurs des Etats-nations et permis d’éviter la guerre de 1914-1918, la mondialisation actuelle n’est un facteur de paix. C’est la dimension de l’affrontement qui semble changer. Au fond, ce n’est pas tant l’histoire qui se répète que le comportement des hommes face à l’adversité, quelle qu’elle soit, qui lui se perpétue.*Journaliste et spécialiste du communisme, Thierry Wolton a en 2024 publié Le Retour des temps barbares (Grasset).
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Publish date : 2025-03-12 16:56:00
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