Ils sont six à prendre la parole sur la scène des Rencontres de l’esprit critique (REC), ce samedi 12 avril. Tous ont été parmi les chercheurs ou lanceurs d’alerte les plus actifs dans la dénonciation des défaillances de l’Institut hospitalo-universitaire (IHU) de Marseille, mais aussi dans la lutte contre les désinformations propagées pendant la crise du Covid-19 par le site complotiste France Soir ou l’association Bon Sens. Mais cette fois, c’est à propos des dysfonctionnements de la justice dans ces affaires qu’ils souhaitent alerter. Parmi eux, Lonni Besançon, enseignant-chercheur à l’université de Linköping (Suède), Alexander Samuel, professeur en lycée et docteur en biologie moléculaire, Guillaume Limousin, professeur en collège et ingénieur, ainsi que Fabrice Frank, informaticien et docteur en sciences. Dominique Costagliola, épidémiologiste et directrice de recherche émérite INSERM, Mathieu Molimard, chef du service de pharmacologie médicale du CHU de Bordeaux, se sont joints à leur appel en rédigeant un texte lu par les conférenciers.”Pourquoi la justice ne punit-elle pas les désinformateurs et les fraudeurs ?”, s’interrogent-ils collectivement. Car malgré une accumulation de procédures, d’éléments accablants dont des rapports émanant d’institutions officielles, Didier Raoult, ex-directeur de l’IHU, et ses proches collaborateurs “échappent depuis des années à de réelles sanctions”, déplorent-ils.Parmi leurs griefs : des lenteurs, erreurs et blocages judiciaires qui s’accumulent, jusqu’à l’oubli de procédures entières, des plaintes, vieilles de plus de cinq ans, qui restent sans suite, et l’inaction de l’État, qui laisse faire. “Une impunité systémique face à une série de dysfonctionnements gravissimes”, selon eux. Ils dénoncent encore “un traitement judiciaire à géométrie variable” avec, d’un côté, des plaintes contre les membres de l’IHU qui s’enlisent dans des procédures interminables et, de l’autre, la “célérité remarquable” des actions en justice visant les critiques de Didier Raoult.La justice “dysfonctionnelle”Alexander Samuel a par exemple passé plus de trois ans sous la menace d’un procès engagé par Didier Raoult et Eric Chabrière, son ancien bras droit. Or le Pr. Raoult n’a pas payé la consignation de justice à temps et M. Chabrière ne l’a pas payée du tout. Le juge d’instruction, au lieu de constater l’irrecevabilité de la procédure comme il est d’usage, a décidé de confirmer le procès. Par la suite, M. Raoult a maintenu sa plainte à chaque audience de relais avant de se désister la veille de l’ultime audience. Alexander Samuel n’est plus inquiété, mais il y aura dépensé “5 500 euros de sa poche”, a-t-il indiqué.Lonni Besançon, qui avait porté plainte pour diffamation contre Didier Raoult pour diffamation publique – le professeur marseillais l’avait accusé “de proposer d’envoyer une voiture suicide sur l’IHU” -, a de son côté subi une situation ubuesque. Au bout de trois années de procédure, la juge d’instruction a… oublié de renvoyer en procès avant la date limite de prescription. L’affaire a donc été classée et M. Raoult ne sera jamais jugé pour les faits reprochés. Guillaume Limousin a connu une situation tout aussi étonnante : depuis des mois, le parquet de Marseille assure avoir transmis l’une de ses plaintes pour cyberharcèlement à une brigade de Marseille. Mais le commissariat soutenait ne pas l’avoir reçue. Ce n’est qu’après avoir saisi le parquet général de la Cour d’Appel d’Aix-en-Provence qu’il a eu la confirmation que son dossier a bien été réceptionné.Quant à la plainte déposée en mars 2021 par Dominique Costagliola contre Eric Chabrière pour cyberharcèlement et menaces de mort, elle reste à ce jour sans suite, “malgré les relances répétées de son avocate”, a expliqué la chercheuse. À l’inverse, en 2021, une plainte de l’association BonSens (dirigée par Xavier Azalbert) basée sur un article publié par le site complotiste France Soir (également dirigé par M. Azalbert) a été traitée dans un temps record. En quelques mois, le Parquet national financier (PNF) a perquisitionné le domicile et le bureau de Mme Costagliola. Le classement sans suite – Dominique Costagliola ayant été innocentée de toutes les accusations – ne sera signifié qu’en 2024 -, seulement après de multiples relances de son avocate – comme l’a révélé L’Express.”Le PNF a-t-il déployé autant de célérité et de moyens pour l’enquête visant Mme Costagliola que dans celle sur les millions d’euros récoltés par l’association BonSens et par France Soir, alors que cet argent est principalement utilisé pour lancer des procédures bâillon et pour publier des articles dont certains appellent au meurtre ?”, interrogent les conférenciers. Ces derniers rappellent par ailleurs que l’association de Xavier Azalbert a indiqué pendant plusieurs années à ses donateurs que les dons étaient déductibles des impôts alors que cela était faux.Les plaignants ont mis en lumière le cas d’une autre affaire pour le moins étonnante. Magali Carcopino, fille de Didier Raoult, avait porté plainte contre Eric Chabrière qu’elle accusait de diffamation. Ce dernier a été relaxé malgré des “preuves solides”, déplorent les auteurs de la conférence. Le juge a en effet estimé que même si le numéro de téléphone d’un compte X (ex-Twitter) anonyme et cyberharceleur était le même que celui de M. Chabrière, n’importe qui aurait pu créer le compte puisque le numéro de téléphone était public. Pourtant, l’opération est techniquement impossible : pour créer un compte Twitter avec un numéro de téléphone, il est nécessaire d’avoir le téléphone en main, puisqu’il faut valider l’opération avec ce dernier. Autant d’affaires qui mettent en lumière les difficultés que la justice rencontre depuis des années, dont un manque de moyens et de personnels.Les affaires des essais cliniques illégaux toujours pas jugéesMais le scandale “le plus grave” est peut-être celui des essais cliniques sauvages menés à l’IHU, dont celui sur 30 000 patients traités avec de l’hydroxychloroquine, considéré dans une tribune signée par seize sociétés savantes comme “le plus grand essai clinique sauvage de toute l’Histoire”, a rappelé Mathieu Molimard. Une “tribune d’imbéciles”, avait réagi Didier Raoult à l’époque tout en affirmant que “des milliers de gens qui auraient pu être traités n’ont pas été traités” avec son traitement. Malgré des enquêtes accablantes de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS), l’instruction ouverte en 2022 semble au point mort. À ce jour, Didier Raoult n’a pas été entendu une seule fois par un juge, s’étonne le professeur de pharmacologie, qui réclame “des poursuites et des sanctions effectives envers les responsables des dérives”.Car les faits sont nombreux et graves, a rappelé Fabrice Frank : essais non autorisés sur des étudiantes de l’IHU impliquant des autoprélèvements vaginaux et rectaux – suspendu par mesure de police sanitaire par l’ANSM -, production d’un faux en écriture pour camoufler une absence d’autorisation, prélèvements rectaux sur des milliers de bébés et enfants, avec absence de consentement pour plus d’une trentaine de parents, essai sans autorisation sur des patients en pèlerinage à la Mecque et sur des sans-abri pour tester un slip anti-poux imprégné d’insecticide, etc. A ce jour, 48 publications scientifiques de l’IHU de Marseille ont été rétractées – c’est-à-dire considérées comme invalides -, dont 38 pour le Pr. Raoult. Des centaines d’autres sont encore sous enquête par les revues scientifiques. Didier Raoult, lui, affirme que ces enquêtes sont le fait d'”un acharnement” de ses détracteurs et que le travail mené par des chercheurs indépendants pour révéler les fraudes scientifiques est “le zéro de la science”.48 publications scientifiques de l’IHU de Marseille ont été rétractées, dont 38 pour M. Raoult.Face à ces dérives, les six conférenciers ont aussi dénoncé le manque de réaction de l’Ordre des Médecins et de l’Agence régionale de santé. Ils ont également fustigé l’Université d’Aix-Marseille, qui a enterré pendant deux ans un rapport pointant les dysfonctionnements de l’IHU de Marseille, dont elle est la tutelle. Surtout, ils rappellent que la quasi-totalité des cadres de l’IHU impliqués dans les différents scandales ont conservé leurs postes, et certains ont même été promus. Didier Raoult dispose toujours d’un bureau dans les locaux de l’Institut marseillais, alors que la direction avait promis que ce ne serait plus le cas.Enfin, ils ont pointé du doigt le gouvernement, coupable selon eux de se rendre complice par inaction. En effet, les promesses de “fermeté absolue” formulées par Olivier Véran et Gabriel Attal en 2021 face aux menaces visant des soignants et scientifiques n’ont jamais été suivies d’effet. “Les ministres n’ont pas déclenché l’article 40 du Code de procédure pénale (qui oblige toute autorité à signaler au procureur de la République toute infraction connue). Ils n’ont pas non plus donné suite aux questions écrites répétées du sénateur Bernard Jomier (Place publique)”, lui aussi surpris par l’inaction des autorités, ont-ils affirmé. En septembre 2022, François Braun, ministre des Solidarités et de la Santé et Sylvie Retailleau, ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherches ont, eux, saisi le procureur de la République de Marseille au titre de l’article 40. L’ANSM a elle aussi saisi plusieurs fois le procureur de la République. L’enquête est toujours en cours.Reste que face à cet enchevêtrement de blocages, de silences et de contradictions, les six conférenciers s’interrogent : “La justice française est-elle capable de traiter cette affaire ? Et si non, que dit cette impunité – judiciaire, administrative, politique – sur l’état de droit lui-même ?”.
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Author : Victor Garcia
Publish date : 2025-04-12 14:55:00
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