Trois jours après son altercation inouïe avec Volodymyr Zelensky dans le bureau Ovale, Donald Trump réunit, le lundi 3 mars, ses principaux conseillers à la Maison-Blanche pour décider de la suite des événements. Quelques heures plus tard, le couperet tombe : Washington déclare le gel de son soutien militaire à Kiev. “Le président a clairement indiqué qu’il se concentrait sur la paix. Nous avons besoin que nos partenaires s’engagent eux aussi à atteindre cet objectif”, se contente d’indiquer l’administration républicaine.De l’autre côté de l’Atlantique, l’annonce fait l’effet d’une bombe. Et confirme la pire crainte des chancelleries du Vieux Continent : devoir assumer seules la charge du soutien à l’Ukraine. Le Kremlin jubile, mais les Européens se retrouvent, eux, confrontés au double impératif de combler le vide américain, tout en accroissant massivement leurs propres efforts de défense pour dissuader les ambitions impérialistes de leur voisin russe. En toile de fond, la question cruciale du financement de cette montée en puissance, pour des Etats européens aux marges de manœuvre budgétaires limitées.Dans ce contexte chaotique – et en parallèle du plan à 800 milliards d’euros visant à “réarmer l’Europe” validé par les Vingt-Sept le 6 mars – le sujet de la confiscation des quelque 300 milliards d’euros d’avoirs russes gelés à l’étranger est brutalement revenu sur le devant de la scène. “Assez parlé, il est temps d’agir !”, lançait il y a quelques semaines le Premier ministre polonais Donald Tusk, depuis longtemps avocat, à l’instar de ses voisins baltes, d’une utilisation de cette manne au profit de l’Ukraine. Dès le mois de décembre, l’ex-Première ministre estonienne, et aujourd’hui cheffe de la diplomatie européenne, Kaja Kallas, avait suggéré de saisir ces fonds pour aider à payer “tous les dommages que la Russie a causés à l’Ukraine”.Débat juridiquePour l’heure, les Européens ne se sont cependant pas résolus à franchir le Rubicon. Quelques jours après le début de l’invasion russe, en 2022, les membres du G7 avaient ordonné le gel d’environ 300 milliards d’euros d’actifs de la Banque centrale de Russie placés dans des institutions financières occidentales. Sur ce total, un peu plus de 200 milliards l’ont été au sein de l’Union européenne, principalement auprès d’Euroclear, un organisme international de dépôts de fonds établi en Belgique. Les pays du G7 s’étaient ensuite mis d’accord en 2024 pour utiliser les intérêts générés par ces avoirs gelés (environ 3 milliards par an) pour aider l’Ukraine, sans aller, toutefois, jusqu’à la confiscation pure et simple de ce tas d’or.En cause : la crainte de créer un précédent. “Cette décision aurait un impact majeur sur le système monétaire international, pointe Nicolas Véron, économiste et cofondateur du think tank européen Bruegel. Cela correspondrait à une révision complète des règles en vigueur et il est plus que probable que les conséquences seraient négatives.” Une éventuelle saisie poserait en effet des questions sur le plan légal, notamment en vertu du principe “d’immunité d’exécution”, qui, dans le droit international, empêche la saisie des biens d’un Etat par un autre. Le débat est cependant loin d’être clos. “Il existe une voie solide pour saisir ces actifs, objecte Nigel Gould-Davies, chercheur à l’International Institute for Strategic Studies (IISS) de Londres et ancien ambassadeur britannique en Biélorussie. En vertu de la doctrine des ‘contre-mesures étatiques’, il est tout à fait justifié de saisir les actifs de l’agresseur pour indemniser la victime.”Au-delà du débat juridique, la réticence de certains Européens à mettre les doigts dans le pot de miel s’explique avant tout par des inquiétudes d’ordre économique. En avril 2024, la présidente de la Banque centrale européenne, Christine Lagarde, avait appelé à “examiner très attentivement” tout projet de confiscation, faisant écho aux craintes qu’une telle décision effraie les investisseurs étrangers. Le scénario cauchemar ? Que cela se répercute sur la stabilité financière de la zone euro. “Si les Européens confisquent les réserves de la Banque centrale russe, il est certain que cela fera baisser la confiance dans l’euro comme monnaie de réserve”, abonde Nicolas Véron. Précisément la raison pour laquelle la France, comme l’Allemagne d’Olaf Scholz, freinent encore des quatre fers. Le 4 mars, le ministre français délégué aux Affaires européennes Benjamin Haddad a une nouvelle fois mis garde contre le “message [qui serait] envoyé aux investisseurs” comme l’Arabie saoudite ou la Chine.Forcer la Russie à mettre la main au portefeuilleSe pose néanmoins toujours la question des fonds disponibles pour la reconstruction de l’Ukraine, dont le coût est estimé à ce jour à plus de 524 milliards de dollars par la Banque mondiale. En février 2024, les pays du G7 avaient affirmé que les avoirs russes resteraient “immobilisés jusqu’à ce que la Russie paie pour les dommages qu’elle a causés à l’Ukraine”. Le scénario d’un Kremlin acceptant de payer la facture étant toutefois hautement improbable, celui d’une restitution des avoirs russes l’est tout autant. “Il n’y a aucune chance que la Russie accepte de fournir à l’Ukraine l’argent nécessaire, insiste Svitlana Taran, économiste au European Policy Centre (EPC). Dès lors, plutôt que de laisser ces avoirs être gelés éternellement, l’idée est de les utiliser comme une forme d’avance de paiement sur les réparations.” Ce qui constituerait probablement le seul dédommagement que l’Ukraine puisse espérer toucher de son agresseur.Autre argument en faveur de la saisie, “cela pourrait avoir un effet dissuasif très fort si les agresseurs se rendent compte que leur guerre peut entraîner la confiscation de leurs avoirs”, veut croire Olena Halushka, cofondatrice de l’ONG International Centre for Ukrainian Victory (Icuv). A plus court terme, la confiscation des avoirs russes, qui représentent près de deux fois son PIB, constituerait une manne financière inespérée pour l’Ukraine. A eux seuls, ces fonds permettraient de compenser la disparition des dépenses américaines pendant près de sept ans – le montant des aides fournies par Washington depuis le début de l’invasion atteignant 123 milliards de dollars. “Cela lui fournirait des ressources colossales pour se reconstruire et acheter de grandes quantités d’armes à l’Europe et aux Etats-Unis”, souligne Nigel Gould-Davies. Un enjeu prioritaire pour ce pays visé quotidiennement par des frappes russes contre ses infrastructures civiles et énergétiques.Cela pourrait-il également huiler les rapports entre le nouvel hôte de la Maison-Blanche et son homologue ukrainien ? “Si Donald Trump ne veut plus donner d’armes à l’Ukraine, il serait probablement très heureux de les vendre : ce serait pour lui un excellent moyen de créer des emplois”, reprend l’ex-ambassadeur britannique. De la même manière, ces fonds seraient les bienvenus sur le Vieux Continent pour doper les carnets de commandes des industriels de défense, au moment où les capitales européennes cherchent à renforcer leur production d’équipements militaires. En France, les intérêts des actifs russes gelés ont déjà permis, en 2024, de financer la commande de 12 canons Caesar, ainsi que des obus et des missiles.Risques à nuancerL’urgence du moment poussera-t-elle les Européens à réévaluer les risques ? Certains experts nuancent les inquiétudes. “Je ne crois pas à un scénario de défiance généralisée vis-à-vis de l’euro, soutient Julien Vercueil, économiste spécialiste de la Russie et vice-président de l’Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco). Cela reviendrait à considérer que cette décision est susceptible de se banaliser – ce qui n’est pas le cas. De plus, les investisseurs auraient depuis longtemps retiré leurs avoirs de l’UE s’ils avaient cette peur.” Jusqu’à présent, aucun retrait massif n’a été observé en dépit des durcissements successifs du G7.De fait, les alternatives sont minces : l’euro, le dollar, la livre sterling et le yen constituent, à eux seuls, près de 90 % des monnaies de réserve dans le monde. “Il n’existe en réalité pas beaucoup d’autres devises qui puissent être utilisées pour cela, confirme l’économiste Svitlana Taran. L’hypothèse selon laquelle les investisseurs étrangers se précipiteraient pour retirer leur argent de l’UE me semble donc assez peu convaincante.” Pour limiter cette éventualité, les partisans de la confiscation plaident pour une approche coordonnée au sein du G7. Si Joe Biden avait en son temps ouvert la voie à une telle décision, il sera toutefois difficile de trouver un terrain d’entente entre Bruxelles et Washington, à l’heure où les Etats-Unis s’alignent de plus en plus sur l’agenda russe et ne cachent pas leur aversion pour la Commission.En attendant, le débat a d’ores et déjà pris une dimension nationale. En France, certains élus macronistes, le Parti socialiste et les écologistes ont défendu à l’Assemblée la saisie des avoirs russes gelés. “Avant de faire payer les Français et les Européens, faisons payer les Russes pour la sécurité de l’Ukraine”, a lancé l’ancien Premier ministre Gabriel Attal, lors des questions au gouvernement. Outre-Rhin, la victoire des conservateurs de la CDU lors des dernières législatives, et la prise de fonction prochaine du futur chancelier Friedrich Merz, ouvrent aussi de nouvelles perspectives. “Il y a de bonnes raisons de croire que le nouveau gouvernement allemand n’opposera pas la même résistance que celle du chancelier Scholz, jauge l’ex-ambassadeur Nigel Gould-Davies. Le cas échéant, Emmanuel Macron acceptera-t-il vraiment d’être le seul veto à cette décision, alors même qu’il est prêt à déployer des troupes au sol en Ukraine ?”A Kiev, l’hésitation qui secoue les capitales européennes en rappelle d’autres. “Les réticences sont du même ordre que celles que nous avions entendues pour les chars, puis les avions de chasse, et les missiles à longue portée, retrace Olena Halushka de l’ONG Icuv. A chaque fois, cependant, les Européens ont fini par prendre la bonne décision. J’espère qu’il en sera de même cette fois-ci, et que ce ne sera pas trop tard.” Après la trahison de Washington, le temps presse.
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Author : Paul Véronique
Publish date : 2025-03-09 07:45:00
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