“Les mauvais politiques lisent les sondages. Les bons interprètent ce qu’ils ne disent pas.” Laurent Wauquiez aime citer ce conseil délivré par Nicolas Sarkozy. Sans préjuger de ses qualités, il est permis de penser que le député de Haute-Loire s’est cette fois contenté de lire les enquêtes d’opinion. Le lundi 31 mars, il dénonce avec gravité la condamnation de Marine Le Pen à cinq ans d’inéligibilité avec exécution immédiate dans l’affaire des assistants parlementaires européens. “Dans une démocratie, il n’est pas sain qu’une élue soit interdite de se présenter à une élection”, lance le candidat à la présidence des Républicains (LR) en marge d’un meeting à Royan.Le ton change une semaine plus tard. L’ancien ministre renouvelle sur Sud Radio ses interrogations sur le dilemme démocratique soulevé par la décision du tribunal correctionnel de Paris, mais étrille l’ex-patronne du RN. Il rappelle sa condamnation “très étayée en termes de faits” pour détournement de fonds publics, “une grosse affaire”. Entre les deux interventions, une myriade de sondages a montré l’appui des Français à la décision judiciaire litigieuse.L’offensive commence par une défaiteLe grand rassemblement organisé le dimanche 6 avril par le Rassemblement national “pour la démocratie” n’a pas accouché du raz-de-marée espéré par la formation d’extrême droite, mettant à jour un décalage entre le discours victimaire du parti et sa capacité mobilisatrice – la comparaison avec la manifestation organisée au Trocadéro par François Fillon poursuivi par la justice en 2017 ne tourne pas en faveur de Marine Le Pen. Peut-être Jordan Bardella, qui a revendiqué la présence de 10 000 participants, aurait-il dû être aussi imaginatif qu’un certain Bruno Retailleau.A l’époque peu soucieux des comptages de la police, le fidèle filloniste avait évoqué le chiffre de “près de 300 000 personnes”! En amont, ce cadre RN prévenait : “Tout l’argumentaire repose sur le fait que la juge empêche une candidate qui réunit des millions de voix de se présenter, si dans la rue cet aspect massif ne se voit pas, l’effet sera assez terrible.” L’offensive lancée par le RN pour convaincre l’opinion de l’injustice infligée à sa championne en 2027 a commencé par une défaite. Mais la guerre sera longue d’ici à l’été 2026, date attendue de la décision de la cour d’appel de Paris.”Les Français raisonnent simplement”Le peuple. Marine Le Pen s’est choisi ce confortable allié depuis ce funeste 31 mars. Et tant pis si ce soutien n’a jamais eu son mot à dire. Le Rassemblement national s’est érigé en ventriloque d’une opinion prétendument indignée par la mise sur la touche de la députée du Pas-de-Calais en vue de l’élection présidentielle de 2027. Une fronde spontanée a été mise en scène, traduite par une hausse invérifiable des adhésions au RN ou cette pétition lancée par le parti pour protester contre la mise à mort de “Marine”. L’argumentaire est servi sur tous les plateaux télévisés : le “système” utiliserait l’arme judiciaire pour disqualifier la favorite de la prochaine élection présidentielle. En renonçant à la vaincre dans les urnes, il aurait intériorisé la volonté des Français de la voir entrer à l’Elysée. CQFD.Marine Le Pen s’est heurtée au mur du réel. Sa condamnation a blessé son noyau dur, mais n’a pas bouleversé les Français. “Le RN promettait la foudre, mais les Français sont lucides sur cette affaire”, note le député Horizons Frédéric Valletoux. Une ministre complète : “Elle a réussi à passer du statut de coupable à victime dans son électorat. Mais les Français raisonnent simplement. Ils jugent qu’il n’y a pas de raison que le politique soit traité différemment, sans toujours mesurer ce qu’a de singulier la fonction politique.” Consolider sa base, au risque d’agacer son électorat de conquête : le dilemme est vieux comme la politique. L’opinion publique est traversée par des courants contradictoires. Se greffent une défiance envers la probité des élus et une confiance relative en l’institution judiciaire. Marine Le Pen tente d’agiter le second sentiment, mais sa dénonciation d’une “décision politique” et d’une “chasse aux sorcières” résonne dans le vide.La patronne des députés RN n’est pas sa meilleure avocate. La virulence de son offensive contre le système soude sa base autant qu’elle irrite ses opposants et qu’elle perturbe l’élargissement de son socle électoral. Certains macronistes affichaient de prudentes réserves après la condamnation de Marine Le Pen. Tel celui-ci, de gauche, s’interrogeant sur le concept même d’inéligibilité. Ou cette ancienne ministre, sceptique sur la mesure d’exécution provisoire infligée à Marine Le Pen. “Il y a une place entre le ‘circulez il n’y a rien à voir’ et la dénonciation d’un scandale”, glissait-elle lundi. Las, les attaques véhémentes contre la justice du RN ont éteint ces voix et isolé la formation d’extrême droite. Qui se souvient des interrogations de l’intellectuel Jacques Attali au lendemain du jugement ? Ou des doutes de La France insoumise ? Le RN s’est aliéné ces cautions – on ne saurait les qualifier d’alliés – après ses charges caricaturales contre le système. Personne n’a envie de faire preuve de nuance face au pourfendeur des “juges rouges” ou de la “tyrannie” des magistrats.Limites du en même temps lepénisteFrançois Bayrou a vite mesuré les limites de la rhétorique frontiste. “Pour les gens, Marine Le Pen est aussi du côté des puissants. Et ils sont ravis quand on fait brûler quelqu’un qui est puissant”, dit-on à Matignon. C’est la rançon de la notabilisation. Elle est par essence incompatible avec la victimisation face au système. Le en même temps lepéniste trouve ici sa limite. Le Rassemblement national est condamné à un purgatoire politique d’ici à l’été 2026. Le parti espère continuer à mobiliser ses soutiens en installant l’idée d’une “campagne permanente”, sans jamais évoquer une autre hypothèse que celle de Marine Le Pen candidate. L’alternative Bardella est passée sous silence, tant elle prépare l’effacement de l’ancienne députée européenne et entrave sa bataille de communication. Si le plan B existe, pourquoi alerter les Français contre la disparition du plan A ?Le narratif dramaturgique du Rassemblement national interdit toute solution médiane. Et qu’importe si le déni sous-jacent de cette stratégie pourrait paralyser la formation d’extrême droite si Marine Le Pen était empêchée dans la dernière ligne droite. Celle-ci veut convaincre l’opinion de l’importance de sa candidature, pas de celle du courant idéologique qu’elle incarne. “Cette décision a foulé aux pieds mon peuple, mon pays”, lançait-elle le 6 avril à Paris, avec un curieux recours au pronom personnel. La fille de Jean-Marie Le Pen tente, en vain, de transformer l’opinion publique en allié. Elle est aussi un danger. “L’électorat RN n’est pas branché sur l’agenda de Marine Le Pen”, veut croire un conseiller ministériel.En témoignent les sondages accordant à Jordan Bardella des intentions de vote équivalentes à celle de la patronne du groupe RN, comme si existait une interchangeabilité des deux profils. Si le président du RN a montré, lors des européennes de 2024, qu’il savait attirer sur son propre nom une part impressionnante de votants malgré un débat télévisé difficile face à Gabriel Attal (plus de 31 %), cette quasi-égalité de scores entre l’une et l’autre paraît incertaine. Une campagne présidentielle répond à des ressorts particuliers, qui reposent sur l’histoire singulière qu’a bâtie le candidat avec le pays. A cet aulne, la députée du Pas-de-Calais et le député européen présentent des profils très différents. Mais ces prédictions sondagières créent un climat et se révèlent dès lors piégeuses, conduisant à cette conclusion qu’en tirent certains cadres du RN : leurs électeurs, plus dépolitisés que d’autres, ne seraient pas prêts à descendre dans la rue tant qu’un recours leur est proposé, à même de porter leurs couleurs. Qu’il s’agisse, ou pas, de Marine Le Pen.
Source link : https://www.lexpress.fr/politique/rn/marine-le-pen-condamnee-comment-le-rn-a-perdu-la-bataille-de-lopinion-NZPG6KNXD5BQVNCI5PVEZXPX3I/
Author : Paul Chaulet
Publish date : 2025-04-08 14:00:00
Copyright for syndicated content belongs to the linked Source.