Si Donald Trump voulait causer un infarctus au PDG d’Apple, il ne s’y prendrait pas autrement. Un jour, le président américain inflige à l’ensemble de la planète des droits de douane prohibitifs. Un autre, il suggère que les smartphones et les ordinateurs en seront exemptés. “Personne n’est tiré d’affaire” rugit Donald Trump le surlendemain, son administration expliquant que le cas de l’électronique et des semi-conducteurs sera finalement traité à part, dans les semaines à venir.Si les Américains ont ouvert la porte à une désescalade le 22 avril, une épée de Damoclès reste pour l’heure au-dessus de Tim Cook et des patrons de la tech. Car ces dernières semaines, la Chine et les Etats-Unis ont musclé leur bras de fer. Washington a porté les droits de douane visant les produits chinois à 145 %. Pékin à 125 % ceux visant son rival. “Les entreprises américaines qui fabriquent en Chine ou importent de là-bas sont confrontées à une situation d’embargo”, observe Elvire Fabry, chercheuse senior en géopolitique du commerce à l’institut Jacques Delors.Plusieurs facteurs expliquent l’offensive de Donald Trump. D’abord le constat que l’empire du Milieu n’a pas rempli sa part du contrat depuis son entrée dans l’OMC en 2001. La Chine n’a que faiblement ouvert son marché. Subventionné en coulisses ses entreprises. Imposé aux firmes étrangères d’importants transferts de technologie. Surtout, ses politiques autoritaires ont maintenu les salaires et la consommation à un faible niveau afin de doper le secteur manufacturier à l’international. Ce qui a déséquilibré son économie. Alors que la Chine ne pesait que 13 % de la consommation mondiale en 2023, elle produit environ 30 % des biens manufacturés. Et ce chiffre pourrait atteindre 45 % en 2030.Les Américains réalisent, du reste, brutalement aujourd’hui qu’ils ont sous-estimé la Chine. Certes, sa gestion de la crise Covid a été catastrophique. Certes, son économie ralentit et le déclin démographique la fragilise – elle devrait perdre 14 % de sa population d’ici 30 ans. Mais le géant asiatique regarde l’avenir sereinement grâce à la formidable expertise acquise dans les industries et les technologies d’avenir, sous l’impulsion de Xi Jinping.La Chine contrôle près de 70 % de l’extraction et 90 % du raffinage mondial de terres rares, dont les entreprises de technologie et de défense ne peuvent se passer. Elle possède les deux tiers du marché mondial des batteries. 80 % de celui des panneaux solaires. La rapidité à laquelle elle sait construire des réacteurs nucléaires fait pâlir d’envie les Français. Et en mars dernier, son champion BYD a soufflé à l’américain Tesla la casquette de numéro un mondial des voitures électriques.Les “dark factories” de la ChineLes investissements majeurs de la Chine en IA et en robotique payent enfin doublement aujourd’hui. Non seulement par le poids intrinsèque de ces marchés. Mais aussi car ils lui créent un écosystème industriel hors du commun. L’immense “dark factory” inaugurée par Xiaomi à Changping en est l’éclatant exemple. Cette usine de 80 000 m2, qui devrait produire un smartphone toutes les trois secondes, fonctionne 24h24 dans le noir complet, car elle est quasi entièrement automatisée.L’affrontement de Donald Trump et de la Chine ne surprend donc pas outre mesure. Et il donne de premiers résultats. Apple a promis de dépenser 500 milliards de dollars sur quatre ans pour construire des data centers et une usine de serveurs IA aux Etats-Unis. Jensen Huang, le patron de Nvidia, s’est engagé sur un montant du même ordre. Le champion taïwanais des puces TSMC, quant à lui, a ajouté une enveloppe de 100 milliards de dollars aux 65 milliards déjà prévus pour construire trois usines de fabrication, deux sites de conditionnement ainsi qu’un centre de R & D sur le sol américain.Donald Trump a cependant commis trois erreurs dans cette guerre technologique à haut risque. D’abord, le président américain a abîmé ses alliances, au moment où il en a le plus besoin. Si la Maison-Blanche veut ralentir une puissance de l’envergure de la Chine, il lui faut mettre de son côté l’Union Européenne, le Canada, l’Australie, le Japon mais aussi l’Inde. L’ironie de l’affaire est que beaucoup de ces pays y étaient plutôt ouverts. Les Australiens, comme beaucoup d’Européens, avaient ainsi fermé la porte de leurs marchés 5G à Huawei, lorsque l’oncle Sam les y avait invités. Et Bruxelles s’emploie maintenant depuis plusieurs années à “derisker” l’économie de l’UE en identifiant et en réduisant ses dépendances stratégiques à la Chine.Le comportement glaçant de Donald Trump avec Volodymyr Zelensky, ses menaces d’annexion du Canada et du Groenland, ses insultes aux Européens ont cependant causé des ravages. Au point que Pékin semble aujourd’hui presque plus fiable que les Etats-Unis. Les Européens ne sont pas dupes, bien sûr : ils savent que la Chine continue de soutenir la belliqueuse Russie. Et qu’ils doivent l’empêcher à tout prix de rediriger encore plus ses surcapacités vers l’Europe maintenant que les Américains la boudent.L’UE a cependant compris qu’elle devrait traiter Washington avec la prudence méfiante qu’elle réservait jusqu’à présent à Pékin. Si la technologie chinoise n’est pas neutre, celle des Américains l’est d’ailleurs de moins en moins. Bruxelles a vu la Maison-Blanche faire chanter l’Ukraine en se servant de sa dépendance à Starlink. Encourager ses géants du numérique à ne pas lutter contre la désinformation. Virer ses meilleurs experts du renseignement et de la cyber, notamment le Général Haugh, directeur de la NSA, au simple motif qu’une influenceuse complotiste sans aucune expérience le lui a suggéré. Le numérique américain ne peut plus recevoir un blanc-seing.La girouette Trump effraie les industrielsAbîmer ses alliances n’est pas la seule erreur commise par Donald Trump, dans sa guerre commerciale avec la Chine. Son comportement erratique en est une autre tout aussi grave. Dévoiler des mesures chocs pour les mettre en pause quelques jours après est le pire signal qu’il pouvait envoyer aux industriels. Construire des usines représente, en effet, des investissements colossaux, étalés sur des années.Apple travaille ainsi depuis 8 ans à diversifier sa chaîne d’approvisionnement, en Inde et au Vietnam. Mais le lieu d’assemblage des appareils ne donne pas une vision complète du circuit. En coulisses, 90 % des composants de l’iPhone sont toujours fabriqués en Chine, selon les estimations de Wedbush Securities. Tenter de recréer un écosystème industriel aux Etats-Unis où la main-d’œuvre spécialisée manque et coûte plus cher ne sera pas aisé.Aucune entreprise sensée ne se lancera dans cette périlleuse aventure si elle doute que Donald Trump maintienne durablement ses droits de douane. D’autant qu’en 2026, les élections américaines de mi-mandat pourraient le forcer à changer de cap. “A court terme, certains acteurs tenteront sans doute de contourner les droits de douane en faisant une dernière étape de transformation de leurs produits dans des pays tiers moins sujets aux taxes. Toute la question est celle de la pérennité de cette stratégie”, souligne Olivier Lluansi, auteur de Réindustrialiser : le défi d’une génération (Les Déviations, 2024).Donald Trump a commis une troisième et dernière erreur dans sa bataille avec la Chine : son plan d’attaque manque de vision et de granularité. Il veut battre Pékin mais scie la branche sur laquelle il tient en réduisant le financement de la recherche, en malmenant ses universités et en détricotant les politiques industrielles de Joe Biden (Chips Act, IRA…) qui donnaient de bons résultats. Et la vision qu’il brosse d’une filière électronique 100 % made in USA ne tient pas debout. Les consommateurs ne le verront pas tout de suite car beaucoup d’entreprises se sont constituées en urgence des stocks – Apple a fait venir 600 tonnes d’iPhone d’Inde par avion. Mais si Donald Trump maintient ses mesures, les prix des produits électroniques vont très vite augmenter. Rien que le coût du travail aux Etats-Unis infligerait à la facture de l’iPhone une hausse de 25 %, selon Bank of America Securites. En prenant tous les paramètres en compte, l’analyste tech Dan Ives de Wedbush estime que le prix d’un téléphone Apple “Made in USA” pourrait grimper jusqu’à 3500 dollars.L’illusion isolationniste de Donald TrumpDonald Trump aurait dû établir une liste de produits bien plus précise avant d’avancer ses pions. “Encourager la relocalisation d’industries stratégiques à haute valeur ajoutée comme les semi-conducteurs et les batteries aux Etats-Unis a du sens. Ces industries créent des postes bien payés, beaucoup de valeur, et elles rendent la base industrielle de l’économie et de la défense plus résiliente”, fait valoir Kyle Chan, chercheur à l’université de Princeton et à la RAND Corporation, auteur de la newsletter High Capacity.Il est en revanche étrange que Washington n’encourage pas le “friendshoring” de produits moins sensibles. Les Etats-Unis gaspilleront un argent fou s’ils s’entêtent à tout faire eux-mêmes. S’ils étaient rusés, les Américains auraient même laissé leurs vannes grandes ouvertes sur les produits plus basiques tels que l’électroménager, les jouets ou le textile. Ce serait le meilleur moyen de maintenir la Chine hors de leur pré carré.
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Author : Anne Cagan
Publish date : 2025-04-23 09:00:00
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