C’est devenu un genre littéraire en soi : la biographie de la femme d’un écrivain. Dans le pire des cas, hélas courant, on a droit à une forme de révisionnisme, avec rabaissement systématique du grand homme au profit de son épouse ou compagne. Le modèle du genre reste L’Invisible Madame Orwell d’Anne Funder, un nanar à charge contre l’auteur de 1984, très contestable sur les faits – on ne dira rien du style (il n’y en avait pas).Sur ce plan, on est tranquille avec Jennifer Lesieur. L’idéologie n’est pas son fort. Elle lui préfère l’empathie, la poésie et la quête de vérité. Lauréate en 2008 du prix Goncourt de la biographie pour un livre sur Jack London, elle a depuis confirmé, notamment avec Rose Valland. L’Espionne à l’œuvre (2023), vendu à plus de 20 000 exemplaires. Cette fois-ci, elle s’empare du couple atypique formé par les Stevenson. Madame n’eut pas trop à se plaindre de son conjoint, si l’on en croit ce qu’elle disait : “C’est un beau titre de gloire, je pense, d’être en mesure de dire de son mari qu’on peut toujours apprendre auprès de lui à être meilleure et plus sage. Ce titre de gloire est le mien.”Leur rencontre a lieu un soir de l’été 1876 à Grez-sur-Loing, en Seine-et-Marne. C’est le mariage de la carpe et du lapin. Issu de la bourgeoisie écossaise, vivant aux crochets de son père, Robert Louis Stevenson est une sorte de traîne-savates valétudinaire de 25 ans. Fanny Osbourne, 36 ans, a selon les gens qui l’ont connue à l’époque “une carrure carrée” et “une corpulence et un caractère qui évoquaient en quelque sorte Napoléon”. Mère de deux enfants, Belle et Lloyd, elle en a perdu un troisième (mort de tuberculose osseuse) et a laissé son mari en Amérique.Louis et Fanny se revoient à Paris. Malgré sa gaieté, son humour et son autodérision (il se définissait comme “l’homme d’Europe le plus quelconque”) Fanny n’est pas immédiatement séduite par ce “grand Ecossais décharné” – ainsi qu’elle le décrit dans une lettre à un ami. Ils ne deviennent amants qu’à l’été 1877, à Grez-sur-Loing où ils sont retournés avec les enfants de Fanny, dont Louis s’occupe déjà beaucoup. Mais Fanny n’est toujours pas divorcée et doit retourner aux Etats-Unis… Pour oublier le manque et sa mélancolie, Stevenson entreprend alors son célèbre voyage avec un âne dans les Cévennes (son père le traite lui-même d’”âne”). Le 7 août 1879, il ne tient plus : il part pour New York. Apprenant ça, son père lui coupe les vivres.Une vie d’erranceLe récit qu’en tire Jennifer Lesieur est digne de L’Amérique de Kafka. Squelettique et sans un sou vaillant, couvert d’eczéma, Stevenson fait peine à voir quand il débarque outre-Atlantique. Le jeu en valait la chandelle : enfin il va pouvoir vivre avec Fanny, avec laquelle il n’aura jamais d’enfant. Commence une vie d’errance entre Davos, la France et les Highlands. C’est là-bas, à l’été 1881, près de Balmoral, que Stevenson écrit L’Île au trésor pour divertir son beau-fils Lloyd. Ce roman pour enfants lui apporte enfin ce succès qui le fuyait. Stevenson n’en profite pas ; victime d’hémorragies en série, il passe son temps alité à cracher du sang dans des mouchoirs. C’est dans ces conditions extrêmes, encore plus spectral que Proust après lui, que, en 1885, il crée L’Etrange Cas du Dr Jekyll et de Mr Hyde en une semaine. Il a écrit une première version en trois jours mais, Fanny l’ayant jugée inaboutie, il a jeté le manuscrit pour le réécrire à nouveau en trois jours !Bien que lunatique, sujette à la dépression, Fanny est la clé de voûte de Stevenson, celle qui le soutient au quotidien et le conseille mieux que personne dans son travail romanesque. Le 28 juin 1888, parce qu’il ne fait décidément rien comme personne, le couple embarque en direction des mers du Sud. D’île en île jusqu’aux Samoa, Stevenson achève ce qui est peut-être son vrai chef-d’œuvre : Le Maître de Ballantrae (merveille à redécouvrir). Sa générosité légendaire s’exprime encore mieux qu’ailleurs – il faut lire le passage sur sa visite de léproserie de Molokai et ceux sur sa défense des autochtones.Après avoir acheté un vaste domaine, construit et aménagé sa maison, l’écrivain meurt d’une hémorragie cérébrale en 1894, à 44 ans (même âge que Fitzgerald), avec le statut de vedette locale. Jennifer Lesieur sait rendre vivant et touchant ce destin incroyable, notamment grâce à des citations très bien choisies de Lloyd. Quant à Fanny, qui n’a jamais vraiment souffert d’invisibilisation, elle trouve avec ce livre une portraitiste à sa hauteur.Les Amants nomades par Jennifer Lesieur. Arthaud, 263 p., 19,90 €.
Source link : https://www.lexpress.fr/culture/livre/robert-louis-stevenson-et-sa-femme-fanny-ou-letrange-cas-de-deux-amants-nomades-MIZPD4JKWNFPZGG6BGETEZBWLA/
Author : Louis-Henri de La Rochefoucauld
Publish date : 2025-04-19 07:00:00
Copyright for syndicated content belongs to the linked Source.
Trending
- UK’s first Asian Hornet nest of 2025 found as experts warn of ‘unprecedented’ invasion
- Beyonce’s mom Tina Knowles reveals her cancer battle after missed mammogram
- ‘The devil wants this pattern of mass death repeated’: Actors Guild of Nigeria calls for better regulation after two actors die
- Gamers shocked as Elder Scrolls IV revealed and launched on same day
- Ulrika Jonsson’s four children reunite for the first time in ‘years’ as she captures the moment in a sweet rare snap over Easter
- Trauer um Franziskus: Vatikan veröffentlicht Papst-Testament und Todesursache
- In „Hitlers Volk“ fächert die ARD die NS-Herrschaft von 1933 bis 1945 in Tagebüchern auf
- Regionalliga: KFC Uerdingen stellt Spielbetrieb ein
Tuesday, April 22