Vingt-cinq années de service au sein de l’administration pénitentiaire, et plus de la moitié passée dans la résidence des Chutes Lavie, dans le XIIIe arrondissement de Marseille. Charlotte (le prénom a été modifié), ancienne surveillante à la prison des Baumettes et récemment reclassée agente administrative pour le ministère de la Justice, bénéficie à ce titre d’un logement à loyer modéré dans ce domaine situé à quelques pas des locaux de la Protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) de Marseille, où cohabitent fonctionnaires de la Chancellerie et autres locataires. “On a toujours été bien ici, mais la sécurité ne fait que se dégrader, et je me pose presque la question de déménager”, regrette cette quadragénaire.Dans la nuit du 14 au 15 avril, une voiture garée sur le parking privé de sa résidence a été incendiée, et plusieurs autres véhicules tagués du sigle “DDPF”, pour “Défense des prisonniers français”. Le bâtiment 2, où résident des agents de l’administration pénitentiaire, a également été visé par ces inscriptions, suscitant “de la colère et de la crainte” chez les habitants. “N’importe qui peut entrer ici, c’est ouvert au tout-venant. On sait très bien qu’ils visent les agents de la pénitentiaire, c’est clairement inquiétant”, souligne cette mère de famille, qui déplore l’état des portails électriques de l’entrée, “qui ne fonctionnent plus” depuis des mois, l’inutilité de la caméra fictive un temps placée devant la résidence, ou encore la porte “cassée et ouverte en permanence” de son bâtiment.”Là, ils mettent le feu à une voiture. Mais c’est quoi la prochaine étape ?”, questionne Charlotte, qui vit déjà “sous pression” depuis plusieurs années. “Quand on me demande quel est mon métier, je dis que je travaille dans l’administration, sans plus de détails”, souligne-t-elle. Autour d’elle, certains voisins ont depuis longtemps opté pour l’autoprotection, préférant “prévenir que guérir” : un collègue de la Direction interrégionale des services pénitentiaires (DISP), vivant au rez-de-chaussée, a ainsi fait installer une alarme à son domicile il y a trois ans, tandis que d’autres résidents réclament l’installation par le bailleur de caméras de vidéosurveillance. Alors qu’une dizaine d’établissements pénitentiaires et de domiciles d’agents ont été visés, ces derniers jours, par des tentatives d’incendie, des tags ou même des rafales de kalachnikov pour la prison de Toulouse La Farlède, la pression monte chez les professionnels de la pénitentiaire, choqués par les tentatives d’intimidation dont ils font l’objet.”On ne fait pas ce travail pour être traqués, suivis jusque chez nous et menacés !”, déplore l’officier pénitentiaire A. Cordier, représentante du syndicat UFAP-UNSa Justice pour la prison d’Aix-Luynes (Bouches-du-Rhône). Dans la nuit du 15 au 16 avril, le portail de la base hébergeant les équipes régionales d’intervention et de sécurité (Eris) de Luynes, chargées de renforcer la sécurité des établissements pénitentiaires, a été incendié et tagué, “par des individus ayant également tenté de tirer sur le bâtiment au fusil à pompe, qui s’est heureusement enrayé”, précise la fonctionnaire. A quelques mètres de là, deux voitures appartenant à des détenus en régime de semi-liberté ont également été incendiées. La même nuit, un surveillant d’Aix-Luynes a par ailleurs été suivi chez lui, et son véhicule personnel incendié. Sur les réseaux sociaux, des images du délit ainsi que de son domicile et de sa boîte aux lettres – étiquetée à son nom – ont été diffusées.”Ça fait longtemps que la pression est là””On passe à un stade supérieur dans la violence, les agents sont devenus extrêmement vigilants”, souligne l’officier pénitentiaire Cordier, confirmant à L’Express que “plusieurs agents investissent dans des caméras de surveillance et des systèmes d’alarmes à leur domicile” et “font des détours d’itinéraire en rentrant chez eux” pour éviter tout risque d’attaque. En parallèle, la hiérarchie rappelle à ses agents les recommandations à suivre dans leur vie quotidienne : ne pas porter l’uniforme en arrivant ou en sortant des établissements, mais se changer directement au sein de la prison, ne pas donner son nom aux détenus, ne communiquer aucune information personnelle sur son lieu de travail.”Ça fait longtemps que la pression est là : des agents vont habiter dans d’autres départements, refusent des logements sociaux, vérifient le nom des autres élèves dans la classe de leurs enfants pour ne pas croiser les familles des détenus ou d’ex-détenus”, assure la représentante UFAP-UNSa d’Aix-Luynes. Pour assurer la sécurité des agents, son syndicat les incite même, depuis le début de la semaine, à “se faire connaître” auprès des services de police locaux, pour communiquer leur adresse, numéro de téléphone et composition familiale, “afin que les forces de l’ordre puissent agir rapidement en cas d’incident”.Même type de précautions à la prison d’Arles, située à une dizaine de kilomètres du centre pénitentiaire de Tarascon, où trois véhicules appartenant à des membres du personnel ont été incendiés, tôt mercredi 16 avril. “On se demande qui seront les prochains sur la liste”, souffle Thomas Forner, délégué UFAP-UNSa à Arles. Dans un tel contexte, des rondes de police plus régulières ont été mises en place devant l’établissement, et le portail du domaine reste verrouillé. “Mais nous avons de nombreux intervenants extérieurs qui vont et viennent, on ne peut pas contrôler l’intégralité des entrées et des sorties”, indique le surveillant.Autour de lui, Thomas Forner assure que des collègues investissent, eux aussi, dans des caméras à leur domicile ou sur leurs véhicules, “se garent plus loin dans leur quartier quitte à marcher un peu pour rentrer chez eux”, ou “suppriment leurs noms des boîtes aux lettres” pour ne laisser que celui de leur conjointe ou conjoint. “On trouve des stratégies pour se protéger. Moi le premier, j’ai pris l’habitude de ne pas dire quel était mon métier aux personnes que je ne connais pas”, admet-il. Certains de ses collègues iraient même jusqu’à “mentir sur leur job, quitte à dire qu’ils font les trois huit à l’usine pour justifier leurs horaires décalés”.”Je n’ai pas envie de tenter le diable”L’intégralité des agents interrogés par L’Express font également part “d’un grand ménage de printemps” sur leurs pages personnelles sur les réseaux sociaux. “Personnellement, j’ai supprimé tout ce que j’avais sur les réseaux. Je n’ai pas envie de tenter le diable”, lâche David Lacroix, représentant FO Justice pour la prison de Vendin-le-Vieil (Pas-de-Calais), récemment choisie par Gérald Darmanin pour y loger “les plus grands narcotrafiquants français”. “On est tous en alerte. Vu les moyens des détenus condamnés pour trafic de drogues, on sait bien qu’ils passeront par ce canal pour nous mettre la pression”, souligne le surveillant.Son confrère Frédéric Chauvet, de l’UFAP-UNSa pour la maison centrale de Saint-Maur (Indre) fait part des mêmes réflexes sur Internet : changer sa photo de profil pour ne pas être reconnu, utiliser des pseudos ou un simple prénom, et trier sur le volet ses contacts sur les réseaux. “Même entre collègues, il vaut mieux éviter de se suivre, pour empêcher ceux qui fouilleraient nos profils de remonter d’éventuelles pistes. Mais aussi parce que certains collègues ne sont pas d’une grande confiance, et pourraient être tentés de divulguer des choses pour acheter leur tranquillité”, fait-il valoir.Alors que 40 000 téléphones ont été découverts dans les prisons françaises en 2024 selon le ministère de la Justice, la rigueur est de mise. “Tout va très vite aujourd’hui, et les réseaux sociaux représentent clairement un danger”, martèle Catherine Forzi, secrétaire FO Justice à la prison des Baumettes, à Marseille. La surveillante ne connaît que trop bien les risques : en décembre dernier, un chef de détention de son établissement a été directement menacé sur les réseaux sociaux, et sa tête mise à prix pour 120 000 euros. Par prévention, le fonctionnaire et la directrice de l’établissement ont préventivement été exfiltrés de leurs postes respectifs, et ne l’ont à ce jour pas retrouvé, selon les informations de L’Express. “Maintenant, plus personne ne se prive de menaces”, regrette Catherine Forzi. “Il y a encore deux jours, un collègue a dit non à un détenu. Ce dernier lui a répondu ‘Tu veux un contrat sur ta tête ?’”.
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Author : Céline Delbecque
Publish date : 2025-04-17 14:00:00
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