Il est l’homme qui symbolise la victoire éclair de l’armée allemande en 1940 contre la France. Père de la Panzerwaffe, partisan de l’utilisation massive de chars d’assaut, le général Heinz Guderian est tombé en disgrâce après la déroute de l’opération Barbarossa, mais a été rappelé par Adolf Hitler pour diriger le front de l’Est dans les derniers mois de la guerre.Mais la plus belle victoire de Guderian, c’est d’avoir échappé aux procès de Nuremberg, avant de publier une autobiographie à succès qui a entretenu sa propre légende comme celle d’une armée allemande qui aurait mené une guerre irréprochable, étant simplement victime des errements stratégiques du Führer.Directeur de Guerres & Histoire et grand spécialiste militaire, Jean Lopez signe une première biographie en français de ce visionnaire de la guerre moderne, mais aussi personnage peu reluisant. Entretien.L’Express : Heinz Guderian s’est mis en scène comme le père des Panzer et le principal artisan de la Blitzkrieg remportée de façon foudroyante contre la France en 1940. Quelle est la part de vérité et de légende ?Jean Lopez : Heinz Guderian est incontestablement l’organisateur de la Panzerwaffe, l’armée blindée allemande, mais il n’en est pas le concepteur. Une demi-douzaine de militaires allemands méritent plus ce titre que lui. Dans les années 1920, alors que le traité de Versailles interdisait “la fabrication et l’importation en Allemagne des chars blindés, tanks ou de tout autre engin similaire pouvant servir à des buts de guerre”, les Allemands ont pris pour modèle les Anglais en matière de guerre moderne et mécanisée. Ils ont par la suite développé une doctrine propre. Guderian fait partie de ce mouvement. Il s’est vanté d’en être le père, mais son supérieur, le général Lutz, a notamment joué un rôle plus important.Il n’en reste pas moins que c’est Guderian qui a mis sur pied la première division Panzer en 1935, qui restera un modèle pour ce type de formation. Les Soviétiques étaient en avance en matière de chars, mais du fait des purges internes, ils ont marqué le pas. Ce qui fait que les Allemands se sont retrouvés seuls à occuper le domaine de la guerre mécanisée. Quand ils entrent en guerre en Pologne en 1939, ils ont encore des interrogations. Mais ils font le pari que ces divisions d’un type nouveau fonctionneront comme une sorte d’ouvre-boîte capable de percer toutes les défenses, offrant ainsi un avantage décisif.Comment expliquer que la France tombe aussi rapidement face à l’Allemagne en 1940 ?La France a plus de chars, et ceux-ci sont souvent de meilleures qualités. Malgré tout, elle se prend une raclée historique. C’est là où l’on voit l’importance de la doctrine. L’armée française a dispersé ses chars, les envoyant par petits paquets, et ses hommes ne sont pas entraînés. Guderian, lui, est un fou d’entraînement. Il a toujours mis en avant la formation des hommes avant la qualité du matériel. Son grand mérite, c’est d’avoir formé des soldats à l’arme blindée, avec un esprit nouveau, hyperagressif, reprenant un peu ce qui avait fait le succès de la cavalerie d’autrefois, à savoir l’audace.Guderian est un fou d’entraînementIl a aussi réussi à faire coopérer chars avec d’autres armes. La division Panzer, c’est un ensemble interarmes avec des chars, mais aussi différents canons montés sur chenilles, de l’infanterie motorisée, ainsi qu’une petite aviation d’accompagnement. Un char n’attaque jamais seul. On l’a encore vu récemment en Ukraine, quand les chars russes ont voulu avancer sur le Donetsk, et qu’ils se sont pris une déconvenue monumentale…Ce triomphe en France a selon vous représenté une illusion pour l’armée allemande. Pourquoi ?Imaginez l’euphorie qui s’est emparée des Allemands. La France était considérée comme la première puissance au monde, avec un arsenal considérable. Les Allemands n’avaient qu’un avantage net en matière d’aviation. Ils ont donc été stupéfaits de cette victoire inouïe, acquise en seulement six semaines. Ils en ont sans doute perdu toute mesure, cédant encore plus à leurs vieux démons, à savoir réfléchir en termes avant tout militaires, et non pas politiques, diplomatiques ou économiques. Et en matière militaire, les Allemands ont toujours eu tendance à raisonner avant tout en termes d’opérations.Mais dans l’euphorie de cette victoire en France, ils ont oublié leurs faiblesses logistiques. Leur armée était dimensionnée pour le front occidental, c’est-à-dire pour de petites régions dans lesquelles il est facile de se déplacer et d’alimenter la bataille. Il est ainsi stupéfiant que personne n’ait levé la main quand Hitler a annoncé qu’il allait attaquer le front soviétique. Alors qu’il s’agit de territoires où il n’y a pas de routes, cinq ou six fois plus grand qu’en France, et face à un adversaire soviétique dont les Allemands ignoraient tout…Les Allemands ont-ils été aussi victimes de leurs préjugés raciaux, en considérant les Slaves comme des “sous-hommes” ?Il y a une part de racisme et d’idéologie. Mais il y a aussi un aveuglement purement militaire. Guderian sait que les Soviétiques ont les plus grands corps mécanisés du monde. En voyant ses propres difficultés à monter une division blindée, il se dit qu’eux n’arriveront pas à organiser des corps cinq fois plus grands. Sur ce point-là, il ne s’est pas trompé, les corps blindés soviétiques ayant été pitoyables dans la bataille.On lui dit d’avancer 30 kilomètres, il en fait 100 kilomètres.Mais ce qui, sur le front français, faisait la force de Guderian – l’audace, l’agressivité, l’individualisme, une capacité à outrepasser les ordres…- devient contre-productif sur le territoire soviétique. On lui dit d’avancer 30 kilomètres, il en fait 100 kilomètres. Il n’a aucun esprit d’équipe, et n’arrête pas de débiner ses supérieurs. Il finit ainsi par épuiser ses troupes. Il prend alors conscience que les Soviétiques se battront jusqu’à la mort, à l’inverse des Français.Après six mois de l’opération Barbarossa, Guderian s’effondre physiquement et moralement. Sur le front, les soldats allemands finissent comme des clochards. Avec sa division blindée, Guderian avait un magnifique outil qu’il a mis dix ans à construire, mais qu’il a démoli en quelques mois. En décembre 1941, quand la contre-offensive de Joukov se déclenche, c’est la catastrophe. Hitler le vire sans manières juste après Noël.Comme Guderian a-t-il pu accepter de devenir responsable du front de l’Est de juillet 1944 jusqu’à mars 1945, en sachant que la situation était désespérée ?Il fait son retour après l’attentat du 20 juillet 1944 contre Hitler. Guderian a l’art de passer entre les gouttes. Il sait qu’il y a un complot contre le Führer, ne dénonce pas les conjurés, mais en même temps refuse d’y participer. Il se met au vert pour attendre de voir comment cela va tourner. Hitler l’appelle ainsi à la tête de l’état-major général de l’armée de terre responsable du front de l’Est. Il accepte alors que c’est un poste infernal, tout le monde sachant que Hitler est un chef très compliqué, imprévisible et maniant le mensonge. Guderian accepte par ambition.Il devient un vrai général nazi, participant à la nazification complète de la Wehrmacht. Côté militaire, c’est la débandade, et Guderian ne brille pas. A partir de juillet 1944, l’armée allemande recule sur tous les fronts et prend des coups terribles. C’est Guderian qui a l’idée du Volkssturm, c’est-à-dire d’une mobilisation militaire totale du peuple allemand, en transformant les vieux et les gamins en char à canon face à l’avancée de l’armée russe. Vous imaginez le résultat… Guderian, qui a toujours priorisé les vertus de l’offensive, doit se convertir aux fortifications. Mais son bilan de guerre, c’est désastre sur désastre.Comment, à la fin de la guerre, réussit-il à échapper au tribunal de Nuremberg ?Il passe encore une fois entre les gouttes. Ses anciens collègues font des années de prison, comme Hermann Hoth ou Georg-Hans Reinhardt. Pourquoi eux et pas lui ? Car Guderian est prudent. Les autres ont laissé des écrits compromettants, lui est resté dans le domaine verbal. Par ailleurs, les juges à Nuremberg étaient noyés sous les documents. S’ils avaient su ce que les historiens actuels savent sur les crimes de guerre, Guderian aurait fait de la prison. Il aurait d’ailleurs pu avoir la corde autour du cou pour son rôle dans la répression de l’insurrection de Varsovie à l’automne 1944.C’est un cas étonnant dans lequel le vaincu à imposer sa vision au vainqueur.Il a participé à une bataille atroce qui a fait 200 000 morts, la plupart des civils. La Wehrmacht était présente et a participé à la destruction totale de Varsovie. Mais Guderian a eu de la chance sur le plan politique. Les Polonais ne sont pas arrivés à faire passer en priorité ce dossier à Nuremberg, la Pologne étant alors divisée entre un gouvernement pro-occidental et un autre prosoviétique.Guderian a aussi bénéficié de la protection américaine. L’Historical Division, un bureau du Département de la guerre, avait pour mission de documenter l’histoire du front de l’Est. Se profilait déjà la perspective de la guerre froide. Or qui connaissait le mieux l’Armée rouge que les hauts gradés de la Wehrmacht ? Les officiers allemands ont donc été chargés d’écrire des articles pour les Américains. En contrepartie, ils n’étaient pas extradés, comme le demandaient les Polonais.Sa plus grande victoire, dites-vous, est le succès de ses Mémoires parus en 1950, les premiers et les plus lus d’un ancien général de la Wehrmacht…Guderian est le premier, mais pas le seul, à défendre l’idée que la Wehrmacht était propre, la meilleure armée du monde. Les officiers allemands auraient été des hommes d’honneur ayant mené une guerre correcte. Ils auraient perdu à cause des erreurs de Hitler. Le public occidental a gobé cette thèse. C’est un cas étonnant dans lequel le vaincu à imposer sa vision au vainqueur. Il a fallu soixante-dix ans de recherches historiques pour revoir la copie.Parmi les thuriféraires de Guderian, on retrouve le célèbre journaliste et historien militaire Basil Liddell Hart. C’est un échange de bons procédés. Liddell Hart aide Guderian à publier ses Mémoires. En échange, Guderian assure publiquement que c’est Liddell Hart qui, dans les années 1920, aurait été le véritable inspirateur des Panzers et de la Blitzkrieg. Ce mythe a duré jusqu’en 1988, quand l’universitaire américain John Mearsheimer, biographe de Liddell Hart, a montré à quel point ce dernier a réécrit l’histoire à son profit.Heinz Guderian, le maître des Panzers, par Jean Lopez. Perrin, 568 p., 26 €.
Source link : https://www.lexpress.fr/idees-et-debats/heinz-guderian-a-participe-a-la-nazification-de-la-wehrmacht-litineraire-meconnu-du-maitre-des-CSOZLMCOKFAYHFK26FS5AEYPPI/
Author : Thomas Mahler
Publish date : 2025-04-13 06:15:00
Copyright for syndicated content belongs to the linked Source.
Trending
- Aux Pays-Bas, les “méga-donneurs” enfreignent les lois sur le don de sperme
- Katy Perry dans l’espace avec Blue Origin : suivez le vol en direct
- Le tribunal administratif de Paris juge illégale la décision du gouvernement de retirer l’agrément d’Anticor
- En direct, guerre à Gaza : le Hamas se dit prêt à libérer tous les otages en échange de la fin du conflit ; une aide européenne de 1,6 milliard pour les Palestiniens
- PlayStation 5 : le prix de la console augmente encore en France
- États-Unis : la justice américaine menace Meta de démantèlement
- «C’est lui qui est puni» : Bruno, 12 ans, exclu de son collège après avoir frappé son harceleur
- Serbien: Präsident geht in die Gegenoffensive
Monday, April 14