Ce 24 octobre 2024, des militants propalestiniens, pour la plupart masqués, défilent dans la cour de l’université de Tolbiac, dans le XIIIe arrondissement à Paris, aux cris de “Mort aux sionistes !”. Une enseignante s’approche et filme la scène avant de se faire interpeller par l’un des participants qui lui ordonne d’effacer sa vidéo. “Il me bouscule, plaque son front contre le mien pour m’intimider. Alors je m’exécute”, raconte la professeure à L’Express – elle a souhaité rester anonyme. Arrivée devant un amphithéâtre qui était en passe d’être bloqué, la jeune femme tente d’entamer le dialogue avec un petit groupe. “Je leur ai demandé ce qu’ils réclamaient, ce qu’ils attendaient de ce blocage, pourquoi ils souhaitaient la mort des “sionistes” et quelle définition ils en donnaient”, poursuit-elle. On lui rétorque : “Pourquoi ? Tu es sioniste ?”. La jeune femme répond par l’affirmative et se retrouve immédiatement encerclée par des étudiants qui lui crient : “Sioniste, dégage, la fac n’est pas à toi !”. Un jeune homme la suivra jusqu’à la sortie, l’obligeant à se réfugier auprès des vigiles de l’entrée. “Les jours suivants, j’ai repris mes cours. Non sans une certaine appréhension”, avoue-t-elle, encore très choquée.Elisabeth Borne dénonce “des actes graves”Si le phénomène est difficile à quantifier, d’autres témoignages de professeurs victimes de ce type de pressions circulent dans des universités comme Paris I, Paris VIII, Nanterre ou encore dans plusieurs instituts d’études politiques. Le 1er avril dernier, Fabrice Balanche, un enseignant de Lyon II, se retrouve encerclé en plein cours par une quinzaine d’individus masqués et cagoulés. Une vidéo mise en ligne sur les réseaux sociaux les montre brandissant une pancarte demandant la libération de la Palestine et criant “Racistes, sionistes, c’est vous les terroristes !” jusqu’à ce que ce spécialiste de la géographie politique du Proche-Orient quitte la salle. Quelques jours plus tôt, ce dernier avait soutenu publiquement la décision de l’université de ne pas autoriser un repas lié à la rupture du jeûne du ramadan dans ses locaux. Après l’agression, Elisabeth Borne, ministre de l’Education nationale, et Philippe Baptiste, son homologue chargé de l’Enseignement supérieur, ont appelé à sanctionner les coupables de “ces actes graves”. “L’université est un lieu de liberté pour toutes les expressions qui respectent la loi. Le comportement des individus qui ont empêché ce professeur de tenir son cours va à l’encontre de ce principe. Nous ne pouvons pas l’accepter et nous ne l’accepterons pas”, réagissent-ils dans un communiqué commun le 4 avril.”Cela rappelle les heures les plus sombres de l’Histoire”Sciences Po Strasbourg est aussi le théâtre de vives tensions depuis plusieurs mois. Des étudiants, pour la plupart membres du Comité Palestine, militent pour l’arrêt du partenariat de l’école avec l’université Reichman en Israël. Pour tenter de mettre fin aux nombreuses manifestations et aux blocages, un “comité d’examen du partenariat” a finalement été mis en place. Un vote à bulletin secret s’est déroulé lors du conseil d’administration (CA) du 8 avril dernier. Résultat : 16 voix pour le maintien du partenariat, 14 contre et trois abstentions. “Lorsque nous sommes sortis du CA, vers 21 heures, une centaine de manifestants tapaient sur les barres en aluminium de notre bâtiment aux cris de “Pol Pot”, “sionistes”, “fascistes”. On ne peut pas remettre en cause le caractère démocratique et légal de cette décision. Ce type de manœuvre rappelle les heures les plus sombres de l’Histoire”, s’insurge Emmanuel Droit, professeur d’histoire contemporaine.Une vidéo montre également le directeur de l’IEP Strasbourg, Jean-Philippe Heurtin, pris à partie par des militants dans les rues de la ville ce soir-là. Auparavant, il avait déjà été visé par des tags “Heurtin ! Sc Po aura ta peau !” ou “Heurtin sale sioniste”. Sur les murs de l’école, d’autres graffitis s’affichent : “Vive la résistance palestinienne”, “Gloire aux martyrs”, “Intifada à la fac”… Il arrive aussi que certaines attaques soient initiées par des membres de l’équipe pédagogique. Emmanuel Droit affirme avoir été calomnié sur les réseaux sociaux, avec un autre collègue, par deux professeurs. “En gros, ils m’ont accusé de collusion avec l’extrême droite sous prétexte que je m’étais entretenu avec un groupe d’élèves – jugés uniquement sur leurs vêtements – dans un café près de la gare de Strasbourg. Ces étudiants craignaient que la crise liée au partenariat Reichmann ne remette en question leurs projets de suivre un master défense ou finance et avaient besoin d’être rassurés”, avance-t-il. Le 17 mars, ce dernier adresse un e-mail à l’ensemble de ses collègues pour dénoncer cette “attaque ad hominem” : “Cette façon de nous jeter en pâture sur les réseaux sociaux brutalise le climat de l’Ecole […] mais plus grave encore, elle impacte nos vies de famille et plus précisément celle de nos enfants affectés et choqués par ces pratiques.”Manque de soutien entre enseignantsSciences Po Strasbourg n’est pas un cas isolé. Les désaccords autour du conflit israélo-palestinien traversent l’ensemble de la communauté enseignante. “Ce que je regrette, c’est le manque de courage, parfois, dans notre milieu. Lorsqu’un professeur est menacé, beaucoup d’entre nous se taisent. Or se taire c’est être complice”, explique Pascal Perrineau, ancien directeur du Centre de recherches politiques de Sciences Po Paris. “Après ce qui m’est arrivé, mes collègues en interne n’ont pas vraiment eu de gestes de réconfort à mon égard”, confirme l’enseignante de Tolbiac. Le 16 avril, dans une interview accordée à la Tribune de Lyon, Isabelle von Bueltzingsloewen, présidente de Lyon II, a réaffirmé le soutien institutionnel accordé à Fabrice Balanche… tout en déplorant les “paroles affligeantes, complotistes et délétères pour l’université” qu’aurait tenues le professeur. Et la présidente d’affirmer “ne pas avoir été étonnée que [cette interruption] tombe sur ce collègue-ci” au vu de “ses positionnements sur Gaza” et du contexte actuel explosif au sujet du conflit israélo-palestinien.C’est Science Po Paris, au siège historique de la rue Saint-Guillaume, qui fait le plus parler de lui depuis le 7 octobre 2023 et l’aggravation des tensions au sujet du Proche-Orient. “Si je n’ai jamais été victime d’attaques personnelles en tant que professeur, j’ai été entravé dans le cadre de mes fonctions de président de Sciences Po Alumni”, confie Pascal Perrineau. Le 14 juin 2024, jour de la garden-party annuelle des anciens élèves, un petit groupe de militants se réclamant du Comité Palestine de l’établissement interrompt les discours. “Je leur avais accordé cinq minutes pour qu’ils puissent s’exprimer. Ils n’ont pas respecté le contrat, m’ont empêché de parler par la suite et ont mis le bazar toute la soirée”, affirme Pascal Perrineau. L’enseignant reconnaît toutefois ne “pas être du genre à se laisser intimider”. François Heilbronn non plus. Ce professeur des universités associé à Sciences Po n’a pas hésité, le 17 avril 2024, à intervenir lors d’une manifestation dans le hall d’entrée principal de l’école parisienne. “Un groupe d’étudiants, debout sur un banc, hurlait “Génocide à Gaza, Sciences Po complice”. Je suis allé à leur contact pour leur dire qu’ils n’avaient pas le droit de perturber les lieux ainsi et leur demander de me donner une définition du mot génocide. Ce dont ils étaient incapables”, explique-t-il. Avant de poursuivre : “Six jeunes, équipés de keffiehs et de masques, ont commencé à m’encercler, menaçants. Alors que, de mon côté, j’étais seul et à visage découvert. Quelle lâcheté de leur part !”.L’arrivée de Luis Vassy à la tête de l’école, le 28 septembre 2024, semble avoir marqué une reprise en main. Quatre perturbateurs ont été exclus au début de son mandat et trois autres ont été suspendus un mois en février pour avoir perturbé une réunion aux cris de “Free Palestine” et “”Sciences Po complice”. Dans un courrier adressé aux auteurs des faits, Luis Vassy fait état d’un “trouble à l’ordre public d’une particulière gravité” et d’”une atteinte importante au bon ordre et à la sûreté de l’établissement ainsi qu’au respect des personnes”. Mais, une fois de plus, ces actes de fermeté ne font pas l’unanimité Rue Saint-Guillaume. Début mars, 84 enseignants de la faculté permanente – sur 272 – ont signé une pétition dénonçant le “recours excessif et arbitraire” à l’exclusion temporaire d’”étudiants engagés politiquement”. Quinze jours après, une autre pétition, publique cette fois, appelait à un “sursaut à Sciences Po” et affichait son “soutien à la nouvelle direction”. “Nous ne pouvons plus accepter que des professeurs soient cloués au pilori ou mis à l’écart pour des positions personnelles. Nous ne pouvons plus accepter que la radicalité des opinions mène à un climat oppressant”, est-il écrit. Pour l’heure, le texte a recueilli 840 signatures.
Source link : https://www.lexpress.fr/societe/sioniste-degage-de-tolbiac-a-sciences-po-strasbourg-linquietante-intimidation-de-professeurs-TZFDEZZXZFDIJANA3PP6JDAZNA/
Author : Amandine Hirou
Publish date : 2025-04-28 03:45:00
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