Tout le monde connaît au moins un tire-au-flanc. Il y a ceux qui n’ont pas besoin de tricher : ils assument totalement ce statut de dilettante avec un sans-gêne et un sang-froid qui perturbent le collectif et entravent le travail de leurs collègues. Leur attitude aussi peu impliquée fait grincer des dents ; les voir survivre, durer, s’implanter et parfois même progresser dans la hiérarchie à une allure vertigineuse bluffe les plus aguerris. Leur CV est refait à la machine à café. « Aussi invirable que fainéant » mais, nuance un envieux, « il est quand même doué » – pour parvenir à ses fins. Il possède forcément des dossiers sur ceux qui comptent ou alors il est, de près ou de loin, un proche de ceux qui sont dans les hautes sphères. Mais ce n’est pas toujours le cas et il se pourrait que celui qui fait de ses camarades ses valets soit une personnalité manipulatrice, telle que décrite par François Lelord et Christophe André dans Les nouvelles personnalités difficiles (Odile Jacob, 2021).Un manager peut observer au sein de son équipe des comportements révélateurs. Certains employés négligent leurs responsabilités : ils se prétendent trop fatigués, surchargés, agitent la menace du burn-out, ou bien ils font faire leurs tâches par d’autres sur le ton agacé de : « voyez le bureau d’à côté ». Ainsi, on reconnaît celui aux tendances psychopathiques : « charme, surestimation de soi, facilité à mentir, froideur émotionnelle, dédain des règles établies peuvent se retrouver au sommet de la hiérarchie et parfois aider à y accéder » (Les nouvelles personnalités difficiles).Cette connaissance presque reptilienne de tous ceux qui l’entourent permet à ce collaborateur, cauchemar de tout manager, de travailler à sa gloire sans traiter ses dossiers. Il bâtit un système qu’il maîtrise sans partage, en exploitant le travail des autres et en récupérant les lauriers. Le collègue énonce une idée, mais lui la formalise et engrange le succès. Cette intelligence de terrain peut toutefois lui être contestée par le narcissique, qui ne se sent guère atteint quand il essuie un refus (« ce n’est jamais de sa faute », selon les experts) mais se réserve « la plus grosse part du gibier tué par la tribu ou pour devenir le chef à la place du chef ». Le manager perclus par le « syndrome de l’imposteur » ou par une timidité naturelle n’a aucune chance : il sera sous emprise du sujet narcissique qui sait « se battre sans état d’âme » pour obtenir ce qu’il désire – démolir l’étage du dessus.Prendre le pouvoir et du bon temps, c’est aussi l’apanage de l’histrionique qui a « tendance à ‘sexualiser’ la relation, même dans un contexte professionnel », précisent François Lelord et Christophe André. Avec un « comportement quelque peu enfantin » cette personnalité séduisante attendrit sa proie, qui adopte un « sentiment protecteur ». La victime est à la fois sous le charme et se sent valorisée, indispensable ; elle ne compte plus ses heures pour couvrir l’histrionique, qui en fait le moins possible.Les plus cachésDans l’art de la paresse, il existe d’autres comportements plus discrets, mais non moins talentueux. Ainsi, le « débordé » que l’on n’arrive jamais à questionner, emmuré derrière une pile de dossiers ou qui court avec son ordinateur portable d’un endroit à l’autre en mode excédé et concentré. Cet austère, qui vérifie tout, est classé dans les « sérieux », mais qu’en est-il de sa productivité réelle ? Jamais il ne prend en charge de travail supplémentaire et à plusieurs reprises, ses propres tâches ont été confiées à d’autres. Sa stratégie rivalise avec celle du « cumulateur », cet autre profil qui, à l’inverse, montre tellement qu’il travaille qu’il ne termine jamais et ne commence parfois même pas. Il se permet pourtant d’expertiser et de juger le travail de celui qui a été obligé de le suppléer.A l’opposé, se trouve le « discret », qui sait se faire oublier : il fait ses heures et ne déroge jamais aux règles. Toutefois, le manager doit le relancer pour comprendre ce qu’il fait, découvrant parfois qu’il a une « double vie » consacrée à des activités parallèles dans lesquelles il excelle. Il pourrait faire partie de ces salariés qui se désengagent progressivement de leur travail en mode quiet quitting. Cette démission silencieuse serait pratiquée par 37 % des Français (« l’implication professionnelle des Français et leur perception de la valeur travail, Ifop pour Les Makers », 2023). Et combien se contentent d’exécuter mécaniquement leurs tâches (mails, appels téléphoniques), ou pianotent sur leur clavier tout en tournant distraitement une page, jusqu’au moment où le logiciel de surveillance se déclenche ? Jamais pris en défaut, ces experts du moindre effort et de l’IA en deviennent même des geeks par la force… de leur paresse.
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Author : Claire Padych
Publish date : 2024-12-16 11:00:00
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