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Sous le soleil texan, le tournoi annuel de golf de la Permian Basin Petroleum Association, organisé le 7 avril, s’est tenu dans des circonstances particulières. Les participants – des pétroliers de la région – ont pour habitude de surveiller le prix du baril plus souvent qu’ils ne regardent l’heure. Or dernièrement, le marché a connu quelques soubresauts. Dans les jours qui ont suivi les annonces du 2 avril, le West Texas Intermediate (WTI) a dégringolé sous les 60 dollars, atteignant son plus bas depuis 2021, avant de regagner un peu de terrain. La cacophonie autour des droits de douane a alimenté les craintes d’une poussée inflationniste et d’un ralentissement économique. Résultat : l’Agence internationale de l’énergie (AIE) a abaissé ses prévisions de demande mondiale. Goldman Sachs, de son côté, a envisagé un scénario extrême, dans lequel le prix du Brent passerait sous les 40 dollars en 2026.Le président américain ne l’a jamais caché : garantir des prix bas à la pompe à ses compatriotes est l’une de ses priorités. “Il compte sur la baisse des prix du pétrole comme levier pour réduire l’inflation et ainsi, inciter la Fed à baisser ses taux, ce qui accélérerait la croissance et rendrait plus facile les nouveaux investissements pour les pétroliers”, explique Emmanuel Hache, adjoint scientifique à IFP Énergies Nouvelles. En parallèle, à travers son mantra “Drill, Baby, Drill”, il affiche l’objectif d’une forte hausse de la production, grâce notamment à un assouplissement réglementaire.Mais concilier ces deux ambitions s’avère ardu. D’abord, parce que la réalité du marché a changé. “Une grande partie des ressources pétrolières se sont épuisées depuis le premier mandat de Trump. Ce qui reste est plus difficile à extraire, et donc plus coûteux”, détaille Livia Gallarati, analyste des marchés pétroliers à Energy Aspects. Ainsi, au vu des conditions actuelles, ce cabinet ne prévoit pas d’augmentation de la production américaine cette année. D’autre part, “les simplifications réglementaires ne sont pas suffisantes pour inciter les producteurs à investir dans de nouveaux forages. C’est le prix qui reste déterminant”, insiste Homayoun Falakshahi, analyste pétrole à Kpler.La rentabilité de nouveaux projets sous pressionSoutiens phares du candidat républicain pendant la campagne, les producteurs commencent à grincer des dents. En première ligne, les acteurs du pétrole de schiste, qui assurent l’essentiel des volumes américains. Leurs investissements sont plus sensibles aux variations de prix à court terme que leurs homologues du pétrole conventionnel, explique Livia Gallarati. D’après la Réserve fédérale de Dallas, ils ont besoin, en moyenne, d’un prix à 65 dollars pour que les nouveaux forages soient rentables. Or, aux niveaux de 61 ou 62 dollars observés ces derniers jours, cette rentabilité devient incertaine.Joint par L’Express, John Bozeman, à la tête de la petite compagnie pétrolière et gazière Bracken Operating, se dit “prêt à accepter certaines souffrances pour que le commerce mondial soit plus équitable”. Tout en émettant des réserves sur l’efficacité de la politique de l’administration Trump. “Au prix actuel de 62 dollars, nos opérations en cours ont un cash-flow positif. Mais tous nos projets de forage, aussi modestes soient-ils, ont été annulés”, avoue-t-il.En outre, certains matériaux nécessaires à la construction des tuyaux – comme l’acier – sont désormais frappés de taxes douanières et donc plus coûteux à importer. Un autre casse tête pour les producteurs. Kirk Edwards, président du producteur de pétrole et gaz texan Latigo Petroleum, explique avoir couvert toute sa production au début du mois de janvier, sécurisant ainsi un prix minimum pour l’année. “Cela nous permet de mieux dormir la nuit, mais pas de recommencer à forer, reconnaît le dirigeant. Aucun indépendant ne mettra en place une plateforme de forage à l’heure actuelle, compte tenu de la faiblesse du prix du pétrole et de l’augmentation du capital nécessaire en raison des droits de douane. La situation économique est très mauvaise en ce moment”.Durant le premier trimestre, déjà, le moral de la filière n’était pas au beau fixe. Dans un sondage réalisé par la Réserve fédérale de Dallas, certaines compagnies d’exploration et de production partageaient leurs inquiétudes. Parmi les réponses, anonymisées, on pouvait lire : “Il est extrêmement difficile de planifier de nouveaux développements à l’heure actuelle en raison de l’incertitude qui entoure les produits à base d’acier” ou encore “L’agitation géopolitique mondiale et les résultats économiques incertains des politiques tarifaires […] suggèrent qu’il est nécessaire de faire une pause dans les dépenses”.L’OPEP + teste la résilience américaineComme si l’incertitude autour de la politique commerciale ne suffisait pas, le 3 avril, huit pays de l’OPEP + ont annoncé augmenter leurs volumes de production plus vite qu’anticipé, exacerbant une tendance déjà baissière. L’explication officielle ? “Des fondamentaux de marché sains et des perspectives de marché positives”. Pour Francis Perrin, directeur de recherche à l’IRIS et spécialiste des questions énergétiques, cette déclaration est un trompe-l’œil. “Personne ne croit à de bonnes perspectives économiques pour le marché pétrolier. C’est une manière de caresser Trump dans le sens du poil et de répondre à sa demande de produire plus pour faire baisser les prix. La temporalité – le lendemain du Liberation Day – n’est pas fortuite”.Fin janvier, Donald Trump avait exhorté le cartel de 23 pays, dont les Etats-Unis ne font pas partie, de faire baisser le cours du brut, pour limiter les ressources de la Russie dans sa guerre contre l’Ukraine. Car pour le président américain, ces prix bas constituent aussi un levier géopolitique. “Il pourrait s’en servir comme moyen de pression contre l’Iran. S’il arrive à convaincre l’Arabie saoudite de les baisser pendant un certain temps, cela affaiblirait Téhéran, qui est déjà fragilisé par la perte de plusieurs alliés”, détaille Jean-Pierre Favennec, spécialiste des questions énergétiques et professeur à Paris Dauphine.Ce faisant, Trump plonge les pétroliers texans dans l’embarras. “L’OPEP + vient tester la résilience des producteurs américains. Si leur activité baisse ou stagne, le cartel pourra reconquérir des parts de marché qu’il a perdues ces dernières années”, explique Homayoun Falakshahi.Poursuite de la guerre commerciale, renforcement des sanctions contre certains pays producteurs… Beaucoup de facteurs peuvent changer la donne sur les prix du brut dans les prochaines semaines. Marlen Shokhitbayev, directeur à l’agence de notation Scope Ratings, voit un risque important qu’ils continuent à baisser. “Les compagnies pétrolières disposent encore d’une certaine marge de manœuvre financière… tant que le prix du Brent ne tombe pas en dessous de 60 dollars”. Au vu de l’incertitude qui règne, les producteurs américains n’ont qu’à bien s’accrocher.



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Author : Tatiana Serova

Publish date : 2025-04-18 15:52:00

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