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Dans son livre Un secret si bien gardé (Ed. Grasset), l’ancienne patronne d’Areva Anne Lauvergeon le décrit comme l’un des meilleurs spécialistes des questions énergétiques. Passé par le CEA, EDF et Goldman Sachs, avant de créer sa société E-Pango, un fournisseur de gaz et d’électricité, Philippe Girard revient pour L’Express sur la Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) de la France, dont la nouvelle version est débattue ce lundi 28 avril à l’Assemblée nationale. Pour l’expert, ce texte est largement perfectible. En dépit des enquêtes parlementaires récentes, les discussions sur l’énergie et de prix de l’électricité restent polluées par un manque de rigueur scientifique et des choix idéologiques malheureux.L’Express : Qu’est ce qui cloche avec la PPE ? Ces dernières semaines, ce texte a soulevé beaucoup de critiques de la part des parlementaires et des spécialistes de l’énergie.Philippe Girard : Ce texte possède de nombreux défauts. De manière générale, il manque de précision. Par exemple, Il ne se penche pas assez sur l’évolution des différentes composantes du prix de l’énergie. Sans ces éléments, il est difficile de prévoir quoi que ce soit. A moins de faire des hypothèses hasardeuses. Le document ne statue pas non plus sur la place des différentes sources d’énergie dans notre mix. Au lieu de trancher, il juxtapose.Ainsi, la PPE suppose que les ménages vont investir pour la souveraineté énergétique, sans véritablement aborder la question du capital dont ils disposent. On part du principe qu’il y aura bientôt un million de nouvelles pompes à chaleur chez les particuliers par an. Si vous comptez 2 000 euros par équipement – une hypothèse vraiment prudente -, cela veut dire que les Français vont dépenser plus de 2 milliards d’euros. C’est une grosse somme. Rappelons que les chaudières à gaz ou fuel peuvent largement durer plusieurs dizaines d’années. En changer à mi-parcours n’est pas rationnel.Du côté de l’offre d’énergie, la PPE évite les sujets qui fâchent. Celui du gaz par exemple. Je ne comprends pas la stratégie française en la matière. Acheter du gaz au Qatar, en Algérie, ou aux États-Unis va à l’encontre de notre objectif d’indépendance énergétique. C’est s’exposer aux variations de prix des marchés, sans parler du surcoût lié au transport, à la liquéfaction et la regazéification de cette matière première. La possibilité d’en produire en France n’a jamais été discutée. Sous le mandat de François Hollande, la France a même interdit de chercher des moyens moins polluants et plus efficaces pour extraire le gaz de schiste. C’est merveilleux ! A la place de Gazprom et de ses homologues américains, j’aurais applaudi.En France, on met en avant la réduction de CO2 en oubliant que celle-ci est inhérente à certains procédés industriels, comme la production d’acier. On oublie aussi qu’avant de dépenser beaucoup pour assainir l’atmosphère, il vaut mieux être riche. L’exemple de la Norvège est éclairant. Pourquoi ce pays parvient-il à déployer à ce point les véhicules électriques ? Parce qu’il a les moyens de les financer. Et d’où viennent ses ressources budgétaires ? De la vente passée des hydrocarbures (pétrole, gaz naturel).La PPE épargne-t-elle le nucléaire, qui constitue l’une des forces de la France ?Là encore, il faudrait revoir la copie. Première anomalie, le fait d’arriver à 361,4 térawattheures (TWh) de production nucléaire en 2024 est présenté comme une victoire. Pourtant, cela veut dire que le facteur de charge des réacteurs d’EDF, c’est-à-dire leur production effective par rapport à celle qui aurait pu être atteinte s’ils avaient fonctionné à plein régime, atteint à peine 67 %. Or les études montrent qu’il ne faut pas descendre en dessous de 85 % car sinon, le coût de l’électricité par mégawattheure devient trop élevé. Les Américains arrivent à se maintenir légèrement au-dessus de 90 %. Si nous faisions de même, nous aurions une production proche de 500 TWh. Par rapport à la situation actuelle, l’écart serait considérable. Nous n’aurions pas besoin d’envisager 14 nouveaux EPR. Dire que l’on relance le nucléaire en gardant un facteur de charge aussi faible, cela n’a pas de sens.Deuxième anomalie, EDF n’a toujours pas augmenté la capacité de production des réacteurs existants. Lorsque je me déplace à l’étranger, je constate que les gestionnaires de parc le font dès qu’ils peuvent. Logique : cela leur permet de produire davantage à coût fixe identique. Le record revient d’ailleurs à la Suède qui a accru de 40 % la capacité d’un de ses réacteurs.En France, c’est devenu un fantasme. Au fil des ans, EDF a changé beaucoup d’éléments dans la plupart de ses réacteurs : les alternateurs, les générateurs de vapeur, les couvercles de cuves. Mais sans jamais augmenter les capacités déclarées de leurs réacteurs.Dernière anomalie, les nouveaux réacteurs EPR2, qui n’existent encore que sur papier, produiront à coup sûr une électricité trop chère. Leur puissance annoncée dépasse 1 600 mégawatts (MW). Or les études montrent que l’optimum économique se situe plutôt à 1 000 MW. Ce n’est pas un hasard si la Chine produit essentiellement des réacteurs de ce second calibre. Personne ne semble l’avoir dit à Emmanuel Macron.La diminution du facteur de charge de nos réacteurs s’explique-t-elle par la montée trop rapide des énergies renouvelables, comme certains le dénoncent ?Pas entièrement. En France, on n’a quasiment pas fait évoluer le combustible nucléaire depuis 25 ans. Nous sommes obligés de le changer tous les dix mois pour un grand nombre de réacteurs. Forcément, cela fait plus d’arrêts que dans d’autres pays. Dans le passé, changer le combustible d’un réacteur prenait entre 40 à 50 jours au maximum. Cette année, en prévisionnel, si tout se passe bien, on sera à 100 jours ! Ce n’est pas tout à fait la même chose. EDF a beau invoquer plusieurs contraintes réglementaires, on peut sérieusement se demander s’ils n’ont pas perdu la maîtrise de ce genre d’opérations.Doit-on s’inquiéter pour l’avenir de notre système énergétique ?Il y a effectivement une série de problèmes, qui dépassent d’ailleurs nos frontières. Au niveau européen, la situation est bancale. Au nom de la décarbonation, les différentes nations développent de l’intermittence et comptent sur leurs voisins, si par hasard elles manquent de vent ou de soleil ou si elles en ont trop. Sauf qu’on s’aperçoit qu’en Europe, en matière d’énergie renouvelable, tout le monde est excédentaire ou déficitaire en même temps ! On peut d’ailleurs se demander à quoi vont servir toutes les lignes d’interconnexion qui sont en train d’être construites. Elles n’empêchent pas les prix de l’électricité de chuter ou de s’envoler d’un coup, en fonction des écarts entre l’offre et la demande.Dans le passé, il existait des contrats liant les différents pays pour limiter les risques. Ils permettaient, par exemple, à la France d’importer – pendant une vingtaine de jours par an – de l’électricité d’Italie même si celle-ci était davantage carbonée. Aujourd’hui, l’Europe ne se préoccupe pas de savoir comment équilibrer le système. On a fermé le charbon, le fuel. Sur les dix prochaines années, la capacité nucléaire devrait diminuer légèrement, le temps de construire de nouveaux réacteurs. En parallèle, on développe beaucoup les sources d’énergie intermittentes. Comment équilibrer tout ça ? Personne ne le sait mais on continue.A ce titre, le document envoyé par RTE à Bruxelles dans le cadre d’un exercice de prévision baptisé ERAA-2025 est éloquent. On n’y trouve pour la France aucun investissement en batterie afin de stocker l’électricité d’ici à 2035 et aucune amélioration de la capacité nucléaire installée ! Certes, le document mentionne davantage de stockage hydraulique. Mais il ne prévoit pas un électron de plus côté nucléaire.Si on ne développe pas certains moyens de production et de stockage, il y aura des coupures. Par exemple, lors d’épisodes de froid sans vent ni soleil, à l’image de ce que nous avons connu l’hiver dernier. Autrefois, les questions techniques sur l’équilibre entre l’offre et la demande ou les facteurs de charge des réacteurs étaient présentes dans tous les rapports. Cela permettait vraiment de savoir où on en était et où on allait. Cette couche d’analyse semble avoir disparu aujourd’hui. C’est inquiétant. Avec cette PPE, nous allons dans le mur.



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Author : Sébastien Julian

Publish date : 2025-04-28 10:37:00

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