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La proposition est pour l’instant “à l’étude”. Dans une interview au JDD au sujet des détenus étrangers, publiée le 22 mars, le ministre de la Justice Gérald Darmanin a évoqué la solution d’une sous-traitance de leur emprisonnement dans des pays tiers comme éventuelle solution à la surpopulation carcérale en France. Alors que plus de 82 000 détenus étaient comptabilisés au 1er mars 2025 pour environ 62 000 places opérationnelles – avec 4 580 matelas au sol -, le garde des Sceaux a indiqué qu’il n’existait “pour le moment aucun contre-avis juridique” à une telle externalisation, et précisé “suivre cela de près” en cherchant “des pays à visiter dans cette optique”. L’initiative n’est pas nouvelle : depuis une quinzaine d’années, plusieurs pays européens ont suggéré, voire testé cette possibilité afin de lutter contre une densité carcérale toujours plus forte sur leur territoire.En 2010, la Belgique a ainsi été le premier état de l’Union Européenne (UE) à envoyer ses détenus vers un pays tiers, en louant des places de prison au centre pénitentiaire de Tilburg, aux Pays-Bas. De 2010 à 2016, le pays a débloqué 300 millions d’euros pour y transférer jusqu’à 650 détenus, selon la RTBF. Le gouvernement nationaliste de Bart de Wever, élu en février 2025, compte d’ailleurs réitérer l’expérience, notamment pour ses “détenus en séjour illégal ayant été condamnés définitivement pour des crimes ou délits”, précise le média belge. En 2015, le gouvernement conservateur norvégien a suivi le même chemin, envoyant environ 250 détenus à la prison de haute sécurité de Norgerhaven, aux Pays-Bas, pour un accord d’une durée préliminaire de trois ans et un coût annuel de 25,5 millions d’euros.Coûts “considérables”A l’intérieur ou à l’extérieur de l’UE, certains pays surfent sur la tendance : en mai dernier, le parlement du Kosovo a ainsi approuvé un accord pour louer au Danemark 300 places de prison, pour un montant de 200 millions d’euros. Le gouvernement social-démocrate danois, qui mène une politique migratoire ultra-restrictive, sera chargé de la rénovation de l’établissement pénitentiaire sur le territoire kosovar, qui accueillera d’ici deux ans des détenus étrangers condamnés à être expulsés des frontières danoises à l’issue de leur peine. Il y a trois mois, le gouvernement voisin de la Suède a également évoqué la possibilité de louer des places de prison “au sein de l’UE ou dans l’espace Schengen” pour y envoyer une partie de ses détenus étrangers, missionnant même une commission d’experts chargés d’examiner la faisabilité du projet, comme le rappelle Le Figaro.L’Estonie s’est également dite favorable à l’accueil de détenus étrangers transférés depuis d’autres Etats européens : en septembre dernier, la ministre de la Justice Liisa Pakosta a ainsi proposé un plan visant à louer les cellules vacantes de trois prisons locales à des pays tiers, pour un coût par cellule estimé à 3 500 euros par mois. Une proposition sur laquelle s’est penché le précédent gouvernement britannique conservateur de Rishi Sunak, avant que l’idée ne soit rejetée par le nouveau ministère de la Justice du gouvernement travailliste de Keir Starmer, qui a fait savoir que le plan évalué par ses prédécesseurs impliquait des coûts “considérables” et “significatifs”, rapporte le journal britannique The Guardian.La proposition est également étudiée par la ministre de la Justice des Pays-Bas Ingrid Coenradie, du parti d’extrême droite PVV : après avoir accueilli les détenus d’autres pays dans les années 2010, les Pays-Bas ont ainsi déclaré en janvier leur volonté de délocaliser 500 détenus étrangers vers la prison estonienne de Tartu, afin de faire face au manque chronique de personnel et au manque de places dans les centres pénitentiaires néerlandais.”Logique de stockage”Selon Olivier Cahn, professeur de droit pénal à l’Université de Cergy, ces différentes initiatives européennes ont notamment émergé à la suite d’une décision-cadre de l’UE de 2008, qui étend le principe de reconnaissance mutuelle par lequel les pays membres acceptent et appliquent les jugements adoptés dans les autres Etats de l’UE en matière pénale. Cette décision autorise notamment un pays de l’UE à exécuter une peine de prison prononcée dans un autre Etat membre, et met ainsi en place un système de transfert des personnes condamnées vers le pays dont elles sont ressortissantes, ou avec lequel elles “entretiennent des liens étroits”, afin d’y purger leur peine. “A l’origine, cette directive est pensée pour permettre aux condamnés de nationalité étrangère d’aller purger leur peine dans leur état d’origine, dans une vraie volonté de réinsertion”, explique Olivier Cahn.Mais le texte sera également utilisé par différents gouvernements “dans une logique de management de stock, afin notamment de soulager des administrations pénitentiaires débordées”, indique le chercheur, évoquant le cas de la Belgique en 2010. D’autant que la directive dite “retour” de 2008 établit, la même année, un cadre juridique européen prévoyant que les Etats membres de l’UE puissent renvoyer les ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier vers leur pays d’origine ou vers un autre pays tiers – à condition que ce dernier accepte le retour.”Alors que le changement en profondeur des politiques pénales pour lutter contre la surpopulation carcérale prend du temps, cette possibilité a permis aux Etats de mettre en place un mécanisme quasi-immédiat de transfert, ce qui a évidemment suscité l’intérêt de certains politiques”, souligne Gaëtan Cliquennois, chargé de recherche au CNRS et sociologue spécialiste du monde carcéral.Mais reste à déterminer la pertinence d’une telle mesure, notamment en termes d’investissement financier et de conséquences pour les détenus. En Belgique, ce système de sous-traitance a ainsi été vivement critiqué par les acteurs de terrain : outre son coût, lié à la location des cellules et au transfert des détenus, des remontées sur la difficile réinsertion des prisonniers, leur accès limité à leurs familles, ou le non-respect de leur consentement lors des transferts ont notamment fait l’objet d’un rapport du Comité européen pour la prévention de la torture ou des peines ou traitements inhumains ou dégradants, publié en juin 2012. “Pendant un temps, ces critiques ont dissuadé un certain nombre d’Etats de mettre en place le même type de mesures. Mais les récentes condamnations de la Cour européenne des droits de l’homme sur la surpopulation carcérale dans différents pays – dont la France – inspirent à nouveau certains gouvernements sur le sujet”, résume Gaëtan Cliquennois.”Direction politique très lisible”Au sein de l’UE, Olivier Cahn rappelle par ailleurs le “fort symbole politique” de ces initiatives, systématiquement proposées par des pays “menant des politiques sécuritaires strictes”. “Il y a à la fois un phénomène d’imitation des voisins, mais également une direction politique très lisible ; si vous pouvez envoyer quelques centaines de prisonniers, notamment étrangers, en détention dans un pays tiers, cela sert un certain discours politique”, estime-t-il.Cette sous-traitance, qui exclurait de fait toute possibilité de réinsertion des détenus concernés en France, “s’inscrit d’ailleurs dans un cadrage plus général, auquel semble adhérer pleinement le gouvernement, des problèmes pénitentiaires uniquement en termes de densité carcérale et de stocks”, fait valoir Corentin Durand, sociologue chargé de recherche au CNRS et spécialiste des questions pénitentiaires. “On parle d’unités excédentaires, à savoir les détenus, qu’il faudrait réorienter vers des lieux de stockage disponibles, à savoir les pays tiers, sans s’interroger plus largement sur le contenu de la peine ou les choix politiques qui conduisent à la massification de l’incarcération”, complète le chercheur.Sur la question spécifique des détenus étrangers, le message se veut clair – a fortiori en période d’élection. Dans un entretien au JDNews le 8 avril, Laurent Wauquiez, candidat à la présidence des Républicains, a même proposé “d’enfermer” à Saint-Pierre-et-Miquelon les personnes “dangereuses” sous obligation de quitter le territoire (OQTF). Sur CNews, le député de Haute-Loire a insisté sur l’effet “dissuasif” du climat de ce territoire ultramarin français, évoquant les “5 degrés de moyenne annuelle”, et les “146 jours de pluie et de neige” de l’archipel. “C’est une dimension plus extrême qui consiste à mettre en scène la rudesse des conditions de détention”, analyse Corentin Durand.”On ne parle plus forcément de les envoyer en dehors de nos frontières, mais plutôt de les exiler dans un territoire lointain, où l’on fantasme un régime de détention cruel”, explique-t-il, précisant qu’en l’état, “rien ne lie directement les propositions de la Chancellerie et celles de Laurent Wauquiez”. “Si ce n’est dans la manière de brouiller les frontières entre lutte contre la délinquance et lutte contre l’immigration, soit en criminalisant des formes de migration, soit en traitant de manière différente les détenus étrangers – ce que recouvre le concept anglosaxon de ‘crimmigration'”, souligne-t-il.



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Author : Céline Delbecque

Publish date : 2025-04-18 03:45:00

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