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Exception faite de Sylvain Tesson, on ne peut pas dire que la recherche formelle caractérise les best-sellers actuels. A-t-on déjà vu un inconditionnel de Barbey d’Aurevilly trouver son bonheur avec une nouveauté signée Virginie Grimaldi ? Quant au “plaisir aristocratique de déplaire” cher à Baudelaire, c’est aujourd’hui la posture idéale pour se griller médiatiquement et socialement. Depuis Anthologie des apparitions jusqu’à Performance en passant par le merveilleux Liberty, Simon Liberati n’en a jamais rien eu à faire de ces histoires de carrière, et c’est tant mieux.On dévore ses livres avec le même plaisir qu’on a à lire Paul Léautaud (l’un de ses maîtres) : le style coule naturellement de ses phrases pleines de style et d’espièglerie. Dans Stanislas, il se souvient du collège du même nom, où il fut scolarisé par ses parents à partir de 1965 : “Ma mère m’a affirmé l’autre jour qu’ils avaient choisi le privé par peur de la drogue dont tout le monde parlait à propos des écoles publiques.” Une inspiration judicieuse quand on connaît les excès en tous genres auxquels s’abandonnera plus tard Liberati. Il est ici question de ses années d’enfance et de jeunesse de la onzième (NDLR : équivalent de la troisième en France) au baccalauréat, vécues dans cette bohème désargentée chic constitutive de son univers.Les happy few seront aux anges : Liberati est toujours aussi poétique et drôle, et continue de maîtriser mieux que personne l’art du name-dropping nonchalant, comme quand il évoque cette ancienne petite amie qui posa pour Pierre et Gilles dans Playboy, et qu’il avait rencontrée chez Pierre Moscovici…Jean-Paul Enthoven et le “narcissisme” des auteursDes gens célèbres, on en croise aussi plein dans le dernier Jean-Paul Enthoven, Je me retournerai souvent (titre déniché chez Apollinaire). Enthoven a connu Cioran, Barthes, Sagan ou d’Ormesson, il évoque brillamment Sollers (son “acrobate préféré”) et n’oublie pas son meilleur ami Bernard-Henri Lévy : “Il peut passer beaucoup de temps sur le choix d’une métaphore avant d’enfiler son gilet pare-balles.” Bien qu’il écrive une langue souple et solaire façon XVIIIe (le siècle, pas l’arrondissement), Enthoven a gardé son tropisme mélancolique pour les écrivains suicidés (Rigaut, Pavese ou Gary).Ce fanatique du prince de Ligne, de Diderot et de Stendhal confesse bizarrement que le grand style de Chateaubriand lui déplaît plus qu’il ne l’enchante alors qu’il a en commun avec le vicomte d’aimer rêver sa vie. Le passage le plus piquant du livre de ce Toscan d’adoption qui demeurera à jamais germanopratin est celui où il revient sur sa carrière d’éditeur chez Grasset, affligé par le “narcissisme inextinguible et parfois justifié” des auteurs dont il avait la charge.Ces derniers seront charmés d’apprendre que l’exigeant Enthoven ne ressentit qu’une fois le “scintillement d’une pépite” en lisant des manuscrits, et que ce fut “au bénéfice d’un écrivain qui est devenu une fameuse canaille” ! Morale de l’histoire : “Je finis par me percevoir comme un proxénète administrant un escadron de gagneurs et de gagneuses qui, eux, devaient tapiner sans relâche sur les trottoirs de la renommée.”Muray, Saint-Simon et Bossuet chez de ViryPierre, le personnage principal du Continent masculin de Marin de Viry, aimerait bien être un gagneur au sens mélioratif du terme. Après avoir été consultant, il a monté une boîte qu’il espère revendre pour 17 millions d’euros à un milliardaire – cet argent engrangé, il pourra enfin se consacrer à sa passion : écrire. Philippe Muray le notait déjà sans son journal en 1996 : “Toute une journée gâchée à expier le malheur de ne pas avoir de rente.”Si convoquer Muray est assez commun, Viry cite également Saint-Simon et Bossuet tout en s’autorisant une digression sur le baisemain – beaucoup plus rare et distingué. Ces ratiocinations ne nous disent rien des tourments de Pierre. S’il séduit la fille dudit milliardaire, Lucrèce (un prénom digne d’une muse d’Enthoven), le jeune homme tombe sous le charme d’une autre, Hélène, tout en couchant par défaut avec une troisième, Margot. On est chez Marivaux. Chez le regretté Benoît Duteurtre aussi, voire chez Houellebecq, quand l’auteur glisse des considérations sociologiques dans son roman. Malgré la diminution du domaine du dandysme, n’oublions pas Viry, Enthoven et Liberati.Stanislas, par Simon Liberati. Grasset, 220 p., 20 €.Je me retournerai souvent, par Jean-Paul Enthoven. Grasset, 268 p., 22 €.Le Continent masculin, par Marin de Viry. Le Rocher, 247 p., 19,90 €.



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Author : Louis-Henri de La Rochefoucauld

Publish date : 2025-04-13 09:00:00

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