Dans l’excellente série du début des années 2000, Mad Men, Pete Campbell fait chanter Don Draper pour obtenir une promotion, le menaçant de révéler sa véritable identité. Draper, impassible, le remballe : “Votre problème Campbell, c’est que vous n’avez pas réfléchi jusqu’au bout.” En brandissant la menace d’une avalanche de droits de douane au terme de quatre-vingt-dix jours si les négociations n’aboutissaient pas, Donald Trump s’est lancé dans un jeu en s’imaginant maître de la partie. Mais comme Campbell, le président américain pourrait bien n’avoir pensé qu’à la première scène.Car si l’administration Trump espère conclure en quatre-vingt-dix jours 90 accords commerciaux, les obstacles sont légion et les marges de manœuvre relativement courtes. Avec les pays du Vieux Continent d’abord, “il semble techniquement improbable que des accords soient négociés en bilatérale avec chacun des Vingt-Sept, dans la mesure où nous sommes dans une union douanière”, fait valoir Shahin Vallée, chercheur en économie politique au Deutsche Gesellschaft für Auswärtige Politik (DGAP) et ancien conseiller d’Emmanuel Macron, au ministère de l’Economie.Et si des accords bilatéraux entre les Etats-Unis et un des pays européens parvenaient à être conclus, ceux-ci risqueraient de se révéler particulièrement contre-productifs pour l’Oncle Sam. Imaginons par exemple que Giorgia Meloni, qui doit se rendre à Washington ce jeudi 17 avril, parvienne à convaincre Donald Trump d’exempter l’Italie de droits de douane. Qu’est-ce qui empêcherait les autres pays de l’union douanière de contourner par Rome les barrières tarifaires ? “S’il était vraiment prêt à enclencher des négociations, il accepterait de rencontrer les bonnes personnes ; à commencer par Ursula von der Leyen qu’il refuse de voir depuis le mois de novembre”, souligne Shahin Vallée, également ancien conseiller du président du Conseil européen, Herman Van Rompuy, qui regrette que la réponse de l’UE ne soit pas plus ferme.Les armes de négociation de l’UEDans ce bras de fer avec Washington, Bruxelles dispose de nombreuses cartes à jouer. A commencer par la possibilité de réintroduire les contre-mesures mises en place après l’annonce de nouveaux droits de douane sur l’acier et l’aluminium. L’UE pourrait en outre envisager des mesures de rétorsion ciblant les services financiers et numériques que les Etats-Unis exportent massivement vers le Vieux Continent. D’autres secteurs pourraient également être visés, comme celui de la pharmaceutique, où l’Europe figure parmi les principaux exportateurs — ce qui explique sans doute pourquoi les Etats-Unis ont, jusqu’à présent, choisi d’épargner ces produits de taxation additionnelle.Par ailleurs, le contexte actuel de fragilité des marchés financiers américains pourrait constituer une opportunité pour accentuer la pression. C’est notamment la stratégie adoptée par Pékin. A rebours des autres pays visés par l’administration Trump, la Chine n’a pas bénéficié d’une suspension des droits de douane. Si le président américain s’est dit prêt à négocier avec son son rival asiatique et s’est résolu à exempter de tarifs douaniers additionnels les produits technologiques, ce dernier contre-attaque fort. Après avoir augmenté de 125 % les droits de douane sur les importations américaines, l’empire du Milieu a suspendu le 14 avril dernier les exportations de terres rares aux Etats-Unis. Façon de priver la première puissance mondiale de matériaux critiques pour son industrie.Pékin, prêt à renverser le rapport de force ?Si la Chine apparaît davantage dépendre de Washington que l’inverse – notamment pour écouler sa production intérieure – elle dispose de nombreux leviers pour inverser la dynamique actuelle. D’abord, contrairement à d’autres pays comme le Japon ou l’Allemagne, la Chine n’est pas dépendante militairement des Etats-Unis. Or, Donald Trump utilise régulièrement l’argument du “parapluie militaire” comme d’un levier dans ses négociations économiques et commerciales. Un de ses conseillers, Stephen Miran, tisse lui-même un lien direct entre la domination militaire et financière américaine. La première assurant, selon lui, l’existence et la pérennité de la seconde : “C’est la puissance militaire américaine qui garantit notre stabilité financière et la crédibilité de nos emprunts.”En outre, le fait que la Chine soit, juste derrière le Japon, le deuxième détenteur de titres de dette américaine lui confère deux atouts majeurs : d’une part, la possibilité de fragiliser le dollar en vendant une partie de ses réserves ; d’autre part, celle de contribuer à alourdir le poids de la dette américaine en provoquant une hausse des taux d’intérêt. Ce, sans compter l’éventail d’autres mesures que Pékin pourrait mettre en œuvre dans les semaines à venir : boycotts ciblés d’entreprises américaines implantées sur son territoire, restrictions supplémentaires à l’accès au marché chinois, ou encore suspension de la coopération avec les Etats-Unis dans la lutte contre les filières de production et de trafic d’opioïdes, un sujet particulièrement sensible à Washington.Enfin, Pékin dispose d’un avantage structurel : n’étant pas une démocratie libérale, le régime chinois peut encaisser plus longtemps les effets de la crise sans pression populaire directe. Raison pour laquelle Xi Jinping parie probablement sur un essoufflement progressif des Etats-Unis, plus vulnérables à l’instabilité socio-économique. En cas de maintien des droits de douane à 145 % sur les importations chinoises, de nombreuses entreprises américaines risquent d’être lourdement pénalisées par les mesures douanières imposées à la Chine. Une pression financière qui pourrait à court terme conduire à une nouvelle hausse des prix, et ainsi à une baisse de la consommation, voire à une hausse des licenciements.Autant de signaux d’alerte qui pourraient pousser Donald Trump, à un an des élections de mi-mandat, à faire marche arrière – du moins en partie – sur les nouvelles barrières douanières imposées à la Chine, et à renoncer à rétablir les droits de douane pour les autres pays, une fois la suspension de quatre-vingt-dix jours écoulée. Ce, sans contrepartie significative. Si Donald Trump avait regardé Mad Men, peut-être aurait-il compris qu’avant de s’engager dans une partie de bluff, mieux vaut réfléchir jusqu’au bout.
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Author : Ambre Xerri
Publish date : 2025-04-16 05:30:00
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