Les dérives sectaires en matière de santé sont en expansion et prennent des formes toujours renouvelées, alerte le dernier rapport de la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes), publié ce mardi 8 avril. En 2024, 4 571 signalements ont ainsi été adressés à cet organisme, contre 3 008 en 2020 et 1 260 en 2015. “Les conséquences peuvent être particulièrement graves, pointe la Miviludes. Aux risques habituels de rupture avec l’entourage, d’exigences financières exorbitantes et de troubles psychologiques causés par une relation d’emprise, s’ajoutent des risques de retards de diagnostics, de pertes de chance de guérir, voire de survivre”.Le rapport pointe aussi “des préoccupations constantes dans la prise en charge des malades du cancer”, qui représente plus de la moitié des signalements. Les personnes fragilisées par cette pathologie – plus de 4 millions de Français vivent avec un cancer – sont particulièrement sensibles aux pseudo-thérapies qui font la promotion de “soins” excluant la chimiothérapie – un traitement lourd et redouté par les patients -, ou aux “traitements miracles” qui fonctionneraient là où tous les autres ont échoué. La Miviludes cite de nombreux cas de victimes décédées après avoir adhéré à des pratiques qui excluent le recours aux traitements conventionnels. Les “soins de support” – soutien psychologique, gestion de la douleur, accompagnement social, rééducation, etc. – connaissent eux aussi de plus en plus de dérives à caractère sectaire.Autant de raisons qui ont poussé la Ligue contre le cancer à s’associer avec la Miviludes dans la lutte contre ce fléau. Philippe Bergerot, son président, nous explique les enjeux de cette collaboration et les actions concrètes qui seront mises en œuvre. Entretien.L’Express : Quelles sont les raisons qui vous ont poussé à vous rapprocher de la Miviludes ?Philippe Bergerot : Nous souhaitions officialiser le travail que nous menons avec eux depuis plusieurs années, tout en renforçant nos actions communes en renouvelant notre convention. La cancérologie est très fortement touchée par les dérives sectaires, avec plus de 400 pratiques non conventionnelles recensées. Les malades du cancer sont particulièrement ciblés car plus vulnérables.Il y a trois grands moments de faiblesses. Le premier est lors de l’annonce du cancer, qui peut parfois être brutale surtout s’il s’agit d’une tumeur particulièrement agressive. Le deuxième se déroule lors des phases de rechute. Le troisième intervient lorsque les traitements en deuxième, troisième, ou quatrième intention ont échoué. Cela arrive encore, même si on soigne les cancers de mieux en mieux. Et à ce moment-là, les patients sont parfois prêts à tout.Vous qui êtes radiothérapeute, avez-vous déjà été confronté aux dégâts provoqués par les pseudo-thérapies et les dérives sectaires ?La Ligue contre le cancer reçoit souvent des personnes qui ont été victimes de dérives et qui ont complètement arrêté leurs traitements. Elles reviennent parfois six mois plus tard, quand leur tumeur a doublé de volume. Il est trop tard, ce qui est dramatique.Personnellement, je me souviens d’un cas à Saint-Nazaire où j’ai exercé de 1984 à 2023. Je traitais un homme atteint du cancer qui était grand-père. Son fils était tombé dans les bras d’un gourou, et il avait décidé que son fils – donc le petit-fils de mon patient – qui avait également un cancer devait arrêter ses traitements. Il m’a dit : “Mon fils est devenu fou, aidez-moi”. Il se trouve que ce gourou était connu pour cibler les personnes fragiles. Il se présentait comme guérisseur et infirmier alors qu’il n’avait jamais terminé ses études. Nous l’avons signalé à l’Ordre des infirmiers.Les cas sont nombreux en Loire-Atlantique comme ailleurs. Il suffit de se rendre sur les marchés l’été. Il y a encore des personnes qui vendent des poudres magiques pour guérir le cancer. Avant, j’allais les confronter. Maintenant, même si je trouve toujours cela scandaleux, j’ai arrêté. On ne peut pas les empêcher, et ils se protègent en disant qu’il ne s’agit pas de médicaments, qu’ils ne font pas de prescriptions. Les dérives dans les soins supports sont également en plein essor, rapporte la Miviludes. Qu’avez-vous observé ?La médecine ne doit pas seulement s’occuper de la radiothérapie et de la chimiothérapie, mais aussi de l’accompagnement. Il y a le travail avec l’assistante sociale, la gestion de la douleur, l’accompagnement psychologique pour les patients et les aidants. S’ajoutent aussi la nutrition, la prise en charge des troubles sexuels et de la fertilité, sans oublier l’activité physique. Cela fait partie du panier de soins que nous proposons et que nous finançons à la Ligue. Or nous avons mené une enquête qui révèle que 30 % des malades ne se voient jamais proposer de soins supports et que seuls 30 % en bénéficient, alors que le besoin est bien présent.Il existe donc un risque que des individus aillent vers des soins qui peuvent être dangereux. Par exemple, dans le domaine de la nutrition, n’importe qui peut raconter n’importe quoi, comme des suggestions de régimes au pamplemousse ou l’utilisation de millepertuis, alors que ce fruit et cette plante peuvent entre en contradiction avec certains traitements contre le cancer, ou conseiller de jeûner, ce qui peut être dangereux car cela affaiblit le patient. Même sans être malveillant, on peut donner de très mauvais conseils. Et puis il y a bien sûr tous les cas de personnes qui entrent dans des engrenages qui entraînent d’importantes pertes financières. C’est l’un des principaux problèmes.Concrètement, qu’est-ce que ce partenariat avec la Miviludes peut apporter à la Ligue contre le cancer et aux patients ?Nous avons l’avantage d’être partout sur le territoire grâce à nos 103 comités. Nous pouvons faire remonter des informations, identifier les signaux d’alerte et signaler les cas de dérives et de mise en danger de patients. Et nous pouvons aussi fournir de l’information de qualité et des conseils aux personnes qui viennent nous voir, mais aussi combattre les désinformations.Le but est aussi de remettre à jour notre propre offre. Car nos 103 comités sont tous indépendants, et chacun propose un catalogue de soins supports différent. Il y a parfois des confusions entre les soins supports et les soins d’agrément, avec des propositions pas toujours adaptées. Notre objectif est d’effectuer une mise à jour avec l’aide de la Miviludes. Bien sûr, ce n’est pas toujours facile, car certains soins vont disparaître alors que des personnes viennent pour ça. Il va falloir se montrer convaincant, innover et proposer des solutions qui ne sont pas dangereuses. Nous comptons d’ailleurs mener une étude sur les besoins des personnes qui nous demandent de l’aide afin de définir un panier de base avec des soins de supports validés par la science qui répondent à leurs besoins.Sur Internet, il est possible de trouver des vidéos de charlatans qui font des dizaines, voire des centaines de milliers de vues. Comment pouvez-vous combattre ce phénomène ?Il faut que les gens soient correctement informés et orientés vers les bons sites d’information. Depuis le Covid, la parole médicale a perdu de sa crédibilité. A la Ligue, nous avons des espaces dans des villes, des hôpitaux et des cliniques. Mais nous avons constaté que beaucoup de gens n’osent pas entrer. Nous voulons donc développer le “aller vers”, c’est-à-dire aller à la rencontre des malades, par exemple dans les salles d’attente afin de les informer sur les pratiques autorisées et recommandées, les orienter vers des associations, mais aussi les alerter sur les risques, en leur conseillant toujours de parler de leurs pratiques avec leurs médecins.Le Conseil national de l’ordre des médecins essaie aussi de faire signer une charte aux médecins qui sont sur les réseaux sociaux et qui s’attaquent aux fausses informations, afin d’établir des contre-feux grâce à des influenceurs agréés. Il y a aussi un travail de formation pour que les médecins puissent communiquer de manière claire et précise. Déterminer quels axes développer pour mieux lutter contre la désinformation sur Internet pourrait être une des actions à mener avec la Miviludes.Parmi les désinformateurs connus, nombreux sont ceux à mener leur activité sur les réseaux sociaux sans être inquiétés. Croyez-vous que les grands groupes américains séviront un jour ?Nous avons eu une réunion récemment avec YouTube, une plateforme où se trouvent des personnes extrêmement dangereuses. Ils nous ont détaillé tout un processus pour nous expliquer comment ils se battent contre elles. Je ne suis pas spécialiste en informatique, mais j’ai quand même du mal à comprendre comment une personne dont on sait qu’elle est mise en examen [NDLR : Thierry Casasnovas, chantre du crudivorisme], a toujours sa chaîne et ses centaines de milliers d’abonnés…Le problème, c’est que lorsque des patients mettent le doigt dans ces systèmes de désinformation, ils ne voient plus que cela et ne communiquent plus qu’avec des personnes qui pensent comme eux. Et cela n’arrive pas qu’à ceux qui manquent d’éducation, au contraire ! Nous essayons de combattre tout cela avec de l’information et du contact humain, en parlant aux personnes qui sont tombées dans la désinformation pour leur faire comprendre qu’il peut y avoir d’autres solutions.J’ai quand même du mal à comprendre comment une personne dont on sait qu’elle est mise en examen a toujours sa chaîne et ses centaines de milliers d’abonnés…C’est toujours le pot de fer contre le pot de terre. Mais si nous ne faisons rien, ce sera encore pire. Je suis persuadé qu’en regroupant nos efforts, nous pouvons y arriver. Si je n’étais pas optimiste, je ne serais pas là.Quels autres projets comptez-vous mettre en place dans les années à venir à la Ligue contre le cancer ?L’un de mes rêves est de parvenir à créer des espaces, dans nos établissements et en ville, avec un ton neutre, des couleurs apaisées et une ambiance agréable qui seraient les mêmes partout. Le but serait que les gens puissent se dire “Ici, on oublie tout”. J’aimerais mettre à disposition des chariots contenant des éléments d’information et des tablettes à destination des patients dans les salles d’attente.Nous voulons aussi développer une offre de camionnettes pour se rendre dans les endroits reculés et défavorisés, afin d’informer les populations. Peut-être même, dans un deuxième temps, pour donner certains soins de support et de dépistage. Le but sera d’empêcher que les patients se retrouvent seuls et finissent par aller chercher des réponses n’importe où. Et bien sûr, nous allons continuer à proposer des soins de support gratuits aux personnes qui viennent nous voir – ce qui est possible grâce à nos généreux donateurs – et à financer la recherche, que nous soutenons à hauteur de plus de 40 millions par an.
Source link : https://www.lexpress.fr/sciences-sante/certains-ont-arrete-leur-traitement-la-ligue-contre-le-cancer-sattaque-aux-derives-sectaires-7JKKSFX4XNGTHEGUZWAPTRAJCA/
Author : Victor Garcia
Publish date : 2025-04-08 04:30:00
Copyright for syndicated content belongs to the linked Source.
Trending
- Trans activists slam ‘evil’ Supreme Court ruling on definition of woman that ‘put rights movement back 20 years’
- Exklusiv: Machtkampf im BSW: Jetzt greift Wagenknecht ein
- Frankreich und Algerien: Schwerste diplomatische Krise seit Jahrzehnten
- USA: US-Außenministerium schließt Büro gegen ausländische Desinformation
- „Die entführten Israelis sofort freilassen“ – Erneut Proteste gegen die Hamas in Gaza
- Trans-Feindlichkeit: Wie Trump das Leben meiner Tochter bedroht
- Disney’s ‘Snow White’ remake banned in Lebanon due to Israeli star Gal Gadot
- D.C., Commanders close to a stadium deal at RFK site
Wednesday, April 16