L’Express

Photovoltaïque en Europe : « L’idée n’est pas de mettre les Chinois dehors »

Un mouton paît devant les panneaux solaires d'un champ agrivoltaïque près de Verneuil, dans la Nièvre, le 17 octobre 2022




Les industriels l’attendaient avec impatience. La semaine dernière, quatre grands programmes s’inscrivant dans la transition écologique et énergétique ont reçu le statut de « projet d’intérêt national majeur ». Une notion introduite en octobre 2023 par la loi industrie verte, qui permet la reconnaissance de leur importance dans l’avenir industriel de la France et ouvre la voie à des facilités administratives.Outre l’usine de recyclage moléculaire des plastiques de la société Eastman à Saint-Jean-de-Folleville et celle de production de minerai de fer réduit et d’hydrogène de la société Gravithy, le label a aussi récompensé la future méga-usine de panneaux photovoltaïques Carbon de Fos-sur-Mer. Un projet européen d’ampleur qui mobilise un investissement de près de 2 milliards d’euros, ambitionne de produire plus de 10 millions de panneaux solaires par an, et entend ainsi répondre à la domination de la Chine sur ce marché. Un vœu pieux ? Nicolas Chandelier, le directeur général de Carbon, l’assure : relever le défi est possible, grâce à une régulation efficace et une massification de la production.L’Express : Ce nouveau statut peut-il changer la donne en matière de réindustrialisation ? Certains labels manquent d’efficacité et ressemblent surtout à une opération de communication…Nicolas Chandelier : Bien sûr, il est question d’image et de symbole. Mais ce nouveau statut ne concerne pas une centaine de projets. Quatre seulement ont été retenus. Cela leur confère un caractère assez unique. Ensuite, l’attribution du label permet effectivement d’accélérer sur toute la partie administrative. Elle pèse lourdement. Et c’est inhérent à tous ces projets d’ampleur qui, forcément, peuvent faire peur ou représenter des enjeux inhabituels pour les administrations. Cette annonce permet donc d’envoyer un message à l’ensemble du système administratif pour qu’il facilite leur mise en œuvre.Plus concrètement, ce statut va nous permettre d’avoir la priorité dans l’accès à certains services, comme la fourniture d’électricité. En matière de permis de construire, il nous assure également d’avoir le bon niveau d’attention de la part de tous les acteurs au service de l’Etat. Grâce à cela, nous devrions tenir nos délais, à savoir un début des travaux mi-2025 puis un démarrage de l’activité dès la fin 2026.Aujourd’hui près de 80 % de la production de panneaux photovoltaïque est entre les mains de la Chine. Certains estiment que l’on a perdu la bataille. Pourquoi investir sur ce segment ?Je pense que l’Europe a réalisé, de façon assez douloureuse, qu’elle avait manqué de vision sur sa souveraineté énergétique. Son état d’esprit a changé. L’importance de cette notion a été bien intégrée dans la politique de l’Union européenne, qu’il s’agisse de la question de l’accès à l’énergie, ou de son prix. On sait que celui-ci va constituer le fondement de la compétitivité de tous les autres secteurs. Or l’énergie solaire est celle qui sera la moins chère à produire dans les années qui viennent (deux fois moins que l’énergie nucléaire). Et sa mise en œuvre est extrêmement simple. Certes, les capacités de production d’électricité devront augmenter de manière très importante et on doit le faire avec toutes les ressources disponibles. Mais dans cette équation, la place du photovoltaïque sera très importante. C’est pourquoi il est essentiel pour la France de reprendre la main sur la production de panneaux solaires. Si on n’a pas la capacité de les produire chez nous, on ne fera que déplacer le problème de la dépendance énergétique. La souveraineté énergétique passe par le développement d’une filière industrielle.Selon l’Agence internationale de l’énergie, les coûts de production chinois, sur l’ensemble de la chaîne photovoltaïque sont 20 % plus faibles qu’aux Etats-Unis, et 35 % plus bas qu’en Europe… Comment les industriels du Vieux Continent peuvent-ils se faire une place dans ces conditions ?Le projet de Carbon s’inscrit dans une logique de réindustrialisation confirmée par les textes. La directive européenne « Net zero Industry Act » demande à chaque Etat de produire 40 % des technologies propres utilisées en Europe d’ici 2030, c’est un cadre qui doit permettre de faire émerger une filière industrielle souveraine. En 2030, on estime à peu près à 100 gigawatts la consommation de panneaux solaires en Europe, or aujourd’hui les capacités européennes sont de moins de 5 gigawatts de production annuelle… Cela signifie qu’il y a une marge de progression, mais aussi un marché pour nous. De toute façon, l’Europe dépendra d’une production extérieure car les capacités de production ne peuvent suivre l’évolution de la demande dans les années qui viennent. Mais cela ne doit pas forcément nous tenir à distance de l’objectif de souveraineté.Comment peut-on à la fois protéger notre industrie et conserver une part d’importation étrangère ? Faut-il selon vous des barrières douanières sur les panneaux solaires, comme cela est envisagé pour les voitures d’origine chinoise ?Instaurer un droit de douane de 40 % d’entrée de jeu et de façon aveugle me semble compliqué. Il nous faut faire émerger une filière européenne, mais il faut également permettre à des acteurs asiatiques ou d’autres nationalités de continuer à fournir afin de ne pas ralentir la transition énergétique. Le but n’est donc pas de « mettre les Chinois dehors ». Toutefois, aucun projet ne subsistera sans travail du régulateur. Est-ce que les droits de douane sont la meilleure réponse ? Est-ce qu’il faut consacrer 40 % des part de marché aux installations de panneaux pour les particuliers ? Doit-on conditionner certaines aides ou les distribuer au prorata du contenu européen des équipements ? Plusieurs options sont sur la table.Le coût de la main-d’œuvre, les subventions accordées par la Chine à son industrie et l’évolution du prix du marché du carbone en Europe posent des questions de compétitivité. Comment faire pour la sauvegarder ?Quand on regarde de près la structure des coûts, on se rend compte que la main-d’œuvre directe représente moins de 10 %. Par ailleurs, la fabrication des panneaux photovoltaïque demande une main-d’œuvre assez qualifiée, donc les acteurs chinois n’ont pas d’avantage structurel dans ce domaine. Enfin, nous avons de l’expérience dans l’intelligence industrielle, la connaissance du produit, la recherche (en Allemagne et en France avec notamment le CEA). Ce qui nous manque aujourd’hui c’est la massification de la production. C’est le seul modèle possible, car il y a des coûts fixes qui ne peuvent être amortis que par le volume. Cette massification, c’est de l’automatisation et de la digitalisation. Cela reste possible ! D’autres industries l’ont fait en Europe et en France. STM, par exemple, a passé ces étapes dans l’électronique et fait preuve de compétitivité.Le deuxième aspect, c’est la verticalisation du processus industriel. Cela veut dire intégrer toutes les étapes de fabrication des panneaux solaires, sinon on ne pourra pas être souverains. C’est pour cela que nous avons décidé d’être présents sur toutes les étapes : on fabrique le « waffer » – le composant de base entrant dans la fabrication de puces d’ordinateurs et de cellules solaires -, les cellules et enfin le module final. Si on n’est pas présent sur la première étape, on va devoir acheter des « waffers » en Chine, qui domine à 97 % la production mondiale. A terme, nous visons un prix ne serait pas plus de 10 % plus cher que ceux pratiqués par les acteurs chinois.L’instabilité politique observée en France, et le ralentissement de l’ambition climatique à l’échelle de l’Union européenne peuvent-ils peser sur votre activité ?Ce que je peux dire, c’est que personne ne va à l’encontre du développement du photovoltaïque en France, bien au contraire. Tous les partis politiques se sont exprimés en faveur d’une industrialisation française et européenne. Donc je dirais qu’on ne pourrait pas être dans un environnement plus favorable par rapport aux sujets qu’on porte. Au niveau de l’Union européenne, notre projet est encadré par une réglementation, maintenant c’est uniquement un sujet de mise en œuvre.



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Author : Valentin Ehkirch

Publish date : 2024-07-14 08:30:00

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