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Le budget 2025 à peine bouclé, le ministre de l’Economie, Eric Lombard, a déjà les yeux rivés sur celui de 2026. En toile de fond, le sempiternel problème de la nécessaire réduction du déficit public. Le gouvernement s’est fixé pour objectif de trouver 40 milliards d’euros, sans recourir à une hausse des impôts. Une équation complexe pour le pays champion du monde de la dépense publique. Mais la situation budgétaire l’impose, comme l’a laissé entendre le ministre : “Le temps du quoi qu’il en coûte est terminé.”Un virage libéral inattendu vers la responsabilité budgétaire ? Ce serait oublier que la fin du “quoi qu’il en coûte” a été, depuis le Covid, un serpent de mer de la politique française. En 2021, le ministre de l’Economie Bruno Le Maire en faisait déjà la promesse devant les dirigeants du FMI. En réalité, la réduction du déficit public est un problème ancien qui ne date pas des largesses budgétaires des années Covid. Preuve en est : la France n’a pas voté de budget à l’équilibre depuis 1974. Mais, que les Français se rassurent, il ne s’agit pas d’une “cure d’austérité”, s’est empressé de préciser Eric Lombard. Et le gouvernement ne s’apprête pas à sortir non plus la “tronçonneuse” chère au président argentin, Javier Milei, a renchéri la ministre des Comptes publics, Amélie de Montchalin.La méthode MileiPourtant, si la France souhaite réduire ses dépenses publiques, il pourrait être intéressant de regarder ce qui se fait de l’autre côté du globe, à Buenos Aires. “L’Argentine de Milei est un laboratoire économique passionnant pour la France”, assure à L’Express l’Italo-Argentin Daniel Borrillo, chercheur associé au CNRS.Car, au-delà du style provocateur du président argentin et de ses accents conservateurs, ses résultats économiques, salués par le FMI et plusieurs instances internationales, sont à mettre au crédit de sa politique. En novembre 2023, date à laquelle le candidat libertarien est arrivé au pouvoir, l’Argentine traversait une situation économique désastreuse. Avec une inflation annuelle record de 211 %, un déficit budgétaire de 5,4 %, et des taux de pauvreté et de chômage atteignant des sommets, le pays frôle alors le défaut de paiement.Ce 11 avril, un peu plus d’un an après l’arrivée de Javier Milei au pouvoir, l’Argentine a obtenu 42 milliards de dollars de la part des institutions financières internationales, preuve d’une confiance retrouvée, “reconnaissance des impressionnants progrès réalisés dans la stabilisation de l’économie argentine”, a commenté sur X la directrice générale du Fonds monétaire international, Kristalina Georgieva. Parmi les signes encourageants, on peut citer la réduction spectaculaire de l’inflation, le retour de la croissance au deuxième semestre 2024, la baisse du taux de pauvreté et une stabilisation du budget et de la dette. De quoi laisser rêveurs nos gouvernants, en mal de solutions pour retrouver l’équilibre budgétaire. En 2024, le dirigeant argentin a réduit de 35 % les dépenses publiques et a même dégagé un surplus budgétaire, “la première fois en quinze ans”, soulignait dans nos colonnes l’historien allemand Rainer Zitelmann.Réduction draconienne des transferts de l’Etat fédéral vers les provinces, suppression de ministères, de secrétariats, sous-secrétariats et sous-départements, réduction de la masse salariale de la fonction publique, restructuration et simplification des dépenses sociales et annulation d’innombrables subventions publiques… Javier Milei n’a rien laissé au hasard. Fidèle à ce qu’il avait annoncé pendant sa campagne présidentielle, le chef d’Etat a engagé son pays dans une cure d’austérité drastique et assumée.Javier Milei contre l’Etat-providenceUne source inépuisable de solutions dans laquelle le gouvernement n’aurait plus qu’à piocher ? Pas si simple, prévient le docteur en sciences politiques argentin Leonardo Orlando : “Ce que fait Javier Milei en Argentine, ça n’est pas simplement trois ou quatre mesures, mais l’application d’une philosophie. Si la France devait s’inspirer de Milei, elle devrait s’intéresser à la philosophie qui sous-tend sa politique.” Sur ce point, les précautions oratoires du gouvernement, qui réfute les termes de “tronçonneuse” et de “cure d’austérité”, suggèrent que le pays est loin d’être prêt pour un tel choc, estime l’économiste et spécialiste de l’Amérique du Sud Alexandre Marc. Pour cet expert associé à l’Institut Montaigne et ancien spécialiste en chef à la Banque mondiale, “la grande différence entre l’Argentine et la France, c’est l’acceptabilité des réformes”. En effet, il existe en Argentine une réelle demande politique en faveur du “dégagisme libéral” prôné par Javier Milei. Une différence de contexte essentielle pour comprendre pourquoi la politique menée par le président libertarien, au-delà des différences structurelles entre les deux pays (comme le fait que l’Argentine soit un pays fédéral, par exemple), n’est pas aisément transposable en France.Ce que Javier Milei a promis de faire, c’est de détricoter un Etat-providence gangrené par la corruption. C’est ce que Ian Vásquez, vice-président des études internationales au Cato Institute, appelle le “système corporatiste”. “Depuis plus de sept décennies, l’Argentine est en proie à un système corporatiste, mis en place par Juan Perón sur le modèle de l’Italie fasciste de Mussolini. Dans ce système, l’Etat organise la société en groupes – syndicats, corporations patronales, fonctionnaires, etc. – avec lesquels il négocie pour définir les politiques nationales et équilibrer les intérêts. Il s’agit d’une forme de collectivisme qui efface l’individu, centralise le pouvoir au sein de l’Etat et incite les groupes d’intérêt à se disputer le favoritisme gouvernemental par le biais des dépenses publiques et de la réglementation”, écrit-il dans la revue Free Society.L’exemple des “gnocchis”, terme utilisé par les Argentins pour désigner les titulaires d’emplois fictifs dans la fonction publique, est une illustration de ces gabegies budgétaires au seul profit d’une minorité. Pour l’économiste Nathalie Janson, “la popularité de Milei s’explique par le fait que la classe politique avant lui est allée tellement loin dans le clientélisme que cela a généré un grand mécontentement. Il faut bien comprendre qu’en Argentine, si tu n’étais pas proche du pouvoir, la vie était beaucoup plus dure.”Une question d’acceptabilitéLe ras-le-bol des Argentins à l’égard de leurs élites puise ses racines dans les conséquences désastreuses de décennies de péronisme sur leur économie et leur vie quotidienne. “Les Argentins ont tellement souffert de l’absence de contrôle du déficit et de la dépense publique, abonde Daniel Borrillo, qu’aujourd’hui ils sont prêts à tous les sacrifices pour ne pas retomber dans l’hyper-inflation et le défaut de paiement.” Si Javier Milei a pu mener une politique de réduction des dépenses si ambitieuse, c’est parce qu’il bénéficie du soutien d’une population consciente de la nécessité de ces réformes. Aujourd’hui encore, le taux d’approbation de sa politique avoisine les 50 %, un taux jamais atteint après un an au pouvoir par ses prédécesseurs.Alors qu’en Argentine les problèmes de la dette et de l’inflation sont intimement liés – notamment parce que l’Etat finance souvent ses déficits en imprimant de la monnaie, ce qui alimente l’inflation –, en France, le déficit budgétaire n’a que très peu d’impact sur la vie quotidienne des Français, ce qui rend une prise de conscience plus improbable. Pour Alexandre Marc, “il n’y a pas, en France, le même sentiment d’urgence, parce que la dette française n’affecte pas les ménages au jour le jour. C’est une différence fondamentale pour comprendre pourquoi un Milei français ne peut pas émerger dans le contexte politique français”.Le tollé provoqué par le budget adopté par Christelle Morançais, présidente de la région Pays de la Loire, en est une illustration parfaite. En décembre 2024, celle que les médias français surnommaient la “Javier Milei du Grand Ouest”, ou encore la “Thatcher des Pays de la Loire”, a fait voter un budget amputé de 82 millions d’euros, en coupant notamment dans la culture et les subventions aux associations. Il n’en fallait pas davantage pour susciter une levée de boucliers. “Massacre à la création”, a même titré le journal Libération.Un “manque d’ambition”Si la France et l’Argentine “ont en commun une même addiction à la dépense publique, la leçon de l’Argentine de Milei, c’est qu’il faut toucher le fond pour qu’une population accepte des ajustements aussi radicaux, capables de réduire en quelques mois de 30 % la dépense publique”, analyse Daniel Borrillo. Jusqu’à présent, la relative stabilité économique de la France et le cadre européen lui ont évité le scénario de l’hyper-inflation et du défaut de paiement. Mais cette situation peut-elle durer ? Pour le moment, pas de scénario argentin en vue. “Mais c’est ce qui nous pend au nez si la France s’engage dans un programme comme ceux de LFI ou du RN”, alerte Daniel Borrillo. Une analyse partagée par Alexandre Marc : “Ce qui est certain, c’est que la France ne peut pas continuer avec un tel accroissement de la dette, et qu’on ne pourra pas la réduire en augmentant encore les impôts. Dans le contexte actuel, difficile tant sur le plan commercial que sur celui de la production, il est urgent d’ajuster nos dépenses publiques de façon à gagner en compétitivité.”Comment, dès lors, réduire la voilure ? Certains, comme le philosophe Gaspard Koenig et l’économiste Marc de Basquiat, plaident par exemple pour une simplification normative et fiscale à travers la mise en place d’une sorte de “revenu universel libéral”, une allocation unique versée sans conditions à tous les citoyens, accompagné d’un impôt négatif. Cela permettrait, comme l’a fait Milei en Argentine, de réduire drastiquement le nombre d’aides en simplifiant le système social. D’autres, comme Agnès Verdier-Molinié, directrice de la fondation Ifrap, recommandent de s’inspirer de “la logique argentine ou américaine” pour couper dans les 776 agences d’Etat et 337 commissions et instances consultatives ou délibératives, en leur demandant de justifier leur efficience et “la légitimité de leurs actions, ligne à ligne, et par là même l’utilité de leur existence”. Décentralisation, baisse du nombre de fonctionnaires, amélioration de l’efficacité des services publics, ou encore désengagement de l’Etat de certains secteurs non régaliens au profit du privé (culture, audiovisuel, logement, éducation supérieure, énergie, transport, etc.)… Les chantiers ne manquent pas. L’acceptabilité sociale de telles mesures, en revanche, demeure incertaine.Si l’objectif gouvernemental des 40 milliards va dans le bon sens, Nathalie Janson regrette toutefois un “manque d’ambition”. “Ce qu’il faudrait, explique-t-elle, c’est repenser complètement le périmètre de l’Etat, et réintroduire dans le système français les notions de liberté et de responsabilité.” Un appel à une révolution libérale qui a peu de chances d’être entendu. A moins d’une prise de conscience collective et d’une forte demande politique, il est peu probable de voir un jour Amélie de Montchalin brandir une tronçonneuse…



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Author : Baptiste Gauthey

Publish date : 2025-04-22 03:45:00

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