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L’Express

Guerre en Ukraine : les armes « low cost », clé de la résistance face à l’armée russe ?




Dans la région de Koursk, ce 6 août, le drone ukrainien file à vive allure. Sa cible, un hélicoptère d’attaque russe Mi-28, qui s’approche à basse altitude. Après une embardée, le petit engin parvient à toucher le rotor arrière de l’appareil. Si les services de sécurité ukrainiens revendiquent la destruction de l’aéronef en plein vol, les Russes affirmeront qu’il est parvenu à atterrir en urgence et à sauver son équipage. Quel qu’ait été le résultat de cette attaque spectaculaire, elle a marqué une première dans l’histoire du conflit. Et illustré de façon remarquable la manière dont les technologies à bas coût – parfois issues du civil – ont bouleversé la conduite de la guerre. « Il y a eu plusieurs cas de drones à quelques centaines de dollars touchant des hélicoptères à plusieurs millions », confirme une source militaire ukrainienne.Confrontée à une armée russe aux moyens bien supérieurs, l’Ukraine a été contrainte de chercher des solutions innovantes pour résister. Et après bientôt trois ans de guerre, la demande de matériel bon marché va croissant. « Nous avons besoin d’armes peu coûteuses et que l’on peut produire rapidement », martèle un commandant ukrainien. Les drones FPV (First Person View, en français « vue à la première personne ») en sont l’un des meilleurs exemples. Pilotés en vue subjective par un opérateur relié à une caméra embarquée, ces engins volants ont rapidement envahi le champ de bataille. Début octobre, Volodymyr Zelensky a indiqué que l’Ukraine était aujourd’hui capable d’en produire quatre millions annuellement – contre quelques milliers avant la guerre – et que l’Etat ukrainien avait passé commande pour 1,5 million de drones au cours de l’année. »C’est un moment assez transformatif : les Ukrainiens ont pris une technologie civile et en ont fait un usage sur le champ de bataille, note Stéphane Audrand, consultant en risques internationaux et officier de réserve. Leur utilisation massive en pleine crise des munitions début 2024 a probablement sauvé le pays, en permettant de compenser une partie de la puissance de feu manquante. » Confrontés à cette époque à une grave pénurie d’obus sur fond de blocage de l’aide américaine au Congrès, les Ukrainiens ont intensifié leur recours aux drones FPV pour mener des frappes kamikazes contre les blindés et soldats ennemis. Ces engins disposent d’un atout non négligeable : leur coût. Entre 500 et 1 000 euros selon les modèles, contre environ 8 000 euros pour un obus de 155 mm.Matériel bon marché utilisable en masseLes besoins en matière d’armes bon marché ne se limitent toutefois pas à ces seuls engins. Pour une Ukraine visée quotidiennement par des frappes russes, se pose en parallèle la question cruciale des défenses antiaériennes pour protéger ses infrastructures civiles et énergétiques. Et le moyen de faire face, sans vider ses stocks limités de missiles antiaériens, à une masse toujours plus importante de menaces venues du ciel. Rien qu’en octobre, plus de 2 000 drones longue portée Shahed ont été lancés contre le pays, a indiqué le président ukrainien. « Utiliser des intercepteurs de haute qualité pour abattre ce type d’engins peu coûteux nous conduirait à la faillite, pointe Mykola Bielieskov, chercheur associé au National Institute for Strategic Studies (NISS), un groupe de réflexion placé sous l’autorité de la présidence ukrainienne. Il nous faut des intercepteurs à faible coût pour viser spécifiquement les drones et garder les plus performants pour abattre les missiles balistiques ou de croisière. »Parmi les équipements fournis par les Occidentaux, l’un d’eux s’est montré particulièrement efficace pour contrer les aéronefs russes : le Gepard allemand. Bien que rustique et produit pendant la guerre froide, ce système antiaérien vieux de 50 ans – doté de deux canons de 35 mm guidés par un radar et montés sur un châssis de char Leopard – a été salué pour ses performances. « Les Russes ont un objectif d’épuisement de nos défenses aériennes. C’est pourquoi nous devons augmenter nos moyens adaptés pour abattre les drones. Aujourd’hui, le Gepard est le meilleur à cet égard, en matière de rentabilité », avait souligné, dès 2023, le porte-parole de l’armée de l’air ukrainienne.Un canon antiaérien automoteur de fabrication allemande, connu sous le nom de Flakpanzer Gepard, dans la région de Kiev, le 26 juillet 2023A ce stade, l’Allemagne en a transféré 55 à l’Ukraine, auxquels doivent s’ajouter 15 exemplaires supplémentaires dans les prochains mois. En parallèle, les Etats-Unis en ont livré 60 en juin, achetés à la Jordanie un an plus tôt. Problème, ce système n’étant plus produit depuis les années 1980, les matériels encore disponibles se font rares. « Avec la fin de la guerre froide et la professionnalisation des armées dans les années 1990, les Occidentaux ont commencé à abandonner le segment du matériel bon marché qui pouvait être utilisé en masse, préférant miser sur des équipements de plus en plus complexes et coûteux. Or certaines des impasses qui ont été faites à l’époque se ressentent aujourd’hui en Ukraine, retrace Stéphane Audrand. Même si l’on s’est mis à refaire de l’artillerie antiaérienne à courte portée ces dernières années, les délais de redémarrage des filières industrielles sont longs. »Innovations à petit prixEn septembre, l’industriel allemand Rheinmetall a dévoilé un prototype de sa nouvelle tourelle Skyranger montée sur un châssis de char Leopard – censé remplacer à terme les anciens Gepard. Mais la mise à l’échelle de la production pourrait prendre encore de longues années. « Une stratégie pertinente pour tenir dans la durée serait d’avoir une combinaison entre des équipements de très haute qualité, mais peu nombreux, et d’autres de qualité inférieure mais disponibles en plus grand nombre, pour faire face aux manœuvres de saturation de l’adversaire, résume Yohann Michel, chargé d’études à l’Institut d’études de stratégie et défense (IESD) de Lyon-3. Globalement, aucune force ne peut espérer s’opposer à l’armée russe avec uniquement des missiles Patriot et Javelin : parce que l’on arrivera à court avant la fin de la guerre. »Loin de se reposer uniquement sur l’aide de ses partenaires, l’Ukraine a mis en branle sa propre industrie de l’armement. En 2024, plus de 200 entreprises étaient enregistrées comme produisant des drones militaires – contre sept un an plus tôt. Plusieurs innovations ont d’ores et déjà vu le jour, comme le drone FPV « Sting », dévoilé en octobre, et conçu spécifiquement pour détruire, à moindres frais, les drones Shahed envoyés par Moscou. A l’heure où 60 % du budget de l’Etat est consacré à la défense, Kiev s’emploie aussi à affûter ses capacités de frappe dans la profondeur. Le 10 décembre, Volodymyr Zelensky a annoncé la production en masse du « drone-missile » Palianytsia, doté d’un turboréacteur et capable d’atteindre des cibles situées à 700 kilomètres, ainsi que la livraison aux forces armées ukrainiennes d’un premier lot du Peklo (« enfer », en ukrainien), une munition rôdeuse pouvant atteindre les 700 km/h. »Ces armes développées ces deux dernières années combinent à la fois des caractéristiques du drone et du missile, relève Mykhailo Gonchar, président de l’institut ukrainien Centre for Global Studies Strategy XXI. Et elles ont l’avantage d’être relativement bon marché en comparaison des ATACMS, Scalp ou Storm Shadow, fournis par nos partenaires américains et européens. » En novembre, le président ukrainien avait fixé l’objectif de produire au moins 30 000 drones à longue portée en 2025, et plus de 3000 missiles de croisière.Le « modèle danois » plébiscitéLa déclinaison de ces moyens de frappe à prix compétitif se fait aussi sur mer. Et a offert à l’Ukraine l’une de ses plus importantes victoires de la guerre. Malgré leur quasi-absence de marine, les forces ukrainiennes sont parvenues, grâce à leurs drones navals, à repousser la flotte russe de la mer Noire loin de leurs côtes, l’obligeant à déplacer certains de ses navires de sa base historique de Sébastopol, vers le port de Novorossisk, plus à l’est. Ce succès, obtenu contre toute attente, a de facto mis fin à la tentative de blocus des ports ukrainiens par Moscou. « Nos drones maritimes ont permis de faire fuir les navires russes, abonde Mykola Bielieskov du NISS. Cela montre que des technologies relativement bon marché sont parfois capables d’obtenir le même résultat que des équipements beaucoup plus onéreux. » Malgré des moyens bien supérieurs, la marine russe a perdu plus d’une vingtaine de bâtiments, soit 30 % de sa flotte basée dans le secteur.Un soldat ukrainien prépare un drone FPV avant une opération, le 26 novembre 2024 dans l’oblast de DonetskBien consciente de ses lacunes dans ce domaine, l’armée russe a accéléré ses efforts de transformation ces derniers mois. « Ils progressent vite et rattrapent leur retard », souffle un gradé ukrainien. Fin juillet, le ministre russe de la Défense, Andreï Belooussov, a affirmé que la Russie était désormais en mesure de produire 4 000 drones FPV par jour (soit 1,5 million annuel). « Nous sommes meilleurs pour innover, mais les Russes parviennent mieux à produire en masse », glisse une autre source militaire ukrainienne. Selon des données du ministère de la Défense ukrainien, Moscou a, en 2024, augmenté de 50 % sa production de missiles, de 100 % celle des drones Shahed, et de 260 % celle de ses redoutables bombes planantes – des bombes de gros calibres modernisées grâce à l’ajout d’ailes et d’un module de guidage. »Les Ukrainiens sont très bons pour trouver des solutions innovantes, mais le problème est qu’elles sont rapidement copiées par les Russes qui ont un potentiel industriel supérieur, observe Yohann Michel de l’IESD. L’idéal serait que les Occidentaux les aident à développer des solutions qu’ils trouvent sur le front, afin d’accélérer ensuite le passage à l’échelle industrielle. » A cet égard, le « modèle danois » fait l’unanimité en Ukraine. Après avoir épuisé son stock d’armes transférables à Kiev, le Danemark est devenu, en 2024, le premier pays à investir directement dans l’industrie de défense ukrainienne, en allouant 680 millions de dollars à la fabrication d’armes dans le pays. « L’avantage est double : nos coûts de production sont plus faibles que ceux de nos partenaires et cela développe notre industrie de défense », souligne le chercheur Mykhailo Gonchar. En septembre, 18 canons automoteurs Bohdana financés par Copenhague sont ainsi sortis d’usine. A un peu plus de 2 millions de dollars l’unité, ils sont près de deux fois moins chers que leurs homologues européens.



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Author : Paul Véronique

Publish date : 2024-12-23 05:00:00

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