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Combien de temps Donald Trump peut-il tenir face à la panique mondiale ? Alors que les marchés boursiers s’effondrent depuis l’annonce de droits de douane massifs le 2 avril, le président américain fait du golf et se montre inflexible, persuadé que l’économie américaine en sortira plus forte. Hier, la Maison-Blanche a démenti la rumeur d’une pause de 90 jours avant l’entrée en vigueur des droits de douane. Trump a même menacé la Chine de taxes additionnelles si son grand rival applique des représailles.Desmond Lachman est chercheur à American Enteprise Institute, think tank libéral basé à Washington, et ancien directeur adjoint au FMI. Pour l’économiste, Donald Trump, du fait d’une politique “stupide”, se trouve aujourd’hui dans une position similaire à l’ancienne Première ministre britannique Liz Truss. Face à la pression des marchés financiers, aux critiques grandissantes des milieux d’affaires et à l’inquiétude d’élus républicains qui pensent déjà aux élections de mi-mandat, il prédit que Trump ne pourra tenir que quelques jours ou semaines avant de faire volte-face, tout en assurant que sa politique est un grand succès. Entretien.L’Express : On connaît la célèbre de James Carville, alors conseiller de Bill Clinton : “C’est l’économie qui compte, idiot !”. Elle semble parfaitement résumer la crise actuelle provoquée par les droits de douane de Donald Trump…Desmond Lachman : Sauf que là, c’est la stupidité de Donald Trump qui ne fait aucun sens sur le plan économique. Mais celle-ci a des conséquences très graves. Car élever les droits de douane, c’est faire pression sur les prix. Trump est allé plus loin que ce qu’on pensait. Il a érigé un mur douanier autour des Etats-Unis de 22 %. Si ces droits de douane sont appliqués, cela revient à faire monter les prix d’environ 2,25 %. C’est évidemment une mauvaise nouvelle pour l’inflation, et pour l’économie en général, car les droits de douane représentent une très lourde taxe pour le citoyen lambda.Mais Trump reculera sans doute face à la réaction des marchés financiers. C’est, je pense, juste une question de jours avant qu’il ne mette de l’eau dans son vin, annonçant une pause. Car s’il appliquait réellement ses droits de douane, chaque foyer américain devrait payer de 2000 à 3000 dollars par an. Les prix des légumes, des produits d’épicerie ou voitures augmenteraient, provoquant la baisse de la consommation.Par ailleurs, Trump alimente une grande incertitude économique. Comment une entreprise peut-elle investir dans ce contexte, si elle ne sait pas combien elle va payer pour les intrants ? Aujourd’hui, il est clair que les Etats-Unis risquent une récession. Et en plus de cela, des pays comme la Chine vont riposter, instaurant à leur tour des droits de douane supplémentaires. Quelles seront les conséquences pour les industries exportatrices américaines ou pour le secteur agricole ? Ce serait un choc pour l’économie américaine. Et je ne parle même pas des autres pays. Des Etats comme le Mexique et le Canada, très dépendants des exportations vers les Etats-Unis, vont entrer en récession. La Chine est en pleine crise immobilière et peut, elle aussi, voir sa croissance chuter, ce qui affectera les Etats-Unis. Nous oublions que le S&P 500, qui regroupe les 500 plus grandes sociétés cotées sur les Bourses aux Etats-Unis, tire environ 30 % de ses revenus totaux des activités à l’étranger. Donc si les PIB des pays étrangers s’effondrent, cela fait couler les entreprises américaines. C’est vraiment un désastre total…Vous comparez Donald Trump à Liz Truss. Pourquoi ?En septembre 2022, au début de son bref mandat en tant que Première ministre, Liz Truss a présenté un budget de réduction radicale des impôts qui menaçait de faire exploser le déficit budgétaire du Royaume-Uni. Le marché a réagi violemment à ce budget, faisant chuter les prix de la livre sterling et des obligations d’Etat britanniques. La crise des marchés financiers a contraint Liz Truss à quitter ses fonctions après à peine 49 jours de mandat. Je ne dis pas que Trump va démissionner. Mais les réactions des marchés seront tellement importantes qu’il ne pourra que faire volte-face, car sa politique elle aussi est insensée. Par ailleurs, les élus républicains vont s’inquiéter des élections de mi-mandat. Ils ne veulent pas être associés à une catastrophe économique.Mais Donald Trump est le maître incontesté du Parti républicain, et un président américain concentre bien plus de pouvoirs qu’un Premier ministre britannique…Ce n’est qu’une question de jours ou de semaines. Parce que si les marchés continuent à s’effondrer, c’est tout le système financier qui est sous pression. Des fonds spéculatifs se retrouveront en grande difficulté, ce qui signifie que les banques qui leur ont prêté seront elles aussi en difficulté. Ces mouvements peuvent être très violents. On n’a sans doute pas connu pareille crise depuis 2008. Perdre 10 % de la valeur du marché en deux jours, ce n’est pas rien.L’ironie, c’est que comme vous le rappelez, Trump a principalement été élu du fait des préoccupations économiques des Américains, notamment en matière d’inflation…Il est très difficile de comprendre qu’il soit obsédé à ce point par les déficits commerciaux. Et il semble très têtu. Pour l’instant, Trump n’a montré aucun signe qu’il serait prêt à reculer. Mais il y sera obligé. Il ne peut y avoir des baisses boursières jour après jour, car cela affecte 60 % des Américains qui ont investi d’une manière ou d’une autre dans des actions. Les personnes qui regardent leurs plans d’épargne retraite ne sont pas ravies, car elles ont perdu 10 % en l’espace de deux jours. Et c’est Trump qui en est la cause. Il ne peut que chuter dans les sondages. Trump a fait faillite six fois. Sauf que cette fois-ci, ce ne sont plus ses entreprises, mais tous les Etats-Unis qu’il met en failliteDéjà des élus républicains osent contester sa décision, comme Ted Cruz, pourtant très conservateur. Des électeurs, notamment dans le secteur agricole, se diront qu’ils n’ont pas signé pour que nos agriculteurs perdent tous leurs contrats avec les Chinois. Au cours des prochaines semaines, vous verrez donc des mouvements de protestation politique. D’autant plus que Trump n’a pas une très grande majorité au Congrès, et qu’il a besoin de chaque vote. Je pense qu’il fera vraiment marche arrière. Mais il le fera à sa manière. Il fera volte-face, tout en prétendant que c’était une politique efficace.Les milieux d’affaires avaient réagi très positivement à la réélection de Donald Trump, avec l’espoir d’une dérégulation et d’un boom économique. Mais cela a vite changé…Des grands noms de l’industrie financière, comme Jamie Dimon (JP Morgan) ou Bill Ackman (Pershing Square) ont déjà publiquement fait savoir que ces droits de douane sont de la folie. Les grands patrons attendent juste le bon moment, car Trump les intimide. Si vous vous opposez à lui, vous en paierez le prix fort. Mais si le marché s’effondre, que l’économie s’affaiblit et que l’inflation augmente, ces figures économiques s’exprimeront plus facilement. Aujourd’hui, la situation est déjà vraiment préoccupante. Des accidents sur les marchés financiers sont possibles. Ce qui est notamment singulier, c’est qu’alors que les cours des actions continuent de baisser, les valeurs refuges baissent également. On aurait pu penser que le prix de l’or monterait en flèche ou que les bons du Trésor se stabiliseraient. Mais ce n’est pas le cas. Ce qui pourrait être un signe avant-coureur de la détresse du système financier. Quand les gens ont besoin de liquidités, ils vendent des actifs plus stables. Voilà une autre raison pour laquelle Trump ne peut pas affirmer qu’il s’agit juste de Wall Street, et que le reste du pays n’a pas à s’inquiéter.N’oublions pas non plus qu’à côté des droits de douane, il y a l’action du Doge (NDLR : le Département de l’Efficacité gouvernementale) qui crée une autre vague d’incertitude économique. Des Américains ne savent pas ce qui se passe, et qui sera le prochain sur la liste des licenciements. Encore une autre raison pour laquelle il faut s’attendre à un très fort ralentissement de l’économie américaine, et à une probable récession au cours des prochains trimestres. Tout ira très rapidement.Trump s’est mis dans une position ridicule. Même s’il change de position sur les droits de douane, il n’y aura plus aucune cohérence sa politique économique. Il n’y a aucune stratégie réfléchie. Ce qui veut dire qu’il ne mettra pas facilement fin à ce climat d’incertitude.Vous dites que l’économie n’est pas son point fort. Mais n’est-il pas un homme d’affaires ? N’a-t-il pas étudié à la Wharton School, l’une des meilleurs écoles commerce du pays ?N’oubliez pas que Trump a fait faillite six fois. Sauf que cette fois-ci, ce ne sont plus ses entreprises, mais tous les Etats-Unis qu’il met en faillite ! L’administration Trump ne semble pas comprendre une chose très basique sur le déficit commercial, digne d’un cours de première année en économie. Le déficit commercial n’est pas déterminé par le niveau des droits de douane, mais plutôt par le fait qu’un pays dépense plus qu’il ne produit. Si votre consommation et vos investissements sont supérieurs à votre production, vous allez avoir un déficit. Mais Trump n’a pas réussi à se débarrasser du déficit commercial lors de son premier mandat, et il échouera à nouveau. Car en même temps qu’il augmente les droits de douane, il procède à une importante réduction d’impôts, ce qui ne peut que creuser le déficit budgétaire, qui atteint déjà 6,5 % du PIB et pourrait grimper à 7 ou 8 %. Si Trump insiste pour réduire les impôts dans la mesure qu’il propose, il réduira le taux d’épargne du pays en augmentant le déficit budgétaire alors que ses réductions d’impôts encourageraient l’investissement. Le résultat net serait un creusement du déséquilibre épargne-investissement. Tout comme les réductions d’impôts de 2017 ont entraîné un creusement du déficit commercial, les nouvelles réductions d’impôts feront ainsi de même.Quels sont les risques pour l’économie mondiale ?La Chine est en pleine crise immobilière. Le pays avait une bulle plus importante que celle du Japon à la fin des années 1980. Pour s’en sortir, les Chinois doivent donc exporter. Or Trump impose des droits de douane de 54 % sur les exportations chinoises. Les Européens seront également très mécontents lorsque la Chine tentera d’exporter ses produits en Europe pour contourner les droits de douane américains. La deuxième économie mondiale risque de ralentir très brusquement, ce qui aurait d’énormes conséquences pour tous les autres pays asiatiques, pour l’Europe et pour les Etats-Unis. Des pays exportateurs comme le Vietnam ou Taïwan se voient imposés des droits de douane de 40 %. Le Mexique et le Canada envoient 80 % de leurs marchandises aux Etats-Unis. Or Trump leur impose un tarif de 25 %. Il ne s’agit donc pas que d’un problème américain, c’est mondial.Votre pays, la France, a par exemple un problème d’endettement. L’Italie est dans une situation encore pire. Si Trump plonge l’Europe dans la récession avec des droits de douane de 20 %, il empêche le redressement économique de l’Allemagne. On pourrait donc avoir une autre crise des dettes en Europe. Vous savez, l’économie mondiale est aujourd’hui fragile. Si on veut que ça s’améliore, il faut une croissance mondiale pour que différents pays puissent avoir une chance de régler leurs problèmes. Mais si vous perturbez le climat économique international, vous placez l’économie mondiale dans une situation très dangereuse. D’autant qu’il y a quand même deux guerres importantes en cours, l’une en Ukraine, l’autre au Moyen-Orient.Au vu de ce contexte incertain, il faut donc espérer que la crise boursière fasse rapidement changer Trump d’avis…Mais les droits de douane sont une obsession personnelle pour lui depuis les années 1980, quand il blâmait le Japon pour les problèmes de l’économie américaine…Le S&P 500 a déjà chuté de 20 % par rapport à son pic. Faudra-t-il qu’il chute de 30 ou 40 % ? A un moment, si Trump voit que tout explose, il n’aura plus le choix. Cela me rappelle le cas de la France au début des années 1980. François Mitterrand a voulu faire une politique de relance, mais les marchés n’ont pas aimé. Il a donc dû se résoudre au tournant de la rigueur.Une fausse rumeur a circulé sur le fait que Trump allait faire une pause sur les droits de douane. Mais à un moment, c’est bien ce qu’il devra faire. C’est une question d’une semaine ou deux. Je me trompe peut-être complètement, mais je ne vois pas comment nous pouvons tenir en continuant comme ça…



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Author : Thomas Mahler

Publish date : 2025-04-08 10:00:00

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