Il est assez rare d’entendre des milliardaires républicains critiquer ouvertement la politique de Donald Trump. Et pourtant, ces derniers jours, Ken Langone, gros donateur conservateur, a qualifié les taxes douanières contre le Vietnam de “connerie” et estimé, dans une interview au Financial Times, que le président était “mal conseillé”. Il n’est pas “infaillible” et ces surtaxes sont “une erreur”, a renchéri sur X le patron de fonds spéculatif Bill Ackman avant d’ajouter : “Ce n’est pas ce pour quoi nous avons voté”. Quant à Elon Musk, il a traité Peter Navarro, l’architecte de ces mesures protectionnistes, de “crétin”, “plus bête qu’un sac de briques”.Jusqu’ici, Donald Trump avait bénéficié d’un soutien sans faille des républicains. L’annonce de ces énormes taxes douanières a toutefois suscité une extraordinaire fronde d’une partie de ses alliés. “On commence à voir un effritement de la coalition pro-Trump, mais pas de sa base, qui reste toujours très loyale”, observe Michael Genovese, professeur de sciences politiques à l’université Loyola Marymount. Le président a réussi à se mettre à dos les grands patrons, de l’industrie pharmaceutique à la Sillicon Valley, le Wall Street Journal et la National Review, deux publications conservatrices respectées, et même certains influenceurs de droite qui ont tant contribué à sa victoire en novembre. Sa vision du commerce international est “erronée”, a clamé Ben Shapiro, un podcasteur populaire. Joe Rogan, un autre animateur de podcast influent, a traité de “stupide” l’imposition de droits avec le Canada. Il a aussi dénoncé les “horrifiques” opérations d’expulsions de sans-papiers.Une résistance plus discrète qu’en 2017Lorsque Donald Trump a finalement suspendu temporairement la hausse des taxes, Bill Ackman et d’autres milliardaires, soucieux de rester dans ses petits papiers, ont applaudi la stratégie “brillamment exécutée”. Mais ce revirement a malmené l’image d’invincibilité du président. “Comme les premiers signes du printemps, la résistance à l’hiver de ces trois premiers mois commence à émerger. Elle est vigoureuse dans certains endroits, mais seulement à l’état de frémissement dans d’autres”, résume poétiquement Ross Baker, spécialiste de politique américaine à l’université Rutgers.Le mouvement d’opposition reste bien plus feutré qu’en 2017 où l’élection du promoteur immobilier avait déclenché des manifestations massives, une rébellion contre ses mesures anti-immigration… Huit ans plus tard, il y a des sit-in devant les concessionnaires Tesla. Début avril, plusieurs centaines de milliers d’Américains se sont rassemblés dans tout le pays pour protester. Et la candidate démocrate à un siège à la Cour suprême dans le Wisconsin, Susan Crawford, a remporté haut la main ce premier test électoral depuis l’investiture.Signe d’une grogne croissante. Elon Musk avait pourtant dépensé sans compter pour faire élire son adversaire républicain. Cette victoire a redonné un peu de tonus aux démocrates, déprimés par leur défaite aux présidentielles et sans pouvoir au Congrès. “Les électeurs sont peut-être prêts à se détourner de Trump, mais pour aller vers qui ? Les démocrates n’ont ni leader, ni voix, ni message. Ils doivent offrir une alternative attractive”, met en garde Michael Genovese.L’opposition venue des tribunauxQuant aux élus républicains, malgré leur inquiétude grandissante face au chaos économique, ils continuent, pour la plupart, à soutenir farouchement le chef de l’Etat. Seuls quelques-uns ont osé critiquer les mesures protectionnistes. “J’aime le président, a déclaré Ted Cruz, le sénateur du Texas. Je suis son plus grand soutien au Sénat. Il faut comprendre toutefois que les droits de douane sont des taxes principalement sur le consommateur américain.” Quatre sénateurs républicains se sont joints aux démocrates pour voter une résolution en faveur de la suppression des surtaxes contre le Canada. Sept autres ont soutenu un projet de loi visant à limiter les pouvoirs de l’exécutif en matière de droits de douane. Une mesure symbolique qui n’a aucune chance d’aboutir car leurs collègues de la Chambre y sont hostiles.La seule opposition sérieuse pour le moment est venue des tribunaux. Près de 160 actions en justice ont été lancées contre l’administration et les juges fédéraux ont bloqué ou retardé de multiples décrets visant à supprimer le droit du sol, stopper des subventions publiques, expulser les migrants d’après une loi du XVIIIe siècle… A la fin, c’est la Cour suprême qui va devoir trancher nombre de ces dossiers. La plus haute instance judiciaire dominée par les conservateurs a jusqu’ici plutôt statué en faveur de la Maison-Blanche.La fronde des avocatsA la grande déception de nombreux juristes, les cabinets d’avocats ont été incapables de monter une contre-offensive groupée. Le président a décidé de se venger de plusieurs d’entre eux pour avoir représenté des rivaux politiques ou participé à des poursuites contre lui. Il a signé des décrets visant à couler leur activité en les empêchant de travailler pour le gouvernement fédéral et ses clients. Une dizaine de firmes ont préféré céder pour échapper aux mesures punitives, et négocier un accord avec l’administration dans lequel elles s’engagent à diverses concessions. Cette capitulation a suscité des démissions fracassantes et des accusations “de lâcheté”.Trois cabinets visés ont choisi, eux, de contre-attaquer et ont saisi les tribunaux. Les juges leur ont donné raison et ont suspendu temporairement ces décrets. Dans la foulée, plus de 500 cabinets d’avocats (mais aucun des 20 plus grands) ont publié un texte dénonçant la campagne de représailles de Donald Trump. Plusieurs procureurs ont également démissionné en protestation contre les pratiques non éthiques du gouvernement. Le départ de Danielle Sassoon a fait notamment beaucoup de bruit. Cette procureur de New York a refusé de se soumettre aux directives du ministère de la Justice et d’abandonner les poursuites pour corruption contre le maire de New York, Eric Adams, un proche de Trump.Intimidation récurrenteUn début de mobilisation s’esquisse aussi dans les universités, autre cible du président. La semaine dernière, deux groupes de professeurs de Harvard ont intenté une action en justice contre l’administration qui menace de leur supprimer 9 milliards de subventions publiques et exige une liste de réformes. “Harvard n’a pas seulement les ressources pour résister à la pression,” a affirmé la maire de Cambridge, le site de l’université, lors d’une manifestation, “elle a également l’obligation morale de le faire.”Si la résistance peine à s’organiser, c’est parce que l’occupant du bureau Ovale pratique l’intimidation. “Créer de la peur est sa stratégie préférée pour amener les gens à exécuter ses voeux”, note William Galston de l’institution Brookings. On le voit au Congrès où il menace les élus de torpiller leur réélection à la moindre critique. Ces jours-ci, l’administration a bloqué les subventions destinées aux écoles du Maine, car la gouverneur de l’Etat refuse d’interdire les transgenres dans les équipes de sport féminines.”Pour le moment, l’intense panique sur les droits de douane s’est concentrée surtout sur Wall Street. Nombre d’électeurs de Trump sont prêts à donner un peu de temps au président” pour négocier “de bons deals”, observe Amy Walter, analyste de la lettre Cook political Report. Mais “si les sondages baissent face à la situation économique, les élus républicains vont devoir s’interroger. En attendant, Trump n’a pas grand-chose à craindre, conclut le professeur Genovese : il contrôle la scène et a de l’argent pour le soutenir”.
Source link : https://www.lexpress.fr/monde/amerique/il-na-pas-grand-chose-a-craindre-face-a-donald-trump-une-resistance-bien-timoree-7WFGBYWEIJFGPGD4XJ6ZRV3ZXI/
Author : Hélène Vissière
Publish date : 2025-04-16 09:30:00
Copyright for syndicated content belongs to the linked Source.
Trending
- Dans l’est de la RDC, un enfant est victime de violences sexuelles toutes les trente minutes
- «Pendant les cours, il nous tripotait partout» : d’anciens élèves d’un lycée catholique près de Lyon dénoncent des agressions sexuelles
- Emmanuel Macron appelle les chercheurs internationaux à « choisir » la France et l’Europe, avec un « rendez-vous le 5 mai »
- « Je veux juste qu’on me laisse tranquille » : l’inquiétude et la colère des personnes trans au Royaume-Uni après la décision de la Cour suprême
- Eaux contaminées: Perrier vacille un peu plus
- Ligue des champions : l’affiche des demi-finales désormais connue
- Conseil : « Revenez à Paris Mme Hidalgo ! » assène Rachida Dati
- What happened to Germany’s peace movement?
Friday, April 18