“Avant toute chose, je tiens à préciser que je parle en mon nom propre, et pas en celui de l’Université de Caroline du Nord à Chapel Hill”. S’il reste prudent, Nicolas Pégard n’a pas non plus peur d’évoquer ouvertement de la situation de la science aux Etats-Unis. Car ce polytechnicien français spécialiste de l’optique appliquée aux neurosciences a lui aussi constaté les attaques, parfois violentes, de l’administration Trump contre la recherche, et les dégâts qu’elle a déjà provoqués.Entre licenciements au sein des instituts de recherche, complications dans l’obtention des visas et hausse des tarifs douaniers, il livre un état des lieux inquiétant, mais pas non plus dénué d’espoir. Il compte, d’ailleurs, rester aux Etats-Unis et ne semble pas convaincu par les annonces européennes visant à accueillir des chercheurs basés outre-Atlantique. Entretien.L’Express : Comment avez-vous réagi lors de l’annonce de la victoire de Donald Trump ?Nicolas Pégard : J’ai été surpris, car je ne m’y attendais pas. J’ai aussi ressenti une forme de résignation et me suis dit : “Ok, il va falloir s’adapter et préparer les quatre prochaines années”. Je me suis bien sûr posé des questions sur l’impact que cela allait avoir sur le monde de la science, parce qu’il a déjà été au pouvoir et qu’il était donc déjà possible d’en imaginer les conséquences.De nombreux chercheurs ont vu leurs projets supprimés, leurs financements suspendus ou annulés. L’avez-vous également constaté ?Oui, certains collègues des National Institutes of Health (NIH) – qui financent une partie de nos projets – ont été suspendus, puis licenciés et parfois réembauchés en l’espace d’à peine un mois. Cela provoque de grandes incertitudes chez des personnes extrêmement brillantes.A la base, l’idée du Département de l’Efficacité gouvernementale (DOGE, dirigé par le milliardaire Elon Musk) est de réformer les grandes administrations afin de les rendre plus efficaces. Cela pourrait être une bonne chose, mais la méthode employée est déplorable et inefficace. Licencier puis embaucher du personnel pousse les plus talentueux à chercher un autre travail, parce qu’ils ont peur et comprennent que la situation est intenable.Êtes-vous également touché par ces mesures ?Pas directement, car je travaille dans un domaine qui n’est pas polémique. Je fais de la recherche en optique, je développe des outils pour les neurosciences et la biologie : en ce moment, nous développons des systèmes permettant de mesurer l’attention, avec lesquels nous espérons mieux détecter et traiter la dépression, l’anxiété, et la plupart des maladies mentales.Je rencontre néanmoins des difficultés. La première est liée à la délivrance des visas. Nous ne savons pas si les étudiants internationaux vont les obtenir aussi facilement qu’avant. Je redoute de ne plus être en mesure de recruter les meilleurs talents étrangers. Or mon travail, c’est de faire tourner un laboratoire qui produit la meilleure recherche possible. C’est un vrai souci.La deuxième concerne l’augmentation des tarifs douaniers. Mon laboratoire commande énormément de technologies fabriquées à l’étranger. Les Etats-Unis n’ont pas la capacité de production pour répondre aujourd’hui à la demande intérieure car les industries ont déménagé depuis longtemps, faute de rentabilité. Nous craignons une envolée des prix ou des pénuries d’approvisionnement. Or nous achetons des produits relativement uniques, souvent en Chine. Nous n’avons tout simplement pas le luxe du choix.Comment ferez-vous si les prix explosent ?Nous devrons réduire nos achats d’équipements, ce qui freinera directement nos capacités de recherche. Ce ne sera sans doute pas catastrophique, mais notre efficacité en souffrira. Notre université anticipe d’ailleurs ces soucis et a diminué ses recrutements de doctorants cette année, afin de s’assurer que nos budgets restent à l’équilibre.C’est triste, car nous aimerions au contraire nous agrandir. De plus, mon université forme des personnes dans des secteurs en croissance qui créent des emplois, comme l’ingénierie. A la fin de leurs études, nos thésards n’ont aucun problème à trouver du travail bien payé. Nous sommes un moteur de l’économie locale.Envisagez-vous de quitter les Etats-Unis pour revenir en France ou en Europe ?Non, parce que j’exerce non seulement dans un domaine que j’adore, mais aussi parce que je suis bien payé. J’ai un niveau de vie comparable à celui d’un médecin généraliste. En France, des collègues plus qualifiés que moi dans le domaine de l’optique, qui ont un nombre de publications impressionnant et que j’admire, ne sont pourtant pas rémunérés de manière adéquate. Je ne suis pas prêt à faire une telle concession.La différence de salaire est-elle si importante ?Pour que je conserve le même niveau de vie, il faudrait probablement me verser le double de ce qui se fait actuellement en France. Mais il n’y a pas que cela. Ici, nous sommes beaucoup plus indépendants. Quand je suis arrivé à Chapel Hill, on m’a donné un salaire de médecin français, une pièce vide de 100 mètres carrés à aménager et une enveloppe de 2 millions de dollars et on m’a dit : “Maintenant, construis ton laboratoire, recrute des élèves, trouve des financements, publie de la science et rendez-vous dans cinq ans pour l’évaluation”. En France, on ne donne pas aux jeunes chercheurs les mêmes moyens.Que pensez-vous des efforts de certaines institutions européennes pour offrir refuge aux chercheurs souhaitant quitter les Etats-Unis ?Tout investissement dans la science est une bonne idée. Mais quel impact cela va avoir ? J’ai lu notamment dans L’Express que des postes proposés par la Fondation ARC contre le cancer ou par l’université d’Aix-Marseille sont prévus pour trois ans. Ce ne sont pas des solutions à long terme. Mais cela va néanmoins permettre de recruter en France des postdoctorants très talentueux. L’Europe crée une compétition sérieuse avec les Etats-Unis car ce sont des profils que nous aurions sans doute aimé recruter.Ces initiatives vont dynamiser la recherche française et européenne, créer des emplois et à aider à faire des découvertes. En revanche, les montants annoncés sont pour l’instant de quelques dizaines de millions d’euros. Il s’agit donc plus d’un coup de publicité qu’une réelle initiative.Que pensez-vous des attaques contre la science, qui se multiplient des deux côtés de l’Atlantique ?Je prends l’éthique scientifique très à cœur. Je suis attristé d’entendre des personnes qui pensent que les défenseurs de la science sont corrompus par “Big Pharma” ou l’industrie. Si je voulais gagner beaucoup d’argent, je ne serais pas dans la recherche publique, mais chez “Big Pharma” justement, où je gagnerais quatre fois plus. La réalité, c’est que nous sommes passionnés et motivés par les découvertes parce qu’elles améliorent la vie de tout le monde et préparent l’humanité à affronter les problèmes de demain. C’est ce qui me donne envie de me lever tous les matins.Cela provoque de grandes incertitudes chez des personnes extrêmement brillantes.A mon sens, il est important que l’on communique mieux ces valeurs auprès du public, surtout quand on voit que les lignes entre la science rigoureuse et le charlatanisme peuvent s’effacer, et que le public ne sait plus à qui faire confiance. On observe d’ailleurs aux USA les mêmes problèmes qu’en France. Il y a, en marge de la communauté scientifique, quelques brebis galeuses qui viennent entacher notre réputation.
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Author : Victor Garcia
Publish date : 2025-04-12 06:45:00
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