Une longue hémorragie… ArcelorMittal a annoncé mercredi 23 avril envisager la suppression de 600 postes dans le nord de la France – qui toucherait les fonctions support, délocalisées vers l’Inde, mais aussi la production, à la grande surprise des syndicats. Pour L’Express, Aquilino Morelle, ancien conseiller de Lionel Jospin à Matignon (1997-2002) puis de François Hollande à l’Elysée (2012-2014) et essayiste (dernier livre paru : La Parabole des aveugles, Grasset, 2024), rappelle que ces dernières décennies, la dévitalisation industrielle de la France a été la plus brutale de l’Union Européenne. Il revient sur ce qu’il nomme “la trahison” de François Hollande et de Jean-Marc Ayrault en 2012 sur le dossier de Florange, et regrette qu’encore aujourd’hui, malgré les “tirades de circonstance”, “aucune politique industrielle, dans aucun secteur, n’a été mise en œuvre”. Entretien.L’Express : On a appris le 23 avril qu’ArcelorMittal envisageait la suppression de 600 postes en France. L’hémorragie de cet ancien fleuron industriel français paraît sans fin. De quoi est-elle le symptôme ?Aquilino Morelle : De l’échec de la politique dite “de l’offre” : baisser les impôts et charges des entreprises ne suffit pas à protéger celles de nos industries qui doivent l’être, ni à bâtir des filières compétitives. Il y faut aussi une volonté politique, une stratégie économique, des moyens financiers et de la durée – tout ce qui manque aujourd’hui. La saignée industrielle qui dévitalise la France se poursuit donc, la plus brutale de toute l’Union européenne. Alors que le poids de l’industrie représente encore 20 % du PIB en Italie et 21 % en Allemagne, il n’est plus que de 10 % en France. De nombreuses vallées industrielles ont été rayées de la carte. Il s’agit là d’un bouleversement comparable dans ses conséquences à l’exode rural des années 1960 !Quand fut annoncée, le 30 novembre 2012, la fermeture définitive des hauts-fourneaux de Florange, vous étiez conseiller politique de François Hollande, à l’Elysée, et proche d’Arnaud Montebourg, ministre du Redressement productif, qui s’est démené sur le dossier. Comment avez-vous vu et vécu les choses de l’intérieur ?Avec écœurement. Ce soir-là, Jean-Marc Ayrault et François Hollande ont piétiné les engagements pris pendant la campagne présidentielle. Se rendre sur place et promettre aux salariés d’ArcelorMittal de les aider n’avait été pour Hollande qu’une manœuvre tactique, un “coup de com” lui permettant de faire croire qu’il était bien “de gauche” et de couper l’herbe sous le pied de Jean-Luc Mélenchon qui le menaçait alors. Il n’avait en vérité jamais eu la moindre intention de faire quoi que ce soit pour ces ouvriers qui comptaient sur lui ; et quand il s’est retrouvé en face de Lakshmi Mittal, le patron du groupe, un homme cynique et avide, il “a baissé son bénard” – comme le commenta avec son langage fleuri le secrétaire général adjoint de l’Elysée de l’époque, un certain Emmanuel Macron.Quant à Ayrault, esprit étroit et rancunier, il ne voyait là qu’une bonne occasion de se venger d’Arnaud Montebourg qu’il détestait. Charles de Gaulle l’a rappelé : “en dernier ressort, la décision est d’ordre moral”. En lâchant les ouvriers de Florange, les deux hommes ont révélé qui ils étaient : deux politiciens sans convictions et sans scrupule. Après cette trahison, tout était fini : non seulement Florange fut la revanche sur le discours du Bourget de tous ceux qui ne l’avaient jamais digéré, mais ce fut le début de la fin du quinquennat de Hollande.Depuis le Covid, le discours du pouvoir semble avoir changé sur ces questions : la réindustrialisation est affichée comme un objectif prioritaire. Qu’en pensez-vous ?Je le rappelais à l’instant : aucune politique industrielle, dans aucun secteur, n’a été mise en œuvre. Seulement des tirades de circonstance, proclamant “l’attractivité” retrouvée de la France. Et les plans sociaux continuent de se multiplier… En 2024, pour la première fois depuis dix ans, le nombre de fermetures d’usine a été supérieur à celui des ouvertures. Ce n’est pas d’effets d’annonce, ni de grand-messes de “Choose France” dont notre industrie a besoin, mais d’une ambition, d’une stratégie – une forme de planification moderne – et d’investissements ciblés. Seule la BPI œuvre utilement, grâce à la mobilisation de son directeur général, Nicolas Dufourcq.Et à l’échelle européenne ?Sans une forme de protectionnisme européen, les produits chinois et l’acier indien continueront à déferler sur notre continent. Sans attendre les initiatives d’une Commission qui se prend pour le gouvernement qu’elle n’est pas et qui, trop longtemps, a été obnubilée, par naïveté et idéologie, par “la concurrence” au détriment de l’industrie, les Etats européens intéressés devraient joindre leurs forces autour de quelques projets dans des secteurs d’avenir – l’IA, la santé, l’écologie -, sur le modèle de ce qui fut fait en 1966 et qui reste le plus grand succès industriel européen, un succès atteint grâce à la coopération intergouvernementale et non le supranationalisme : Airbus, devenu le premier avionneur mondial.
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Author : Anne Rosencher
Publish date : 2025-04-28 10:00:00
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