Début des années 2010, un des responsables Afrique de la DGSE débarque au rendez-vous annuel du Cissa, la Conférence du comité des services de renseignements et de sécurité africains. L’occasion d’échanger sur les filières terroristes du continent. Avec l’homologue algérien, ils se toisent. “Il était impossible de parler concrètement avec eux, regrette cet ex-cadre du renseignement français. Ils donnaient un bout de renseignement sur ce qui nous intéressait, puis enchaînaient les craques.” L’agent secret algérien, lui, multiplie les diatribes au sujet du Sahara occidental. Les deux hommes se quittent sans s’être donné des informations qui auraient pu être profitables à l’un comme à l’autre.Il faut y voir un précipité de la relation entre la DGSE et son homologue algérienne. Depuis les accords d’Evian, les deux agences de renseignement s’épient, se méfient, se défient. Jusqu’à aujourd’hui. Le 7 décembre 2024, la chaîne publique AL24 News triomphe. Elle consacre un documentaire de 51 minutes à un prétendu “complot” de la DGSE pour infiltrer des réseaux islamistes algériens. En février 2023, déjà, la presse gouvernementale d’Alger voyait la main des espions français derrière la fuite de la journaliste franco-algérienne Amira Bouraoui. Craignant une arrestation, cette opposante franchit la frontière tunisienne le 3 février, avant d’être protégée par le consulat de France à Tunis, forte de son passeport tricolore. Un coup des “barbouzes” du renseignement extérieur, fustige l’agence de presse d’Etat APS, dans une dépêche du 9 février. “Tout le monde sait qu’au niveau de la DGSE française, il y a une feuille de route pour mettre à mal la relation algéro-française”, conclut le média.MythologieTrois mois plus tard, les révélations de la presse algérienne ressemblent à un concentré des obsessions du régime. Le 30 mai 2023, sur la foi de “sources sécuritaires”, les quotidiens L’Expression et El Khabar prétendent dévoiler l’opération Loup, une autre conspiration pour déstabiliser l’Algérie avec des “cibles bien précises”, à “Alger, Oran, Tizi Ouzou et Béjaïa”. A la manœuvre, le renseignement marocain, le Mossad israélien et… la DGSE. Forcément. “Les services algériens ont un fantasme : ils pensent que la DGSE a les mains partout, dans tous les complots. C’est leur mythologie. Donc la coopération est historiquement chaotique”, résume un ex-cadre du renseignement extérieur affecté à la zone Afrique du nord dans les années 2000.Comme le notait Roland Topor dans Café Panique, en 1982, il arrive pourtant que même les paranoïaques aient de vrais ennemis. “La DGSE a beaucoup fait pour la déstabilisation de l’Algérie”, témoigne Yves Bonnet, directeur de la DST, le renseignement intérieur, entre 1982 et 1985. Pendant la guerre d’Algérie, le Sdece, comme se nomme alors l’agence d’espionnage, se démultiplie pour écraser le soulèvement, en n’hésitant pas à recourir à de nombreux assassinats ciblés. Même après l’indépendance, des militaires reversés dans le service secret continuent de chercher une revanche. Notamment une poignée d’éléments aguerris à la torture au sein des détachements opérationnels de protection (DOP), cette structure alors chargée des interrogatoires musclés “Il y avait ces soldats issus des DOP, ou d’autres organisations marginales, qui cultivaient une rancœur”, nous confiait Alain Chouet, ancien dirigeant de la DGSE, en 2022. Une guerre de l’ombre documentéePlusieurs mémoires d’agents secrets ont fini par documenter cette guerre de l’ombre après la guerre. Il s’agit pour une part d’encourager la révolte de la minorité kabyle, discriminée dans la jeune République algérienne. “Ce sera en avril 1964, lorsqu’on découvrira, un peu tard, l’hostilité fondamentale de Ben Bella à l’égard de la France, que l’on se décidera à faire quelque chose pour les maquis kabyles en insurrection contre Alger”, écrit le colonel Marcel Le Roy, dit Finville, alors chef de service au Sdece, dans son autobiographie, SDECE, Service 7. L’extraordinaire histoire du colonel Le Roy-Finville et de ses clandestins, publiée en 1980. On apprend que la France, qui a alors établi des relations diplomatiques avec l’Algérie, avec notamment une ambassade à Alger, décide dans la plus grande discrétion de fournir des armes à Mohamed Khider, ancien secrétaire général du FLN. Passé dans l’opposition à l’été 1962, avec un discours islamiste, il veut s’appuyer sur la Kabylie pour renverser le régime. “Nous obtenons le feu vert pour accéder à sa requête, mais l’Elysée ne veut pas que la France puisse être soupçonnée d’intervenir”, précise Le Roy-Finville. Le Sdece se fournit incognito en Tchécoslovaquie, repeint un avion aux couleurs de la Libye et fonce au-dessus de la Kabylie. Mais l’appareil ne peut se poser, il doit retourner se ravitailler à Malte. Les armes n’arriveront jamais aux Kabyles.A la même époque, des camps d’entraînement terroristes montés par des groupes d’extrême droite prolifèrent en Europe, avec pour obsession la lutte anti-décolonisation et particulièrement l’Algérie. “Un camp d’entraînement avait été installé dans les Alpes-Maritimes, sur la route de Grenoble. On y apprenait à manier les explosifs, à tirer, à jeter des grenades mèche lente ou mèche courte, sous le contrôle d’un colonel issu des parachutistes”, raconte Jean-Louis Rizza, alors membre revendiqué du groupuscule d’ultra-droite Charles Martel, dans son autobiographie Braqueur, mercenaire, aventurier. Auprès de la revue Sang-froid, en 2016, l’ex-n° 2 de la DST, Jean Baklouti, avait reconnu l’existence de ces zones dédiées à l’action subversive : “Nous le savions. Ces camps d’entraînement étaient situés principalement en Espagne mais il y en avait aussi dans le sud de la France.” Pourquoi n’avoir jamais cherché à les démanteler ? “Toutes ces histoires algériennes, c’était le pré carré du Sdece, la DST n’était pas vraiment tenue au courant”, répondait Baklouti. Entre 1973 et 1978, le groupe Charles-Martel revendique une demi-douzaine d’attentats anti-algériens. Cinq personnes sont tuées, dont Laïd Sebaï, un employé de l’amicale des Algériens en Europe, abattu dans la cour d’immeuble de l’association, à Paris, le 2 décembre 1977.Lune de miel entre la DST et la DRSL’Algérie multiplie bientôt les coups de filet contre des agents présumés du renseignement français. En février puis avril 1970, cinq Français sont arrêtés pour espionnage économique, ils sont soupçonnés d’avoir monté un centre d’écoutes du ministre de l’Industrie algérien à l’intérieur du bureau de l’entreprise La Redoute. Parmi les inculpés, figure Jean-Claude Théodas, directeur du comptoir dentaire français d’Alger ; les autorités font savoir, comme un message subliminal, qu’il s’agit du “frère d’un important officier du Sdece”. Il fera partie d’un échange de prisonniers avec les deux espions algériens pris en flagrant délit à Paris, Rachid Tabti et Ouali Boumaza.A la fin des années 1970, Alexandre de Marenches, le directeur du Sdece, se rapproche ostensiblement du Maroc, qu’il associe au Mount Kenya Safari Club, un cercle de services de renseignement liés par l’anticommunisme. Si bien qu’en 1981, les relations avec la sécurité extérieure française sont “exécrables”, relate Yves Bonnet. Presque inexistantes, précise Pierre Marion, le premier directeur de la DGSE, en 1982. “Quant aux services algériens, aucun contact significatif n’a été pris depuis l’indépendance en 1962”, note le haut fonctionnaire, dans La Mission impossible, ses mémoires. Même sur le terrorisme, la coopération sécuritaire se développe davantage avec le renseignement intérieur qu’avec “la Piscine”, comme on surnomme le service secret extérieur. “C’est structurel, estime un ex-cadre de la DGSE un temps affecté en Algérie. Le renseignement à Alger est une affaire d’hommes. Les Algériens aiment nouer des liens sur le long terme, ce qui correspond mal au modèle de la DGSE : on change de poste tous les trois ans et on fait à chaque fois table rase du passé.”Coup de sangSous François Mitterrand, des partenariats sécuritaires, via les chefs de poste placés dans les ambassades, sont tout de même lancés entre les services secrets extérieurs. Mais les tensions affleurent. Alger a appris que la DGSE préconisait la poursuite du processus électoral, en 1991-1992, contre l’avis des généraux opposés aux islamistes. Chaque affaire est prétexte à des menaces de rupture. “Il peut d’ailleurs y avoir une volonté d’instrumentaliser la relation entre les deux services secrets français. Par exemple pour faire de la surenchère et obtenir plus d’informations”, note un ancien cadre du renseignement extérieur, spécialiste du monde arabe. Fin avril 1996, les moines français de Tibhirine sont pris en otage depuis plus d’un mois lorsqu’un émissaire des kidnappeurs demande à voir le chef de poste de la DGSE à Alger. Il a un enregistrement des moines. Le service secret français refuse alors de transmettre la cassette au DRS, son homologue algérien. Coup de sang des espions. “Après Tibhirine, la DRS a tout coupé avec la DGSE”, se souvient Bernard Squarcini, directeur du renseignement intérieur de 2007 à 2012.Les chefs de la DGSE à Alger doivent parfois être suppléés par la DST. Patiemment, certains espions parviennent à dénouer des liens de confiance. Mais la moindre anicroche remet tout en question. En novembre 2006, Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur, prépare un voyage en Algérie. Via ses contacts sur place, un cadre de la DGSE croit savoir que l’annonce d’une politique plus souple sur les visas pour la France serait grandement appréciée. Le futur président de la République annonce cet assouplissement au Figaro, quelques jours avant le déplacement. Fureur du renseignement algérien. “Ils ont considéré qu’on avait trahi un secret en rendant publique cette information. Pendant un an, ils n’ont presque plus coopéré”, relate une source proche du dossier.Méfiance et fascinationIl semblerait pourtant que la méfiance historique se mêle parfois à un peu de fascination. Lorsque la relation se réchauffe, Alger n’hésite plus à mettre en avant ses liens avec le service secret français. En août 2022, à l’issue d’un voyage de trois jours d’Emmanuel Macron en Algérie, le gouvernement rend publique une photo inédite. On y découvre Bernard Emié, le patron de la DGSE, attablé lors d’un déjeuner à Zeralda, la résidence du président algérien, en compagnie des deux chefs d’Etat, des deux chefs d’état-major et du ministre français des Armées.Quelques indices montrent d’ailleurs que les officiels du régime ne sont pas dupes des complots qu’ils prêtent à la DGSE. Le 12 décembre 2024, lorsque l’ambassadeur Stéphane Romatet est convoqué au ministère des Affaires étrangères, il ne lui est même pas fait mention du documentaire d’AL24News sur la prétendue conspiration des espions français, contrairement aux allégations de la presse algérienne. Parmi les 12 agents français expulsés d’Algérie, le 14 avril, sur décision de la présidence, on dénombre d’ailleurs… zéro agent de la DGSE.
Source link : https://www.lexpress.fr/societe/les-complots-de-la-dgse-contre-lalgerie-beaucoup-de-mythes-et-quelques-realites-XKS26VURYNGGFL7TSBTMRAWUQ4/
Author : Etienne Girard, Alexandra Saviana
Publish date : 2025-04-27 16:00:00
Copyright for syndicated content belongs to the linked Source.
Trending
- A La Grand-Combe, après le meurtre d’un fidèle dans une mosquée, l’émotion et la colère
- « Elyas » : un film d’action formaté et efficace avec Roschdy Zem
- NBA: l’ex-joueur des New York Knicks Dick Barnett est mort
- Neuf ans après les faits, le procès du retentissant braquage parisien de Kim Kardashian s’ouvre
- « Une très bonne nouvelle » : pourquoi une proposition de loi veut permettre aux boulangers d’ouvrir le 1er Mai
- Más de 50 muertos en Gaza por bombardeos israelíes solamente este domingo
- A medida que Musk gana poder en Washington, su popularidad cae, según una encuesta
- Man charged with murder after 11 killed in Vancouver vehicle attack
Monday, April 28