Sur sa photo de profil WhatsApp, il porte la mitre et embrasse un bébé joufflu suçant son pouce sous un bonnet rouge de Père Noël. Image rare d’un prélat catholique, se présentant sans cérémonie et, de surcroît, serrant un enfant dodu contre lui. Jean-Paul Vesco, 63 ans, souhaite qu’on comprenne combien tout nouveau cardinal d’Algérie qu’il soit, il continuera de défier gentiment les convenances cléricales, répondant à son téléphone, accordant des entretiens sans en passer par une cohorte d’assistants ni un dédale de courriers révérencieux.Facile d’accès, le verbe rude ou prudent, selon le pays dont il parle, le cardinal étonne. Derrière la franchise débonnaire, des propos évitant soigneusement de froisser le régime qui l’accueille. Combien de catholiques compte-t-il sous sa houlette ? Il dit ne pas savoir, d’ailleurs cette Eglise “n’est plus du tout française, la nationalité la plus représentée parmi les prêtres et les sœurs est burkinabée”. Se sent-il libre dans l’exercice de son culte ? Il préfère observer en guise de réponse que les différences religieuses sont “complexes” et il précise vivre “une relation de grande confiance” avec les autorités algériennes. Il a écrit au président Macron, rencontré le ministre Jean-Noël Barrot lors de son passage début avril à Alger, il ne connaît en revanche pas Bruno Retailleau, qui “certes fait son travail de ministre, mais j’ai eu du mal à ne pas voir des considérations de politique intérieure dans sa posture et cela me trouble profondément”.S’indignant qu’on lui prête des missions discrètes ou un rôle dans la coulisse, il claque : “Je ne suis pas un Monsieur bons offices, ils n’ont pas besoin de moi pour se parler.” Aux responsables français, il s’est donc borné à faire part de son opinion sur la nature purulente des tensions, un point de vue radical. “Il y a entre la France et l’Algérie le même rapport qu’entre un abuseur et un abusé, et l’expérience qu’a l’Eglise catholique des abus sexuels montre combien cette violence n’est pas une violence comme les autres. Il ne suffit pas de demander pardon et de passer à autre chose. La colonisation fut une colonisation de peuplement qui n’a jamais eu le projet d’être généreuse ou fraternelle, et je m’inscris en faux avec la loi sur la reconnaissance de ses bienfaits. Il ne s’agit pas aujourd’hui de culpabiliser les Français, mais de comprendre que nous portons la responsabilité collective.”Il a reçu la nationalité algérienneLisant et écrivant l’arabe, qu’il parle sommairement, il a reçu, en février 2023, en vertu d’un décret présidentiel du président Tebboune, la nationalité algérienne, une première pour un représentant né Français du clergé catholique. “J’ai la conscience profonde d’être français et algérien, et je ressens de façon particulière combien les Algériens vivant en France peuvent se sentir attaqués, insécurisés.” Il souligne combien les Algériens, ses compatriotes désormais, sont “des gens fiers et blessés, c’est essentiel de le comprendre dans une négociation”.Au sujet de l’écrivain Boualem Sansal, arrêté et incarcéré depuis novembre 2024 et condamné en mars à une peine de cinq ans de prison, il considère que l’émoi français “lui a rendu un très mauvais service en en faisant une affaire d’Etat, cette pression interdit tout geste d’humanité, il est traité ici comme un citoyen algérien et non point comme un citoyen français”. Point à la ligne, et aucun mot de compassion, à croire que sa parole est décidément sous contrôle.Drôle d’histoire que la sienne, programmé pour porter une autre robe, celle noire des avocats, et finalement devenu l’un des plus hauts dignitaires du clergé catholique, ayant reçu en décembre dernier à Rome la barrette cardinalice, appelé parmi le collège des cardinaux à élire le prochain pape.Né en 1962 à Lyon, le sexagénaire aux joues creuses, fils d’un agent d’assurances et d’une infirmière, ne se destinait pas à entrer dans les ordres. Maîtrise en droit des affaires, master à HEC, avocat d’affaires à Paris entre 1989 et 1995. “Tout ce dont j’avais rêvé, je l’avais, vie professionnelle, vie sentimentale, réussite matérielle, mais il me manquait l’essentiel”, dit-il. L’essentiel c’est une vocation, qui le frappe lors d’une messe d’ordination en 1994, il prend alors un an pour clore sa vie dans le siècle, s’engage chez les dominicains, licence canonique en théologie, et le voici ordonné prêtre, à 39 ans, en 2001. Pendant son noviciat, il apprend en 1996 l’assassinat de l’évêque d’Oran Pierre Claverie, un dominicain comme lui, et fervent partisan du dialogue avec l’islam au point d’avoir été surnommé “l’évêque des musulmans”. La nouvelle bouleverse Jean-Paul Vesco, sans qu’il ne comprenne pourquoi. “Je n’ai aucun lien familial avec l’Algérie, le pays ne figure pas dans mon histoire personnelle.”Dévasté en quittant l’AlgérieSes supérieurs cherchent à envoyer des frères dominicains en Algérie, appel à candidatures, et lui levant la main. Six ans après l’assassinat de Pierre Claverie, le voici à Tlemcen dans le diocèse d’Oran. En 2005, il est nommé vicaire général, soit n° 2 local. En 2010, son ordre le rappelle soudain. Il a été désigné pour diriger les dominicains en France. “J’étais dévasté, ce fut un arrachement, je découvre en quittant l’Algérie combien était grand mon attachement.”La séparation est brève. En 2012, il est nommé évêque d’Oran, et, neuf ans plus tard, archevêque d’Alger. “J’aime tout dans ce pays auquel je ne connaissais rien, la vie n’est pas simple, mais si goûteuse. Je me sens responsable de ce qui se vit ici, je suis responsable d’une Eglise au service de l’Algérie dans ses joies et ses peines. Je ne minimise ni les problèmes de la France, ni ceux de l’Algérie, mais je suis là pour dire que seule la fraternité rétablira la relation, ce qui nous unit est tellement plus fort. Comment divorcer d’un pays alors que pas moins de 300 vols chaque semaine relient la France à l’Algérie ?” En l’écoutant, revient à l’esprit cette phrase : “Les plus nobles conquêtes sont celles des cœurs et des affections.” Armand Jean du Plessis de Richelieu l’écrit dans ses Mémoires. Sous Louis XIII, il était cardinal et diplomate. Déjà.
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Author : Emilie Lanez
Publish date : 2025-04-28 16:00:00
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