Au printemps 1970, le président Nixon est furieux. Il en veut aux universités de ne rien faire pour stopper les manifestations contre guerre du Vietnam de plus en plus nombreuses après l’extension du conflit au Cambodge. En représailles, Richard Nixon, qui a des relations tendues avec les élites de la côte est – lesquelles le méprisent souverainement – décide d’annuler des dizaines de millions de dollars de subventions publiques destinées à financer la recherche dans le domaine militaire. Sa première cible est le Massachusetts Institute of Technology, le plus gros bénéficiaire de cette aide fédérale. Peu chauds, ses conseillers ignorent sa demande.”Mais au printemps 1972, après une nouvelle vague de manifestations, Richard Nixon est de plus en plus déterminé à imposer son décret”, raconte Michael Koncewicz, auteur de Ils ont dit non à Nixon. “Les professeurs sont l’ennemi”, déclare-t-il dans le bureau Ovale. Ce qui déclenche l’opposition virulente de plusieurs membres de son équipe qui menacent de démissionner, si la mesure est mise en place. Le président aurait peut-être eu gain de cause, poursuit le professeur Koncewicz, “mais au même moment, le Watergate devient une affaire nationale”. Le MIT est épargné. Sans pour autant que les idées de Nixon soient enterrées.Réformes imposéesEn 2021, JD Vance, le futur vice président, reprend, lors d’un discours, sa formule qui décrit les enseignants comme “l’ennemi”. Ce n’est pas étonnant. Depuis des décennies, les universités considérées comme des bastions gauchistes sulfureux sont la bête noire des conservateurs. Pendant toute sa compagne, Donald Trump a dénoncé leur idéologie woke et anti-Israël. Il les a accusées d’être gérées par des “maniaques marxistes et des cinglés”, qui mènent des politiques de discrimination contre les étudiants blancs. Il a promis de “faire voler en éclat le régime de censure de gauche”.Officiellement il présente son offensive comme une lutte contre l’antisémitisme que les universités, selon lui, ont été incapables de museler lors des manifestations propalestiniennes l’an dernier. Dès son arrivée au pouvoir, il crée une Commission chargée de le combattre. Mais Trump et ses alliés mènent surtout une croisade pour mettre sous leur coupe ces institutions indépendantes et les refaçonner à leur goût. C’est une cible facile et populaire auprès de la base populiste. Selon un sondage Gallup, 57 % des Américains avaient une grande confiance dans l’Enseignement supérieur en 2015, contre 36 % aujourd’hui.L’administration s’attaque d’abord à Columbia, un des hauts lieux de l’opposition à la guerre à Gaza. Début mars, elle annonce la suspension de 400 millions de dollars d’aide fédérale. Ils seront débloqués, assure-t-elle en échange d’une série de réformes, parmi lesquelles un renforcement du pouvoir de la police du campus pour arrêter les “agitateurs”, l’interdiction du port du masque (utilisés par les étudiants pour éviter d’être identifiés), la nomination d’un directeur indépendant à la tête du Département des études sur le Moyen Orient et du Centre sur la Palestine chargé d’examiner les programmes et les embauches de professeurs… Columbia capitule et accepte ces mesures.Mesures de rétorsion contre ColumbiaAprès cette victoire, le gouvernement gèle 175 millions de subventions à l’Université de Pennsylvanie pour avoir autorisé une étudiante transgenre à intégrer l’équipe de natation féminine, prévoit de supprimer 510 millions à Brown… L’objectif, selon Christopher Rufo, un activiste conservateur très influent dans une interview au New York Times est “d’ajuster la formule d’allocation des financements publics aux universités de manière à les plonger dans une terreur existentielle qui les obligerait à se dire, à moins d’un changement de notre politique, nous n’arriverons pas à boucler notre budget cette année”. L’administration lance également des enquêtes sur de multiples campus pour examiner leurs consignes à l’égard des transgenres, de l’antisémitisme, de la discrimination positive… Elle révoque en outre le visa de centaines d’étudiants étrangers et en arrête d’autres dans le but de les expulser pour avoir participé aux manifestations de soutien aux Palestiniens.Les mesures de rétorsion contre Columbia “présentent la plus grande menace pour les universités américaines depuis la Peur rouge des années 1950”, écrit Christopher Eisgruber le président de Princeton dans le magazine The Atlantic. “C’est bien pire que le maccarthysme”, rétorque l’historienne Ellen Schrecker, auteur de No Ivory Tower : McCarthyism and the Universities. Certes, dans les deux cas, un mouvement de la droite extrême cherche à éradiquer une idéologie jugée trop à gauche en persécutant ses ennemis et en intimidant ses critiques. Le sénateur Joseph McCarthy dans sa traque contre de soi-disant communistes a créé un climat de peur sur les campus et entraîné des purges qui ont touché une centaine de professeurs.Mais le maccarthysme, explique Ellen Schrecker, “centré entièrement sur l’élimination de l’influence des communistes américains s’est focalisé sur les activités politiques le plus souvent dans le passé des enseignants. Les attaques actuelles en revanche portent sur tous les aspects de l’enseignement supérieur,” des programmes aux admissions en passant par le sport, les étudiants étrangers… Autre différence de taille, “McCarthy ne disposait pas du pouvoir économique d’un président. Il ne pouvait donc pas dire aux facs on va vous couper les crédits si vous ne limogez pas ce prof”, ajoute Robert Cohen, professeur de Sciences politiques à New York University.La chasse aux sorcières version Trump va beaucoup plus loin : le 1er avril lors d’un déjeuner dans la salle à manger près du bureau Ovale, le chef de l’Etat lance une idée : “Et si le gouvernement annulait tout simplement l’ensemble des quelque 9 milliards de dollars promis à Harvard ? Ce serait cool, non ?”, clame-t-il d’après le New York Times. Ses conseillers menés par Stephen Miller, l’architecte de nombreuses initiatives controversées, ont visiblement moins d’états d’âme que ceux de Nixon et n’essaient pas de le dissuader.Harvard organise sa défenseHarvard créée en 1636 est la plus vieille université américaine et la plus prestigieuse. Soucieuse d’éviter le sort de Columbia, elle a déjà pris des dispositions pour apaiser la Maison-Blanche. Ces derniers mois, elle a adopté une définition plus stricte de l’antisémitisme, limogé deux dirigeants de son Centre sur les études du Moyen Orient, suspendu un partenariat avec une université palestinienne… Elle a aussi recruté un cabinet de lobbying proche des milieux trumpistes et entamé des négociations avec l’administration sur différentes réformes. Au grand dam d’une partie des enseignants qui l’accusent de se coucher devant Donald Trump. Plus de 800 d’entre eux ont signé une pétition lui demandant de résister à ses demandes.Mais le 11 avril, Harvard reçoit une nouvelle liste d’exigences stupéfiantes. On lui demande de “réduire le pouvoir”de certains professeurs, de passer au crible l’idéologie des candidats étrangers et de communiquer aux autorités fédérales les noms de ceux accusés de mauvaise conduite, de vérifier l’existence de plagiat dans les travaux des professeurs, de recruter un auditeur externe pour s’assurer d’une “diversité de points de vue”, entendez des voix plus conservatrices…. Des demandes qui n’ont rien à voir avec la lutte contre l’antisémitisme. “Il a toujours existé une hostilité de la droite envers les universités et la liberté d’expression. On n’a jamais vu cependant un président utiliser les dollars fédéraux comme une arme contre les facs. C’est absolument sans précédent”, estime Robert Cohen. “Trump, c’est le maccarthysme sous stéroïdes”.Stephen Miller et ses alliés s’inspirent en fait des tactiques de Ronald Reagan. En 1966, l’ex acteur de Hollywood brigue un poste de gouverneur de Californie. A cette époque, beaucoup d’Américains s’inquiètent des innombrables manifestations en faveur des droits civiques, de la liberté d’expression, puis plus tard contre la guerre au Vietnam. Ronald Reagan exploite les peurs : il dénonce les actions des “beatniks et des extrémistes” qui s’apparentent davantage à “l’anarchie”. Il accuse l’encadrement et les professeurs d’être trop laxistes et de manquer de “moralité”. Et clame, sans donner de détails, l’existence “d’orgies sexuelles si révoltantes que je ne peux pas vous les décrire”.Une fois élu, il va “nettoyer le cloaque de Berkeley”, promet-il pour s’attirer l’électorat modéré. Après sa victoire, il limoge le responsable chargé de plusieurs campus de l’Etat, n’hésite pas à employer la force pour écraser des rassemblements et réduit le budget du Supérieur. Pour la première fois, il impose la mise en place de frais de scolarité alors que jusque-là les facs étaient gratuites. Cela permettra de “se débarrasser des indésirables, dit-il. “Ceux qui sont là pour brandir des pancartes et non pour faire des études vont peut-être y réfléchir à deux fois”. Ces actions ne calment pas l’agitation étudiante. Pire, d’autres Etats rognent à leur tour leurs budgets et adoptent les facs payantes ce qui cinquante ans plus tard a contribué à la hausse vertigineuse des frais de scolarité. Et depuis tous les candidats républicains reprennent en chœur le refrain de Reagan contre les dangers de l’Enseignement supérieur élitiste et gauchiste.Un début de résistanceLa nouveauté, c’est que ces mesures punitives rencontrent un début de résistance. Moins de 72 heures après avoir reçu la liste de demandes, Harvard les a qualifiées d’inacceptables et refusé de s’y plier. L’université, écrit Alan Garber son président dans une lettre ouverte, “ne va pas abandonner son indépendance ou renoncer à son droit constitutionnel”. Dans la foulée, elle lance une action en justice pour empêcher les coupes budgétaires. C’est la première fois qu’un établissement se rebelle de manière aussi radicale. Harvard n’a pas vraiment le choix. Si elle cède au diktat de la Maison-Blanche, elle fait face à une crise existentielle majeure.Les représailles ne tardent pas. Quelques heures plus tard, l’administration gèle plus de 2,2 milliards de subventions et de contrats. Et impose chaque jour depuis de nouvelles sanctions. Elle explore le moyen de supprimer ses exemptions fiscales, lui colle des enquêtes dans ce domaine, menace de ne pas accorder de visas pour ses étudiants étrangers qui représentent 27 % des effectifs, annonce l’annulation d’un autre milliard de dollars en matière de recherche sur la Santé…Harvard, l’institution la plus riche du monde avec quelque 53 milliards de fonds de dotation, devrait pouvoir survivre à l’assaut. Mais l’impact financier s’annonce brutal. On s’attend à des suppressions de programmes de recherche, des licenciements, des restrictions dans ses hôpitaux… Les attaques de Donald Trump ont au moins un aspect positif : elles ont contraint les grands campus à faire front commun. Plus de 80 anciens ou actuels présidents ont cosigné une tribune dans Fortune pour soutenir Harvard. Même la direction de Columbia a montré un peu de cran en disant qu’elle “rejetterait tout accord dans lequel le gouvernement dicte le contenu de l’enseignement, le type de recherche ou de recrutement.” Pour Ellen Schrecker, “la situation actuelle est unique et n’a pas de comparaison historique”. Sous le maccarthysme, les facs ont préféré collaborer que de s’insurger, dit-elle. “Peut-être avons-nous tiré une leçon du passé”.
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Author : Hélène Vissière
Publish date : 2025-04-22 14:00:00
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