Lundi 30 avril 1945. Au terme d’une guerre marquée par une barbarie et une destruction sans précédents, Adolf Hitler se donnait la mort dans son bunker berlinois. Quatre-vingts ans plus tard, sa figure continue de nourrir les travaux de nombreux historiens. Timothy Ryback fait partie de ceux-là. Ancien enseignant-chercheur à l’université Harvard, auteur de quatre ouvrages consacrés au sujet – dont Takeover. Hitler’s Final Rise to Power (“La prise de pouvoir. L’ascension finale de Hitler”, 2024, non traduit) et Dans la bibliothèque privée de Hitler (Cherche-Midi, 2009) -, ce spécialiste de la Shoah est convaincu que bien des facettes de l’ancien dictateur nazi restent encore à explorer. Dernier sujet d’étude : sa politique économique. Une plongée dans les tarifs douaniers du IIIe Reich – Hitler voulait “libérer” le peuple allemand du joug de l’ordre mondial mondialisé -, résonnant étrangement avec les débats actuels. “Le nationalisme belliqueux n’est jamais une bonne chose”, prévient Timothy Ryback, l’un des derniers historiens à avoir interrogé Traudl Junge, la secrétaire personnelle d’Adolf Hitler, présente lors du dernier déjeuner du Führer, juste avant son suicide. Entretien.L’Express : En quoi les droits de douane imposés par Hitler en 1933 à ses voisins – notamment les pays scandinaves et les Pays-Bas – permettent-ils de mieux comprendre la guerre commerciale lancée par Donald Trump ?Timothy Ryback : Ce que je dirais, tout d’abord, c’est que l’histoire ne se répète jamais. L’Amérique n’est pas sur le point de devenir un quatrième Reich. Et en tant qu’historien, je ne tracerai jamais de ligne directe entre une figure historique et une figure politique contemporaine. Cela dit, si l’on devait identifier des parallèles, notamment sur la politique tarifaire, je dirais qu’il s’agit dans les deux cas d’une nation qui décide de se détourner du monde, de se replier sur elle-même pour servir ses propres intérêts en premier : “America First”, dit Trump. Le programme de Hitler, en somme, c’était : “Germany First.” Il accusait les “criminels de novembre” – ces responsables de 1918 qui avaient accepté l’armistice et fondé la République de Weimar – d’être responsables de tous les maux de l’Allemagne. Il rejetait la démocratie et voulait essentiellement effacer tout cela pour rendre à l’Allemagne sa grandeur passée.Ce que je trouve aussi important, et que j’ai découvert au fil de mes recherches sur Hitler, c’est que, pendant longtemps, toute analyse de l’Allemagne nazie était dominée par un seul sujet : la Shoah. Toute réflexion revenait inévitablement à cette question centrale : comment un pays aussi civilisé que l’Allemagne a-t-il pu basculer ainsi ? Evoquer Hitler, c’était parler de sa haine des Juifs, des mécanismes de l’extermination, du chemin qui y a mené. Ce qui est fascinant, c’est qu’au-delà des horreurs de la Shoah – qui ne doivent bien sûr jamais être minimisées -, l’attention se porte désormais davantage sur les attaques de Hitler contre la démocratie. Soudainement, on découvre chez lui des facettes auxquelles nous n’aurions jamais prêté attention auparavant. Par exemple, l’une des premières cibles de Hitler dans le domaine économique fut Hans Luther, le président de la Reichsbank, la Banque centrale allemande, que Hitler a réussi à limoger peu de temps après son arrivée au pouvoir [NDLR : Donald Trump a récemment envisagé de destituer Jerome Powell, président de la Fed, avant d’y renoncer]. Autre illustration : l’idée récemment évoquée aux Etats-Unis de créer une médaille honorifique de la maternité pour les mères ayant six enfants ou plus : c’est directement calqué sur une politique centrale du régime nazi !Vous soulignez qu’en janvier 1933, au moment où Hitler fut nommé chancelier, l’économie montrait pourtant des signes de reprise après la catastrophe du krach de 1929…Quand on pense à la République de Weimar, l’image qui vient spontanément à l’esprit est celle de brouettes débordantes de reichsmarks pour acheter une simple miche de pain. Mais cette scène renvoie à la crise hyperinflationniste de 1923. Ce qu’on oublie souvent, c’est qu’à partir du milieu des années 1920, l’économie allemande avait amorcé un redressement. A cette époque, le parti nazi était quasiment inexistant sur le plan électoral.Ce n’est qu’avec le krach de 1929, qui a touché le monde entier, qu’on a vu la montée en puissance soudaine du Parti nazi, mais aussi du Parti communiste. Le centre politique, lui, s’est effondré, incapable de répondre à la détresse sociale – un travailleur sur trois était au chômage. En quête de réponses, les électeurs se sont tournés vers les extrêmes. Et les données électorales le montrent : des électeurs passaient directement du Parti communiste au Parti national-socialiste, sans passer par le centre.Vous soulignez le manque de connaissances économiques d’Hitler…Ce qu’il avait néanmoins parfaitement compris, c’est que, au bout du compte, la politique primait sur l’économie. Et surtout, il convient de garder à l’esprit l’existence d’un agenda caché. Car malgré tout le tumulte autour des droits de douane, de la répression de la presse, de la pression exercée sur les gouvernements régionaux ou encore de la centralisation des ministères au profit du Reich, la véritable priorité de Hitler, son obsession, c’était le réarmement de l’Allemagne. Le jour même où il annonçait sa guerre commerciale contre les importations scandinaves, il réunissait son cabinet à 17 heures pour leur dire que la seule chose qui comptait vraiment, c’était de rebâtir la puissance militaire allemande.En quoi l’annonce des droits de douane par Hitler a-t-elle contribué à affaiblir l’économie allemande ?Ce que l’on observait alors, c’est que l’Allemagne était étroitement dépendante de ses échanges commerciaux avec ses voisins. Et cela, plusieurs figures du monde économique l’ont rappelé à Hitler. Une lettre de l’Association allemande de l’industrie et du commerce, cosignée par Eduard Hamm, ancien ministre de l’Economie, disait en substance : “Vous tentez de restreindre les importations, mais nos exportations sont en réalité quatre fois supérieures à nos importations. Et nous avons besoin de bonnes relations avec nos voisins.” Autrement dit, le protectionnisme prôné par Hitler menaçait une économie qui, comme vous l’avez souligné, était pourtant en train de se redresser après le krach de 1929.On a sous-estimé à quel point Hitler manquait de confiance en lui sur le plan personnelCette inquiétude transparaissait dans la presse, dans les discours politiques, dans les milieux d’affaires : partout, on répétait “pas d’expérimentations économiques”, “pas d’aventurisme”, car les indicateurs étaient en train de s’améliorer. Kurt von Schleicher, le chancelier que Hitler allait remplacer, l’avait d’ailleurs affirmé à Hindenburg, président du Reich : “Donnez-moi six mois. L’économie se redresse, le chômage recule.” Au même moment, le soutien électoral des nazis s’érodait : les élections fédérales de 1932 avaient marqué leur apogée, avec 37 % des voix. Lors des élections de novembre, ils perdirent deux millions de suffrages. Le parti perdait des adhérents, et il commençait même à se fracturer en interne. Si Schleicher était resté en poste quelques mois de plus, l’économie aurait probablement poursuivi son redressement, et la dynamique nazie aurait continué de s’essouffler. Le parti n’aurait sans doute pas disparu, mais serait sans doute revenu à son niveau “naturel”, autour de 18 à 20 %. A ce moment-là, le parti nazi était véritablement en crise. Mais Hitler a su manipuler le jeu politique au point de reconfigurer l’économie selon ses propres objectifs, en la plaçant progressivement en mode “économie de guerre”. Il a bien sûr lancé le réarmement, mais aussi des programmes de travaux publics, dont le plus emblématique reste la construction des autoroutes, conçue comme un levier de relance économique.Trump n’est pas Hitler. Mais tous deux, dès leur arrivée au pouvoir, ont instauré des droits de douane, contesté les engagements internationaux et remis en cause l’ordre constitutionnel. Voyez-vous des similitudes dans leur manière d’exercer le pouvoir ?La question que l’on doit se poser est donc la suivante : à partir de quel moment une guerre commerciale devient-elle une guerre armée ? Que se passe-t-il quand on arrête de négocier pour commencer à confronter ? C’est une stratégie de l’escalade plutôt que celle du compromis. Et je pense que c’est cette logique-là qui nous a finalement conduits à la Seconde Guerre mondiale. Le nationalisme belliqueux n’est jamais une bonne chose.Les nazis, et Hitler en particulier, avaient très bien compris les rouages de la démocratie. Ils savaient que la démocratie repose sur le consensus pour fonctionner. La stratégie nazie a été de polariser la société, de vider le centre, et de rendre impossible tout compromis ou dialogue entre les camps opposés. Une fois cela fait, le système démocratique s’effondre de lui-même. Et je pense que cette posture actuelle de l’administration américaine, ce refus constant de compromis, ce besoin d’enfoncer le clou à chaque fois, c’est exactement ce que Hitler faisait. Il ne négociait jamais. Il intimidait ou anéantissait toute opposition, qu’elle vienne de ses propres rangs, ou de l’extérieur. En l’occurrence, je pense qu’il y a effectivement matière à s’inquiéter. Winston Churchill disait – c’est l’une de mes citations favorites – : “On peut toujours compter sur les Américains pour faire ce qu’il faut, mais seulement après avoir essayé toutes les autres options.” Cela me semble résumer à merveille la politique étrangère des Etats-Unis.C’est-à-dire ?En tant qu’Américain, je reste convaincu que, même dans les pires fiascos, comme la guerre au Vietnam par exemple, certaines interventions, malgré des erreurs d’analyse ou de stratégie reposaient sur une croyance sincère : essayer de rendre le monde meilleur. Mais aujourd’hui, il semble que les Etats-Unis aient abandonné cette aspiration à améliorer le monde. Le mot d’ordre est devenu : “America First”, peu importe le sort des autres. Qu’importe que l’on ait été allié ou non. La seule question semble être : “Est-ce que cela sert nos intérêts ?”. Et je pense que cela dépasse la responsabilité d’une seule personne. C’est l’expression d’un changement de posture collectif, d’une nation qui renonce à des valeurs fondamentales qu’elle avait portées pendant des siècles. C’est exactement ce qui s’est produit en Allemagne sous Hitler. Quant à savoir ce qu’il adviendra des Etats-Unis, l’Histoire le dira.Le 30 avril prochain marquera le 80e anniversaire de sa mort. Comment expliquez que son ombre plane toujours sur nos sociétés occidentales ?Je pense que c’est lié à la nature profondément singulière de ce moment dans l’histoire du XXe siècle – et même, peut-être, dans celle de l’humanité. A chaque retour sur cette période, on découvre un angle nouveau, une résonance différente. Quand on regarde l’historiographie, dans les années 1950 et 1960, on se focalisait surtout sur la Seconde Guerre mondiale, le militarisme allemand, les batailles, les stratégies militaires.Ce n’est qu’à partir des années 1970, surtout en Allemagne, que la question de la Shoah a véritablement émergé comme clé de lecture principale. C’est à ce moment-là qu’on a commencé à étudier le Troisième Reich à travers ses politiques racistes et antisémites avec cette grande question en toile de fond : comment une société aussi avancée a-t-elle pu en arriver là ? Cela a donné lieu à des débats majeurs, notamment entre les “fonctionnalistes”, qui voyaient dans la Shoah une dérive monstrueuse de la modernité industrielle, et les “intentionnalistes”, qui estimaient que Hitler avait dès le début, la volonté délibérée d’exterminer les Juifs.Et aujourd’hui ?Depuis surtout 2016, le nom de Hitler refait surface dans le débat public, y compris dans les propos de certains anciens membres de l’administration Trump. Lors de la dernière campagne présidentielle, certains l’ont qualifié de fasciste, évoquant sa prétendue fascination pour l’ancien chancelier allemand. Et soudain, on découvre une autre dimension de Hitler, moins explorée jusque-là : sa vision de la démocratie, et les mécanismes précis par lesquels il a d’abord paralysé, puis démantelé les structures et processus démocratiques en s’appuyant… sur leurs propres règles. Dans un épisode resté célèbre, Hitler, convoqué en 1930 devant la Cour constitutionnelle, aurait déclaré : “L’article premier de notre Constitution dit que le gouvernement est l’expression de la volonté du peuple. Une fois devenu chancelier, je modèlerai le gouvernement comme je le jugerai bon”. Le juge, surpris, lui aurait alors demandé si cela se ferait uniquement par des moyens constitutionnels. Ce à quoi Hitler a répondu : “Jawohl” (tout à fait). Et il a effectivement mis ce plan à exécution, étape par étape, en restant à l’intérieur même du cadre démocratique.De nombreux ouvrages ont été consacrés à Hitler. Subsiste-t-il une part de mystère autour du personnage ?On a sous-estimé à quel point Hitler manquait de confiance en lui sur le plan personnel. ll ne faut pas oublier qu’il venait d’une région reculée d’Autriche, qu’il s’exprimait avec un fort accent autrichien, et que son parcours scolaire s’était interrompu à l’âge de 16 ans. Même une fois chancelier, il avait toujours cela à l’esprit. Le fait qu’il ait lu un livre chaque soir tout au long de sa vie adulte était une manière de compenser ce manque d’éducation. On ne pense pas spontanément à Hitler comme à un homme rongé par le doute. Pourtant, selon moi, ses nombreuses insécurités ont très certainement nourri les haines qui ont structuré son idéologie et guidé son action.Le temps qui passe, les récits accumulés autour de sa vie et les tentatives d’explication des crimes qu’il a commis ne contribuent-ils pas à lui conférer une épaisseur intellectuelle qu’il n’avait pas réellement ?En effet. Hitler disait lui-même : “Quand quelqu’un donne, il doit prendre. Moi, je prends ce dont j’ai besoin dans les livres.” Lorsque j’ai interrogé, au début des années 2000, les derniers survivants de son entourage, tous s’accordaient à dire que Hitler était constamment entouré de livres. Le matin, au petit-déjeuner, il discutait des livres qu’il avait lus la veille au soir. Environ 1 200 volumes issus de sa bibliothèque personnelle sont aujourd’hui conservés à la Library of Congress (Bibliothèque du Congrès américain), certains annotés de sa main. De tels détails peuvent faire croire à une réelle profondeur intellectuelle.Mais en réalité, Hitler n’avait qu’une éducation très limitée. Il ne lisait pas Nietzsche ou Schopenhauer comme un intellectuel ou un universitaire l’aurait fait. Il lisait des condensés, des résumés simplifiés, dont il extrayait simplement les phrases qui l’arrangeaient. Donc, la profondeur du mal qu’il a perpétré est incroyablement grande, mais la compréhension qu’il avait de ce qu’il faisait était très superficielle. Je dirais que les mots justes pour le qualifier sont “vicieux” et “superficiel”, plutôt que “profond” et “maléfique”, comme on pourrait l’attribuer à une vision schopenhauerienne, wagnérienne ou nietzschéenne des choses. Ce qu’on voit chez Hitler, c’est une forme de méchanceté mesquine, brutale, sans raffinement.Vous avez notamment interrogé Traudl Junge, sa secrétaire particulière. Qu’est-ce qui vous a le plus marqué dans son témoignage ?Ce qui m’a frappé, et c’est devenu une conviction au fil de mes recherches, c’est un aspect peu exploré de la personnalité de Hitler : son intérêt profond pour la spiritualité et l’occultisme. En travaillant sur son ancienne bibliothèque, j’ai découvert, dans plusieurs collections, notamment à la Library of Congress et à l’université Brown, un nombre surprenant de livres portant sur des sujets ésotériques ou mystiques, comme un exemplaire des prophéties de Nostradamus publié en 1919, que Hitler possédait déjà en 1920 ou 1921, au commencement de sa carrière politique. Ces livres se trouvaient encore avec lui dans le bunker de Berlin, en 1945, au moment de sa mort. Ce sont donc des ouvrages qu’il a conservés pendant plus de vingt ans, jusqu’à la fin !Hitler croyait qu’une force supérieure l’avait guidé tout au long de sa vie et de sa carrièreTraudl Junge, aujourd’hui disparue, avait été sa secrétaire personnelle durant les dix-huit derniers mois de sa vie. Elle faisait partie des quatre personnes présentes lors du tout dernier déjeuner de Hitler, quelques heures avant son suicide. Elle était donc l’une des dernières à l’avoir côtoyé de près. En lui montrant des photocopies de ces ouvrages annotés de la main de Hitler, elle m’a confirmé qu’il s’agissait bien de son écriture et que ces sujets-là l’obsédaient réellement. Elle m’a dit qu’il croyait sincèrement à l’existence de forces supérieures. Il faut se rappeler que Hitler avait survécu à une vingtaine de tentatives d’assassinat, dont celle de juillet 1944, où une valise piégée avait explosé juste à côté de lui lors d’une réunion. Il était sorti indemne de l’attentat, ses vêtements encore fumants, persuadé d’être protégé par une mission divine. Dans ses discours, il évoquait régulièrement cette “Providence”, qu’il appelait Vorsehung (“destin manifeste”), et disait être guidé par elle.Qu’est-ce que Traudl Junge vous a raconté sur l’état d’esprit de Hitler dans les derniers jours ?Hitler répétait souvent et l’avait déjà dit en janvier 1933, lorsqu’il avait été nommé chancelier, qu’à chaque fois qu’il pensait que tout était perdu, un événement inattendu survenait pour le sauver. Il l’avait confié au chancelier sortant Kurt von Schleicher : son parti était à l’agonie, ruiné financièrement, et pourtant, il avait été nommé chancelier. Ian Kershaw, l’un de ses plus grands biographes, résumait les choses ainsi : Hitler semblait avoir “la chance du diable”. Il était toujours sauvé au dernier moment. Pendant la Seconde Guerre mondiale, Hitler croyait vraiment qu’il y aurait, à la fin, un retournement de situation qui sauverait l’Allemagne. Et puis, il y a eu la mort de Roosevelt en avril 1945. Hitler l’a interprétée comme un signe. Pour lui, c’était le miracle attendu. Il espérait que les Américains se retireraient de la guerre, qu’ils changeraient de camp, qu’il y aurait un réalignement politique. Même reclus dans son bunker, Hitler attendait encore un miracle. Mais cela ne s’est pas produit. Et c’est à ce moment-là, m’a confié Traudl Junge, que Hitler est entré dans une profonde dépression. Tous autour de lui tentaient de le convaincre de fuir Berlin – il existait encore des voies d’évacuation. Il aurait pu poursuivre la lutte ailleurs. Mais il avait, au fond, abandonné. Elle m’a décrit ce dernier déjeuner, pris dans le silence, quelques heures avant son suicide : il était affalé sur son assiette, prostré, et tout le monde savait que c’était la fin. Et lui aussi le savait. Traudl Junge pensait qu’il cherchait à comprendre une force supérieure à l’œuvre dans l’univers, quelque chose d’inscrit dans les lois physiques du monde. Il croyait qu’une force supérieure l’avait guidé tout au long de sa vie et de sa carrière. Je crois sincèrement qu’il pensait être destiné à accomplir ce qu’il a fait.Vous expliquez avoir adopté une approche différente de celle d’autres historiens pour analyser Hitler. En quoi consiste-t-elle ?Le rôle de l’historien est d’expliquer comment on est passé d’un point A à un point B dans l’histoire. Et pour cela, on s’appuie sur le recul historique : on écarte tout le “bruit de fond” pour ne retenir que les faits les plus pertinents, ceux qui semblent donner du sens à une trajectoire à un personnage ou à un événement. Le problème, c’est que cela peut finir par créer une forme d’inévitabilité historique. Ce que j’ai essayé de faire ces dernières années, c’est exactement l’inverse. J’ai mis de côté tout ce que je pensais savoir sur Hitler, et j’ai revécu les événements, jour après jour, uniquement à partir de ce que les gens savaient à ce moment-là – y compris Hitler lui-même. Je lis les journaux de l’époque, les journaux intimes, les comptes rendus de réunions… et surtout, je garde le “bruit” ambiant que la plupart des historiens filtrent habituellement. Et ce qu’on obtient alors, c’est une image très différente du personnage et de son parcours. Mon interprétation de la trajectoire de Hitler revient à cette expression que j’évoquais : “la chance du diable”. Il y a eu tellement de moments dans sa carrière où il aurait dû échouer : où il aurait pu être assassiné, où il aurait dû être arrêté, ou tout simplement où les choses auraient dû s’effondrer pour lui. Mais à chaque fois, d’une manière ou d’une autre, les circonstances tournaient en sa faveur.Et quand on regarde les choses sous cet angle, Hitler semble moins être une incarnation absolue du mal, et davantage un homme rusé, calculateur, qui tâtonne, se trompe. Le Hitler que je vois aujourd’hui, à travers ce travail, est un homme beaucoup plus chaotique, désorganisé, imprévisible. Il restait certes obstinément fixé sur ses objectifs, mais les événements ont, encore et encore, joué en sa faveur. Et c’est peut-être cela qui rend son ascension aussi troublante.
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Author : Laurent Berbon
Publish date : 2025-04-28 17:30:00
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Monday, April 28