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Il y eut d’abord la sidération face à l’ampleur de l’attaque. Certes, les menaces et les rodomontades martelées par Donald Trump depuis des mois laissaient craindre le pire. Mais l’égotique et imprévisible président américain avait aussi habitué le monde à des volte-face stupéfiantes. Cette fois, le pistolero Trump, adepte d’un mercantilisme primaire, n’a pas dévié. Le 2 avril, baptisé “jour de la libération”, dans la roseraie qui jouxte la Maison-Blanche, il lui a suffi de quelques heures pour dynamiter l’ordre commercial sur lequel était bâtie la croissance mondiale depuis la fin de la guerre froide.Une déclaration de guerre économique d’une violence inouïe, assortie d’une diatribe paranoïaque sur cette Amérique “pillée, saccagée, violée depuis des décennies par des nations proches et lointaines”. Résultat : une taxe douanière minimale de 10 % sur tous les produits pénétrant sur le sol américain, à laquelle s’ajoutent des droits de douane supplémentaires pays par pays, en fonction de l’ampleur de leur excédent commercial. Calcul mathématique simplet et inique. Les produits chinois seront frappés à 54 % au total, ceux en provenance du Japon à 24 %. L’Union européenne hérite, elle, d’une taxe à 20 %. Pour une kyrielle de pays pauvres, l’addition est salée : 49 % pour le Cambodge, 44 % pour le Sri Lanka, 37 % pour le Bangladesh. En moyenne, les taxes douanières américaines vont retrouver leur plus haut niveau depuis 1890…Les réponses à cette offensive protectionniste n’ont pas tardé. La colère froide et le bras de fer assumé de la Chine, qui a aussitôt rétorqué par des droits de douane de 34 % sur tous les produits made in America, entraînant les deux pays dans une escalade infernale. La soumission de beaucoup d’autres. Une cinquantaine de pays aurait instamment prié Washington de négocier. Parmi les Etats les plus touchés par le feu américain, le Vietnam a demandé un délai de grâce de quarante-cinq jours avant l’application des tarifs douaniers de 46 %. La Suisse a répondu qu’elle ne répliquerait pas à l’agression américaine. Tout comme Taïwan, qui veut encore croire en la protection de l’US Army en cas d’attaque militaire de la Chine sur l’île. L’Union européenne, elle, a pris son temps pour calibrer au mieux sa réponse et utiliser pour la ­première fois la batterie d’instruments de coercition imaginés pour faire face à une guerre commerciale… avec la Chine. Renonçant à surtaxer le bourbon du Kentucky pour protéger sa filière vins et spiritueux, menacée de droits à 200 %, elle devrait plutôt s’attaquer au cœur de la puissance américaine : ces géants de la tech qui ont fait de l’Europe une colonie numérique.Un feu grégeois qui souffle les places boursièresAvant même de mesurer les effets de cette guerre commerciale sur l’emploi, les étiquettes dans les magasins et les comptes des entreprises, la planète Finance s’est embrasée. L’indice VIX, calculé quotidiennement par la Bourse de Chicago depuis 2004 et qui mesure l’instabilité financière mondiale, s’est littéralement envolé depuis le 2 avril. Tutoyant des sommets seulement atteints au moment de la faillite de la banque Lehman Brothers, à l’automne 2008, et au début de la pandémie de Covid, au printemps 2020. C’est dire la violence de ce feu grégeois qui souffle toutes les places boursières. Ce krach en rappelle un autre. L’Histoire a retenu le mardi 29 octobre 1929, comme point de départ de la Grande Dépression. Une récession XXL qui sera amplifiée par la guerre commerciale provoquée par la loi Hawley-Smoot, promulguée le 17 juin 1930 et qui instaura des surtaxes douanières sur plus de 20 000 marchandises fabriquées dans le monde entier. Comme un pied de nez, cette fois, c’est la croisade protectionniste du président américain qui a provoqué le séisme boursier de ces derniers jours.Depuis le “liberation day”, le CAC 40 a dévissé de 12,1 % en trois jours, le DAX allemand a perdu 12,2 %, le CSI 300 chinois a dégringolé de 7,6 %. Une chute de 14,6 % en Italie, 14,5 % à Hongkong, 12,8 % au Japon. Aux Etats-Unis, épicentre du krach financier, les titres des grandes entreprises américaines de la tech ont dévissé. Les chiffres donnent le tournis. Le Nasdaq, la bourse des valeurs technologiques, a reculé de plus de 11 %. A elle seule, la valeur d’Apple a fondu de 300 milliards de dollars en une seule séance. Nvidia, le fabricant de puces électroniques, star des salles de marché ces derniers mois, a maigri de 200 milliards.L’administration Trump a-t-elle sous-estimé ce tsunami financier avant de lancer son offensive ? Le 16 mars, le secrétaire d’Etat au Trésor, Scott Bessent, pourtant un vieux loup de Wall Street, expliquait sereinement : “Je peux vous dire que les corrections sont saines, elles sont ­normales.” Face au bain de sang de ces derniers jours, Trump persiste, affirmant doctement que, pour guérir, il faut supporter le traitement.Les Américains, premières victimes de la politique de TrumpMais le remède du locataire de la Maison-Blanche métamorphosé en Dr Diafoirus de l’économie ressemble davantage à une saignée. Et ce sont les Américains qui en seront les premières victimes. Près de 25 millions d’entre eux possèdent un compte sur la plateforme de trading en temps réel Robinhood. La plupart des ménages scrutent quotidiennement l’évolution de leurs avoirs placés dans des fonds de pension qui constitueront l’essentiel de leur retraite. Bien plus qu’en Europe, les yo-yo de la Bourse rythment la vie économique et sociale du pays. Des effets de richesse puissants sur le principal moteur de la locomotive américaine : la consommation des ménages. En 2019, trois ­économistes – Gabriel Chodorow-Reich, de l’université Harvard, Alp Simsek, du Massachusetts Institute of Technology, et Plamen Nenov, de la BI Norwegian Business School – avaient ainsi calculé que 1 dollar de richesse boursière supplémentaire accroissait les dépenses de consommation d’environ 3,2 cents dans l’année qui suivait. La société de services financiers Visa estime, elle, que cet effet de richesse serait en réalité bien plus élevé, proche de 24 cents en 2024, si l’on prend en compte toutes les dimensions psychologiques !Les plus optimistes diront que l’envolée des valeurs boursières ces dernières années gomme en grande partie le gros coup de bambou de ces derniers jours. Ainsi, d’après les calculs de l’économiste Philippe Crevel, président du Cercle de l’épargne, la valeur du patrimoine boursier des Américains a explosé de 128 % au cours de ces six dernières années. “Au total, ces avoirs représentent désormais 1,7 fois le revenu disponible des ménages, soit plus du double de la moyenne historique et proche du niveau le plus élevé depuis 1947”, décortique cet expert. Un patrimoine boursier très concentré.Ainsi, toujours d’après Philippe Crevel, les 20 % des ménages les plus riches détiendraient environ 87 % des actions et des parts de fonds communs de placement, contre seulement 57 % du patrimoine immobilier. Problème : ce sont les achats de ces 20 % les plus fortunés qui ont représenté la quasi-totalité de la croissance des dépenses de consommation aux Etats-Unis l’an passé. “S’ils arrêtent de consommer en raison de pertes en Bourse trop importantes, la croissance risque de caler”, conclut l’économiste. La classe moyenne, et surtout les plus modestes dont une bonne partie a voté Trump, va, elle, payer le prix fort du dérapage de l’inflation provoqué par le renchérissement de toutes les denrées importées. Impossible, du jour au lendemain, de remplacer toutes les importations par des produits made in America. C’est bien l’une des failles du raisonnement de l’équipe Trump. “Il n’y aura pas de relocalisation industrielle massive aux Etats-Unis, car le plein-emploi et les coûts de production, élevés aux Etats-Unis comparativement à l’Asie, ne plaident pas pour une réindustrialisation très forte du pays”, soutient l’économiste Patrick Artus.Mais il y a pire. Les produits qui sortiront des usines américaines risquent, eux aussi, d’être plus chers. Car tous les grands industriels vivent depuis des années grâce à des chaînes de production éclatées dans le monde entier. Un maillage impossible à détricoter en quelques semaines. Pour fabriquer une voiture, un médicament ou une paire de jeans, des milliers de produits semi-finis ou de matières premières ­traversent le Pacifique ou l’Atlantique, afin d’alimenter les usines américaines. Et chaque fois passent les frontières et le contrôle des douaniers. Ce que les économistes appellent le “contenu en importation de la production” est aujourd’hui entre 2 et 3 fois plus élevé qu’il y a trente ans. L’offensive protectionniste de Donald Trump se paiera donc cash sur l’inflation, et par ricochet sur le pouvoir d’achat des Américains. “Ce choc, c’est l’équivalent d’une hausse massive des impôts à un niveau inconnu depuis cinquante ans”, s’alarme Larry Summers, ancien secrétaire au Trésor, sous l’administration Clinton, et ex-conseiller de Barack Obama.Le scénario noir de la “stagflation”Pour beaucoup d’économistes, c’est donc le scénario noir d’une “stagflation”, cocktail amer d’un freinage économique et d’une poussée inflationniste, qui menace l’Amérique. D’après les estimations des experts d’Allianz Research, l’inflation américaine pourrait bondir à près de 4,3 % sur un an au début de l’été, contre 2,9 % actuellement, tandis que la croissance risque d’être amputée de plus de 1 point. L’oracle star de la banque d’affaires JPMorgan, Bruce Kasman, a rehaussé à 40 % les probabilités de récession aux Etats-Unis pour les prochains mois. Jerome Powell, président de la Réserve fédérale, la Banque centrale américaine, a déjà averti des dangers d’un tel scénario. Un casse-tête de banquier central : devra-t-il baisser les taux d’intérêt pour soulager la croissance ou lever le pied et attendre que le choc inflationniste s’évanouisse tout seul ? On imagine déjà les tensions entre Powell et Trump, ce dernier rêvant de mettre au pas la Banque centrale, l’une des rares institutions encore indépendantes du pays.Forcément, avec une Amérique au ralenti et une Chine qui cherche toujours un second souffle, la croissance mondiale va, elle aussi, flancher. Toujours d’après les économistes d’Allianz, la richesse mondiale ne progresserait que de 1,9 % cette année, son plus mauvais résultat depuis 2008. En Europe, l’Allemagne sera sans doute le pays le plus touché. L’institut IFO, l’un des plus grands think tanks du pays, a calculé que l’attaque protectionniste de Trump réduirait la croissance de 0,3 % cette année. Soit une quasi-stagnation du pays après deux années de récession. Et la France ? François Bayrou évoque un coût économique proche d’un demi-point de PIB, complexifiant encore davantage le casse-tête de la préparation du prochain budget pour 2026.Pour autant, partout dans le monde, des forces de rappel existent. Aux Etats-Unis, d’abord. En Californie, le gouverneur de l’Etat, le démocrate Gavin Newsom, s’est déclaré prêt à signer des accords bilatéraux avec le reste du monde pour échapper aux ripostes douanières à venir contre les Etats-Unis. Au sein même des républicains, les rangs ne sont plus aussi serrés. Des voix comme celle de Mike Pence, qui était le vice-président de Donald Trump lors de son premier mandat, ou celles des sénateurs Rand Paul et Mitch McConnell, ancien chef de file du Parti républicain au Sénat, s’élèvent pour dénoncer l’offensive protectionniste trumpiste. Le Texan Ted Cruz a, lui, déclaré que “les droits de douane [étaient] une taxe sur les consommateurs”, redoutant par la même occasion “un bain de sang”.La planète se cherche un nouvel équilibreAilleurs sur la planète, une nouvelle forme de mondialisation faite d’alliances inédites et de rapprochements parfois contre-intuitifs est en train de se dessiner. Avant même la déclaration de guerre commerciale de Trump, la Chine, le Japon et la Corée du Sud ont relancé il y a tout juste deux semaines un large projet de zone de libre-échange, masquant leurs inimitiés politiques. Un projet en sommeil depuis la pandémie. Hasard du calendrier, le lendemain du “liberation day”, Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne, se rendait à Samarcande, en Ouzbékistan, pour un sommet inédit entre les pays d’Asie centrale et l’UE. Au menu des discussions, de l’économie et encore de l’économie. Du commerce, des investissements et pas de surtaxes douanières. En urgence, l’Union européenne ressort du placard tous les projets d’accords commerciaux oubliés parfois depuis des années. Ainsi un vaste traité devrait être signé avec l’Inde d’ici à la fin de l’année et les pourparlers s’intensifient avec l’Indonésie et la Thaïlande. Preuve que le libre-échange n’est pas mort, enseveli sous les bombes de Trump.Le président américain a voulu dynamiter le commerce mondial. La planète est train de se chercher un nouvel équilibre. Sans l’Amérique. Peut-être une chance pour l’Europe, unie, de s’offrir une place au premier rang dans ce nouveau paysage. Délaissant le strapontin où la confrontation entre la Chine et l’Amérique l’avait jusqu’ici reléguée.



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Author : Béatrice Mathieu

Publish date : 2025-04-08 15:00:00

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