L’évêque d’Ajaccio, Mgr François-Xavier Bustillo se confie à L’Express avant le début du conclave (à partir de début mai), où il sera l’un des 135 cardinaux à désigner le nouveau souverain pontife. Figure montante de l’Eglise, ce proche du pape François a accueilli son dernier déplacement à l’étranger en Corse, en décembre 2024.Vous êtes présent à Rome, où est célébrée actuellement la mémoire du pape François, que ressentez-vous ?C’est un double sentiment opposé, une douloureuse joie, il y a la peine de perdre le pape François, qui était un guide, un père, quelqu’un qui m’a fait confiance aussi, d’un point de vue personnel, en m’appelant à l’épiscopat, on me créant cardinal, en venant en Corse. Le pape François est celui qui a bouleversé ma vie. Il y a aussi de la reconnaissance, parce qu’il a beaucoup donné, jusqu’à son dernier souffle. Alors qu’il était fatigué, il avait du mal à respirer, il était au milieu de son peuple. Il a été un modèle de liberté et de courage. Il nous laisse un magnifique patrimoine spirituel et humain.Avez-vous été surpris par l’ampleur de l’émotion à travers le monde depuis sa disparition ? Que dit-elle ?Je ne suis pas très surpris, mais la quantité de personnes qui seront passées devant le corps du pape, qui auront prié, c’est impressionnant. Le deuxième aspect qui me frappe, c’est le nombre de chefs d’Etat présents à ses obsèques, chrétiens ou pas. Peut-être est-ce finalement l’aspect positif de la mission du pape, c’est d’avoir des paroles ayant autorité spirituelle et morale dans un monde où il y a beaucoup de violences, de fractures, où la géopolitique internationale peut inquiéter. Le pape n’a pas beaucoup de pouvoirs tactiques, militaires, mais cette force de l’unité qu’il a suscitée est un facteur symbolique important pour la société.Sa venue sur vos terres en Corse, le 15 décembre dernier, a été son dernier déplacement à l’étranger. Quelle image en garderez-vous ?Je me souviens d’un moment drôle, lors de sa rencontre avec la doyenne de Corse, il lui a offert un chapelet et après, dans la papamobile, il m’a dit : “c’est formidable, tu as vu cette dame, il faut lui demander ce qu’elle mange, pour tenir 108 ans !”. Ce jour-là, j’ai vu un homme serein, il a béni les enfants, les aînés, il a encouragé l’engagement politique et social. Il était comme un poisson dans l’eau. On est arrivé en retard pour la messe, parce qu’il s’est arrêté partout pour saluer tout le monde. Et il nous a donné des paroles très belles : il ne faut pas vivoter, on ne peut pas se limiter à exister, vivez la vie à pleines dents ! À la fin de la journée, il était fatigué, mais heureux. La dernière fois que je l’ai vu, c’est à l’aéroport d’Ajaccio, où je lui ai dit merci pour la trace qu’il laisse en Corse et dans le monde. On est resté avec ce regard et ce sourire.Ce déplacement en Corse a été organisé quelques jours après son refus de se rendre aux cérémonies de réouverture de Notre-Dame, à Paris, ce qui avait suscité une vive controverse. Comment analysez-vous la relation ambivalente que le pape François a pu entretenir avec la France ?Il n’y a pas eu de visite d’Etat et on a dit qu’il n’aimait pas la France, pourtant je n’oublie pas qu’il s’est rendu à Strasbourg, Marseille et en Corse, alors qu’il n’a jamais visité des pays très catholiques comme l’Espagne ou l’Allemagne. Je n’oublie pas non plus que dans ses écrits, il cite des grands écrivains français. Il aimait le style français et il était imprégné par sa culture, sa spiritualité.Quelle trace laissera son pontificat ?À une époque où on est tous un peu dans le calcul, dans la peur de ce qu’on dit, il avait une parole libre. J’appréciais beaucoup aussi son sens de la fraternité, il était proche des gens, alors qu’on a vu souvent des papes très distants. Il a essayé non pas de banaliser ou désacraliser l’Eglise, mais de l’humaniser. Il a créé un contact avec les gens, tout en disant à l’humanité : “ne soyez pas indifférents aux plus petits, c’est très important”.Quel rôle peut jouer le futur pape, sur le plan géopolitique, dans ce contexte international sous tension ?Un des enjeux importants, c’est que le futur pape puisse avoir une parole avec de la hauteur morale et spirituelle. Il doit parler avec autorité, au sens étymologique, pour accroître la liberté et la conscience des gens. Il nous faut des autorités autres que politiques et économiques pour mettre de l’éthique, de l’humanité, de la spiritualité dans l’action des Etats et dans la vie sociale. Je pense que le futur pape devra proposer des paroles capables d’apaiser les esprits. Face à la violence en Ukraine, au Moyen-Orient, ou ailleurs, toutes les personnes ayant un minimum d’éthique, d’idéal et de fraternité doivent se retrouver pour viser le bien commun.Quelle peut être son influence sur les grands dossiers internationaux ?Quand on voit la situation au Moyen-Orient, en Ukraine, les tensions en Europe, les conflits partout dans le monde, il nous faut des personnalités n’ayant pas un intérêt quelque part, des personnes libres. Tout le monde parle, par ailleurs, du vivre-ensemble, on fait des grands discours, mais on a vidé l’expression de son sens : il faut l’incarner. Si l’humanité perd la spiritualité, on peut tomber très vite dans la barbarie. Depuis 1968, on a souvent dit “ni Dieu ni maître”, mais est-ce que le monde va mieux ? Est-on plus pacifique et plus heureux ? Je ne crois pas. On a voulu évacuer Dieu, mais on n’est pas mieux. Alors peut-être faut-il récupérer le sens de la spiritualité, non pas pour endoctriner ou manipuler les consciences, mais, aujourd’hui, on est tous conditionnés par la peur du monde, la situation économique, écologique, politique, je crois que le pape doit dire avec force que, dans notre monde, on a besoin de retrouver une vie pacifique.Face à la guerre en Ukraine, la ligne pacifique du pape François a cependant fait débat, des maladresses, des erreurs de jugement ont été pointées.On a dit qu’il a été maladroit. Je pense qu’en lui, il y avait un désir responsable et légitime d’arrêter la guerre. Après, le pape n’a pas les moyens et concepts des politiques qui sont sur le terrain, il n’en est pas un. Il ne peut pas se contenter de constater qu’il y a une guerre et se limiter à des petites paroles. Pour les déclarations, on est bons. Mais comment passer des déclarations aux gestes pour arrêter la guerre ? On ne peut pas rester spectateur de cette souffrance insupportable. Je pense que ce sera peut-être au prochain pape de poser des gestes forts pour aller de l’avant.Au Proche-Orient, François laisse le souvenir d’un pape engagé pour les Palestiniens. Le prochain souverain pontife peut-il peser sur l’issue de cette guerre à Gaza ? Le dialogue interreligieux peut être essentiel pour cela ?Oui et le souverain pontife est le pape de tous. Il ne va pas se mettre avec les uns contre les autres, mais plutôt avec les uns et les autres, en trouvant deux voies de conciliation. Dans le cas du Moyen-Orient, François n’a pas voulu donner un prix à certains et condamner les autres, il a parlé avec une autorité paternelle, pour dire, vous êtes à côté, dans la même terre, vivez en paix.Au moment où l’Europe se réarme face à la menace russe, le Saint-Siège pourrait-il faire évoluer sa doctrine sur certains points, par exemple sur la dissuasion nucléaire que le Vatican considère plus que jamais comme immorale ?Je pense qu’il est important que le prochain pape puisse étudier cette situation délicate, parce que la géopolitique internationale est bouleversée. Il y a un crescendo de la peur et il peut y avoir une logique que je trouve dangereuse, c’est qu’on déclenche un mouvement tribal, où on protège les siens et on attaque les autres. Il nous faut une capacité de gérer les relations sereines entre les Etats, pour éviter de rentrer dans une logique de défense et d’attaque. Autrement, on devient primaire. Je ne dis pas qu’il faut être naïf, il faut toujours être préparé et protéger les siens. Mais en même temps, on est en XXIe siècle, on a des capacités de dialogue, des capacités diplomatiques, donc il faut utiliser tous les moyens pour éviter les drames.Le pape François avait reçu Donald Trump, le vice-président américain J.D. Vance a été le dernier dirigeant étranger à s’entretenir avec lui au Vatican. Le prochain souverain pontife peut-il influer sur la politique américaine qui rebat les cartes à travers le monde ?Les leaders religieux n’ont pas une autorité politique directe, mais une autorité éthique et spirituelle. Ils doivent rester à leur place, ils ne peuvent pas dominer les consciences des dirigeants, mais peuvent donner des arguments.Le prochain pape devra assumer l’Eglise catholique, c’est déjà assez sportif, si j’ose dire. Cela va être un choc assez important pour lui. Il devra ensuite chercher l’unité au sein de l’Eglise. Après, il devra tenir compte aussi de sa position internationale. On ne vit pas dans le pays d’Alice au pays des merveilles, on voit la réalité. Mais il faudra lui laisser un peu de temps pour qu’il puisse respirer, assumer sa charge et se donner des priorités.Le Vatican avait facilité, par exemple, le rapprochement entre Cuba et les Etats-Unis. Le pape garde une capacité d’agir.Il faut utiliser tous les moyens et il y a quelque chose d’unique dans la diplomatie vaticane, que beaucoup de personnes ne savent pas, c’est que les évêques, les prêtres, les catéchistes permettent de connaître les réalités de tous les pays. A travers l’architecture interne de l’Eglise, on peut faciliter les contacts, les rencontres et des démarches de paix.Pékin a mis en revanche 24 heures à réagir à la mort du pape François, signe que le souverain pontife n’était pas parvenu à normaliser la relation entre le Vatican et la Chine. Il considérait cela comme un de ses échecs. Cela sera-t-il l’un des enjeux du prochain pontificat ?Le Pape a beaucoup fait pour normaliser les liens avec la Chine. Il a fait des efforts. Je pense qu’il faut continuer le travail. Il doit avoir une vision, mais il est entouré aussi de personnes qui ont des compétences dans la politique internationale, il faudra qu’il se serve de tous les moyens de la diplomatie vaticane.La défense des migrants a été l’un des marqueurs de son pontificat. Ce sera l’un de ses héritages ?Oui, mais beaucoup y ont vu une dimension idéologique ou politique, alors que sa démarche était humaniste. Si nous sommes, nous, les pays riches, indifférents aux plus démunis, on fragilise l’humanité. Le pape a parlé des migrants, mais aussi des personnes âgées. Il a essayé d’apporter une parole juste et ajustée, parce que s’il n’y a pas de justice, il n’y a pas de paix.La bénédiction des couples non mariés, y compris homosexuels, a, elle, été un sujet de discorde en Afrique. Le futur pape fera-t-il face à des divisions internes sur les questions sociétales ?Oui, le futur pape devra tenir compte de tout, à l’intérieur de l’Eglise, de la morale, de la liturgie, de la vie sociale et sociétale, de la politique.Mais il faut respecter le temps du deuil, et après peut-être en parler tranquillement pour dire, voilà son héritage, ce que l’on va garder, ce que l’on va peut-être modifier.Dans quel état d‘esprit allez-vous participer au conclave ?J’y vais dans la confiance. Je vais écouter pour comprendre et ensuite discerner et décider. Il y a des cardinaux que je ne connais pas. Pour moi, il est important de les connaître.Parmi les 135 cardinaux électeurs actuels, 108 ont été choisis par le pape François, soit près de 80 %. Peut-on s’attendre à la nomination d’un nouveau “pape de gauche”, ou un profil plus conservateur pourrait-il émerger ? Quelle pourrait être la tendance ?Je n’en ai aucune idée, mais tout est ouvert. Heureusement, on n’est pas une secte, on inclut le fait qu’il y ait des divergences. L’important, c’est qu’elles ne deviennent pas des divisions. On n’est pas des clones non plus, chacun a sa personnalité et sa vision, il faut écouter tous les cardinaux. Et ensuite on pourra aller plus loin, et passer de l’analyse à la synthèse.Mais, personnellement, je pense que la question n’est pas celle de l’étiquette, droite ou gauche, c’est plutôt de se demander qui est le meilleur pour accompagner, guider et animer l’Eglise. La question n’est pas non plus celle du passeport italien, français, américain, africain. Si le meilleur vient d’un pays qui n’est pas très significatif, mais qu’il est bon et que nous pensons en conscience qu’il va faire du bien à l’Eglise, on vote pour lui. Parce que nous avons souvent un regard eurocentré, on ne voit que l’Europe et l’Occident, on ne voit pas d’autres réalités, d’autres cultures où des personnes vivent différemment et peuvent apporter quelquefois du bien à la société. Donc pour le moment, on va s’écouter.Quels principes dicteront votre choix pendant le conclave ?C’est le bien. Je ne pense pas aux 135 (cardinaux) qui vont être dedans, moi, je pense au 1,4 milliard (de catholiques) qui sont dehors. C’est pour eux qu’il faut travailler. Ils méritent un bon pape qui ne soit pas le fruit de notre pouvoir ou de nos stratégies et tactiques, mais de notre responsabilité.Pourrait-on voir désigné un pape français ?Tout est possible, du moment qu’il y a des personnalités capables. On en connaît. Après, il y a des choses qui ne dépendent pas de nous. Et on ne vote pas pour ses amis, ou de l’affectif, mais en fonction de l’avenir de l’Eglise.Seriez-vous prêt à exercer vous-même cette charge si vous deviez être désigné ?Moi, je suis novice. Je suis prêt à aider, soutenir, mais je pense qu’il nous faut quelqu’un qui a plus d’expérience, notamment dans la connaissance de la curie romaine (les institutions administratives du Saint-Siège et l’organe central de son gouvernement, NDLR), c’est important pour avoir une vision plus ajustée. Je pense que ma place, pour le moment, est en Corse.
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Publish date : 2025-04-27 16:30:00
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