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Lorsque le “pape du bout du monde” se présente à la loggia de la basilique Saint-Pierre le soir de son élection, rien ne laisse présager qu’il s’intéressera autant aux questions géopolitiques. Jorge Mario Bergoglio, ancien archevêque de Buenos Aires, est davantage préoccupé par les questions de justice sociale que par les relations internationales. Son pontificat marquera pourtant une profonde rupture avec celui de son prédécesseur Benoît XVI, en retrait sur la scène mondiale, en incarnant des figures nouvelles. “François a d’abord endossé le rôle du protestataire à l’égard d’un ordre international injuste, inégalitaire, avec sa volonté de s’adresser aux périphéries, aux exclus, aux réfugiés et aux migrants ; et en vilipendant l’ordre occidental et libéral – il visait particulièrement les Européens et les Américains”, constate François Mabille, chercheur associé à l’Iris où il dirige l’Observatoire géopolitique du religieux.Le pape a aussi joué un “rôle humanitaire”, poursuit cet expert, en mobilisant sa diplomatie et les ONG catholiques aussi bien pendant la crise du Covid que dans les conflits en Ukraine et à Gaza. “Enfin, il a voulu assumer le rôle du médiateur en s’impliquant avec des succès divers pour rétablir les relations diplomatiques entre Cuba et les Etats-Unis, en soutenant le processus de paix en Colombie ou encore en se rendant courageusement en République centrafricaine”, rappelle l’auteur de Le Vatican. La papauté face à un monde en crise (Eyrolles).Souverain pontife argentin, sa vision géopolitique a rompu avec l’eurocentrisme traditionnel du Vatican. Alors que le pape polonais Jean-Paul II a profondément incarné le clivage Est/Ouest en pleine guerre froide, son successeur a symbolisé celui entre le Nord et le Sud. Bergoglio a cherché à dissocier le catholicisme de son image de religion occidentale, en favorisant l’émergence d’Eglises catholiques locales et en faisant entrer massivement au sein du collège cardinalice des prélats issus des pays du Sud vers lesquels il a déplacé l’axe de sa diplomatie.Diplomatie de la paixSes nombreux voyages apostoliques, près d’une cinquantaine, l’ont ainsi porté très souvent hors du Vieux Continent : au Mozambique, en Irak, en Mongolie, au Bahreïn, au Mexique ou encore au Kazakhstan et en Indonésie. Il aura nourri deux regrets : celui de ne pouvoir se rendre en Russie après avoir rencontré le patriarche de Moscou, Kirill avec lequel il a signé une déclaration conjointe à Cuba en 2016 et surtout en Chine. Les tentatives pour apaiser les tensions entre le Saint-Siège et Pékin n’auront pas abouti. Dans les deux cas, sa volonté de rapprochement lui a valu de sévères critiques et des accusations de naïveté.Prônant une diplomatie au service de la paix, François déplorait l’érosion du multilatéralisme dans les relations internationales et s’alarmait en janvier 2024 “du risque d’un véritable conflit mondial”. Au cours de ses douze ans de pontificat, il n’a cessé de prôner “la force du droit qui doit prévaloir sur le droit à la force”. Une injonction restée lettre morte et qui a pu créer des incompréhensions et même choquer dans le contexte des conflits russo-ukrainien et israélo-palestinien. Lors de son dernier message de Pâques, la veille de sa disparition, il martelait : “Aucune paix n’est possible sans véritable désarmement ! Le besoin de chaque peuple de pourvoir à sa propre défense ne peut se transformer en une course générale au réarmement.””François s’est voulu le pape du Sud global sans mesurer qu’il renvoyait à des réalités nationales très différentes et sans souci d’analyser les régimes politiques en question, estime François Mabille. Lorsque L’Osservatore Romano, organe de presse du Vatican, commente l’élargissement du bloc des pays émergents Brics (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud) à l’Arabie saoudite, l’Iran, l’Egypte, les Emirats arabes unis, l’Ethiopie et l’Argentine, il se félicite que ces pays s’organisent pour un ordre international plus juste. On peut légitimement nourrir des doutes sur les intentions de Xi Jinping, Vladimir Poutine ou le régime Iranien. Mais la diplomatie de Bergoglio a été une diplomatie de mouvement, voulant faire confiance aux personnes pour arriver à des résultats. Une vision qui aura parfois été trop idéaliste.”Le pontificat qui vient de s’achever n’aura pas été exempt de polémiques. Les propos tenus il y a un an par François estimant qu’il est “courageux” de brandir le “drapeau blanc” et de négocier lorsque « les choses ne vont pas bien » ont été perçus comme un appel lancé à l’Ukraine à la reddition. Très critique à l’égard de l’opération militaire israélienne à Gaza, sa demande d’ouverture d’une enquête pour établir si la situation répond aux caractéristiques d’un génocide avait provoqué l’ire du gouvernement de Benyamin Netanyahou.Mais c’est avec les Etats-Unis que les relations étaient les plus tendues. “Celui qui veut construire des murs et non des ponts n’est pas chrétien”, avait déclaré sans détour le pape avant l’élection de Donald Trump, qualifiant de “honte”, la veille de son investiture, ses mesures antimigrants. “Ses rapports avec Washington étaient bien plus complexes, nuance François Mabille. Il y a certes l’opposition frontale avec le président Trump et celle avec son entourage ultraconservateur sur le dossier migratoire, l’impérialisme nord-américain, l’environnement ou encore le dialogue interreligieux. Mais sur les questions de société, il y avait des convergences, même si la façon de l’exprimer était différente. C’était le cas sur l’avortement, la famille traditionnelle, les minorités sexuelles LGBT+.”Des positions partagées par le vice-président américain J. D. Vance, récemment converti au catholicisme, venu à Rome passer avec sa famille les fêtes de Pâques. L’entrevue que lui a accordée François la veille de sa mort aura été l’une de ses toutes dernières. Le Vatican précise que les deux hommes ont abordé “la situation internationale, en particulier dans les pays marqués par la guerre, les tensions politiques et des situations humanitaires difficiles, avec une attention particulière portée aux migrants, aux réfugiés, aux prisonniers”. Plus qu’une discussion, un testament.



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Publish date : 2025-04-22 06:15:00

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