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L’Express

Procès Samuel Paty : « Le verdict a démontré le poids de la rumeur »




Même s’il n’est pas démontré qu’ils ont souhaité l’issue fatale, « ils ont préparé les conditions d’un passage à l’acte terroriste », ont estimé les magistrats de la Cour d’assises spéciale de Paris au sujet de Brahim Chnina et d’Abdelhakim Sefrioui, qui avaient initié la campagne de haine sur les réseaux sociaux menant à l’assassinat de Samuel Paty. Le 20 décembre dernier, le père de l’adolescente auteure du mensonge initial proféré à l’égard du professeur et le prédicateur islamiste ont été déclarés coupables d’association de malfaiteurs terroriste et respectivement condamnés à 13 et 15 ans de réclusion criminelle.Les six autres personnes impliquées, à des degrés divers, dans l’attentat ont également été reconnues coupables et ont écopé de peines allant de trois ans de prison avec sursis à 16 années de réclusion criminelle. Avant d’annoncer le verdict, le président de la cour, Franck Zientara, a avancé avoir pris en compte « la gravité exceptionnelle des faits s’agissant de l’assassinat d’un enseignant à la sortie (d’un) collège par décapitation au moyen d’une arme blanche ». Avant de souligner que « ces faits d’une barbarie absolue constituent une atteinte irrémédiable aux valeurs de la République et à la laïcité ».L’historienne Valérie Igounet, auteure avec Guy Le Besnerais, du roman graphique Crayon Noir. Samuel Paty, histoire d’un prof (éditions StudioFact, 2023), revient sur ces sept semaines de débat à l’issue desquelles le verdict inédit rendu par la Cour fera office de jurisprudence.L’Express : Le poids de la rumeur a été au centre des débats devant la Cour d’assises spéciale de Paris durant ces sept dernières semaines. Le grand mérite de ce procès n’est-il pas d’avoir mis en lumière la cascade de mensonges proférés à l’égard de Samuel Paty ?Valérie Igounet: Certainement. Le mensonge fondateur de toute cette affaire est celui de Z. Chnina, cette collégienne qui explique à son père avoir assisté à un cours d’éducation morale et civique dispensé par Samuel Paty alors qu’en réalité elle n’y était pas. L’adolescente fait croire à sa famille que le professeur aurait ciblé les élèves musulmans en leur demandant de sortir sous prétexte qu’il s’apprêtait à montrer des caricatures de Mahomet et invoque une discrimination à leur encontre. « Cible », « caricature », « discrimination »… Autant de mots-clés qui vont être repris par son père Brahim Chnina et qui vont tourner en boucle sur les réseaux sociaux pendant plusieurs jours. Le soir même, ce dernier pointe du doigt Samuel Paty, le nomme et désigne le collège du Bois d’Aulne à Conflans-Sainte-Honorine où il enseigne. Il est très vite rejoint par Abdelhakim Sefrioui, un propagandiste islamiste professionnel.A partir de là, la vague ne va cesser de grossir. Certains parents vont croire à cette rumeur, comme beaucoup d’élèves et même certains enseignants. Dans notre livre Crayon Noir, la rumeur est symbolisée par des gouttes noires qui s’accumulent et qui aboutissent à une double page cette fois totalement noire symbolisant la mort de Samuel Paty. « Ça représente Samuel Paty qui ferme les yeux pour toujours », a très justement commenté une des élèves que nous avons rencontrés, avec mon co-auteur Guy Le Besnerais, dans le cadre d’une de nos interventions dans les collèges.Vous avez entendu beaucoup de témoignages lors de ce procès. Quels ont été pour vous les plus marquants ?Il y en a énormément mais je pense en premier lieu à la famille de Samuel Paty, et notamment à sa mère Bernadette qui attendait de la justice que ces mensonges soient reconnus et que les condamnations soient à la hauteur des faits. L’ex-compagne du professeur, ses deux sœurs Gaëlle et Mickaëlle ont beaucoup insisté là-dessus : même si le tueur Abdoullakh Anzorov est l’assassin au sens littéral du terme, les autres acteurs ayant participé à des degrés divers à cet engrenage fatal devaient répondre de leurs actes et être jugés en conséquence. Si certains des accusés ont adopté une attitude victimaire, Z. Chnina, elle, a assumé le mensonge initial qu’elle avait proféré allant même jusqu’à dire que c’est elle qui aurait dû être dans le box à leur place.Ce soir, c’est la République qui a gagnéL’autre témoignage qui m’a beaucoup marquée est celui d’Ismaïl Gamaev, premier membre de la « djihadosphère » à avoir été interrogé sur le fond, mardi 10 décembre, et accusé d’ »association de malfaiteurs terroriste » pour avoir longuement échangé avec un autre co-accusé, Louqmane Ingar, et avec Abdoullakh Anzorov à travers un groupe de discussion sur Snapchat baptisé « étudiants en médecine ». Mais c’est le seul à avoir reconnu sa culpabilité. Le jeune homme de 22 ans a raconté à la barre sa radicalisation éclaire en pleine crise du Covid durant laquelle il fut en proie à une grande solitude, mais aussi cette addiction aux réseaux sociaux auxquels il consacrait plus de 12 heures par jour. Un terrain, là encore, propice à toutes les rumeurs, désinformations et accusations mortifères.L’autre intérêt de ce procès n’était-il pas de rétablir la vérité sur l’homme et le professeur qu’était Samuel Paty ?Je pense que, bien avant le procès, le grand public avait pu se faire une image assez juste de Samuel Paty à travers les nombreux articles, livres ou émissions de télévision ou de radio qui lui ont été consacrés. Avec Guy Le Besnerais, nous nous sommes également attachés à décrire le professeur qu’était Samuel Paty sans pour autant le faire sous forme d’hagiographie. Il n’en était absolument pas question, d’abord parce que c’était un homme discret qui n’aimait pas se mettre en avant.Tous les témoignages que j’ai pu recueillir disent à quel point c’était un super enseignant mais aussi un professionnel singulier qui avait à cœur d’ouvrir ses élèves sur l’extérieur, en organisant par exemple des visites à l’Institut du monde arabe, et qui tenait à la transmission de valeurs comme celles de la laïcité ou de la liberté d’expression. Il organisait beaucoup de débats en classe et était très précautionneux vis-à-vis de ses élèves. Paradoxalement, c’est ce qui s’est retourné contre lui lorsqu’il a demandé à ceux qui le souhaitaient de sortir le temps qu’il montre les caricatures dans le cadre de son cours sur la liberté d’expression. Z. Chnina, exclue de son collège deux jours pour des raisons d’indiscipline, s’est emparée de ce prétexte pour justifier son renvoi auprès de ses parents. Vendredi, justice a été rendue, la vérité a été rétablie pour la partie civile. « Ce soir, c’est la République qui a gagné », a déclaré l’un des avocats de la famille.La Cour a déclaré coupables d’associations de malfaiteurs terroristes les auteurs de la campagne menée en ligne contre le professeur d’histoire. Cette décision de justice inédite n’a-t-elle pas aussi un intérêt pédagogique ?Bien sûr, le verdict a non seulement démontré le poids de la rumeur mais aussi l’impact de certains mots qui peuvent aller jusqu’à assassiner. C’est le message que nous essayons de faire passer lorsque nous nous rendons dans des collèges avec cette impression de semer des petits cailloux, tout comme les enseignants qui attendaient l’issue du procès. Certains des élèves que nous rencontrons ont connu des affaires de harcèlement et nous savons tous que ce type d’affaires peut mener très loin, parfois même jusqu’au suicide. Voilà pourquoi il est important de réfléchir à deux fois avant de poster certains messages ou images qui peuvent très vite être démultipliés et atteindre des milliers de personnes sans possibilité de retour en arrière. En tout cas, c’est un sujet qui passionne les adolescents que nous rencontrons. La plupart du temps les questions se bousculent. Il est très rare que nous ayons affaire à une classe silencieuse.



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Author : Amandine Hirou

Publish date : 2024-12-23 12:00:00

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