Cette fois, elle en était certaine. Certaine de toucher du doigt l’élection. Le parti était sur des rails. On écrivait depuis des mois la nouvelle légende de Marine Le Pen. Les cadres le juraient, la main sur le cœur : “Toute son attention est aujourd’hui tournée vers 2027.” On décrivait sa nouvelle vie d’ascète. Elle qui aimait toujours esquisser quelques pas de danse après des événements du parti rentrait désormais se coucher. D’ailleurs, elle ne buvait plus d’alcool. Et s’était remise au sport, avec son amie l’eurodéputée Catherine Griset. Les commentaires empreints d’une gravité plus ou moins feinte fusaient. “Elle travaille beaucoup”, “lit énormément” et “s’enferme chez elle, le soir, entourée d’une montagne de notes”.Marine Le Pen avait même réussi, à force, à apprivoiser un monde qui l’avait toujours reléguée aux marges. Elle s’en était approprié les règles. Etait sollicitée par des représentants de la droite, du gouvernement. Etait reçue par les ministres, et s’était prise au jeu d’appeler les uns, de sonder les autres. Lorsque Mayotte a été secouée par un puissant cyclone, elle a saisi son téléphone pour composer le numéro de Thierry Solère, son interlocuteur privilégié dans le cercle du président, et lui faire part de son mécontentement sur la façon dont le gouvernement gérait l’aide apportée.Elle n’était plus de ceux que l’on voit en cachette. Chez Laurent, restaurant parisien cossu du VIIIe arrondissement, on l’apercevait souvent, depuis des mois, accompagnée de politiques, d’hommes d’affaires. Il y a quelques semaines, c’est dans un hôtel de luxe en plein cœur de Paris qu’elle rencontrait un représentant de Thalès. Sa radioactivité s’était estompée. Même si persistait, toujours, ce sentiment d’être méprisée, cette impression de ne pas faire partie du même monde, et ce vorace besoin de reconnaissance.Paria et parangon de la démocratie à la foisLongtemps, elle a juré ne pas croire au scénario de l’exécution provisoire. Lundi 31 mars, le tribunal correctionnel de Paris lui a donné tort. Marine Le Pen a été déclarée coupable de détournement de fonds public, condamnée à quatre ans de prison (dont deux ferme, aménagés sous forme de détention électronique à domicile), 100 000 euros d’amende, et cinq ans d’inéligibilité assortis d’une exécution provisoire. Si elle conserve son mandat de députée, elle ne peut plus, pour l’heure, se porter candidate à une élection et pourrait donc être empêchée de se présenter à la présidentielle de 2027.”Incroyable…”, souffle-t-elle depuis le banc des accusés. Elle se lève et quitte la salle d’audience, sans attendre l’annonce complète de sa peine. Pas de réaction à chaud. Direction le siège du parti, pour une réunion de crise de plusieurs heures, entourée de ses proches tout aussi déboussolés, pour préparer son intervention au 20 Heures de TF1. “C’est une décision politique, s’emporte Marine Le Pen sur le plateau. Prononcée dans le but de m’empêcher de me présenter et d’être élue à l’élection présidentielle.” La ligne est fixée. Elle fera appel, “le plus rapidement possible”. Sans revenir sur les 4,5 millions d’euros d’argent public détournés par le parti, elle dénonce un “viol de l’Etat de droit”, et une “condamnation sans motivation” de la part de la présidente du tribunal.Si l’exécution provisoire de l’inéligibilité empêche la suspension de la peine, la Cour d’appel pourrait revenir sur le jugement du tribunal correctionnel. La décision n’est donc pas définitive. Il reste un chemin pour qu’elle puisse porter les couleurs du RN en 2027. Une ligne de crête, plutôt. Il faudrait pour cela que le procès en appel ait lieu avant l’élection, que la décision ne confirme pas l’exécution provisoire prononcée en première instance, et que la Cour de cassation, par la suite, ne rende pas son jugement avant l’élection présidentielle. Elle-même ne semble pas y croire. “Je suis éliminée, constate-t-elle sur le plateau de TF1 lundi soir. Mais ce sont des milliers de Français dont la voix est éliminée. Je n’ai pas confiance dans la date de l’appel, parce que ce n’est pas moi qui en ai la maîtrise. Il faut que la justice se hâte, mais il faut en général dix-huit mois à deux ans, il sera trop tard.”La revoici paria et en même temps parangon de la démocratie – elle, dans un parti dont certains voulaient l’interdiction. “Je suis scandalisée, je suis indignée, mais je ne suis pas démoralisée”, jure la députée du Pas-de-Calais. “Sa réaction, c’est un mélange de tristesse et de colère, pour une peine largement disproportionnée”, décrypte un proche. Les éléments de langage ont été distribués aux élus frontistes, répartis lundi soir sur les plateaux de télévision. Une position d’équilibriste, jonglant avec le populisme tout en semblant ménager l’Etat de droit. “Nous assistons à une dictature des juges. […] La France est sortie du processus démocratique”, a attaqué sur BFM la députée RN du Var Laure Lavalette. Jordan Bardella, quant à lui, a appelé à une mobilisation “populaire et pacifique” pour soutenir sa patronne.Dans la foulée du prononcé du jugement, Marine Le Pen a aussi bénéficié du soutien d’une internationale d’extrême droite, du Kremlin à Donald Trump, en passant par Viktor Orbán et Matteo Salvini. Premier à réagir, le Kremlin a déploré une “violation des normes démocratiques”, quand Donald Trump regrette que la “candidate en tête” soit “interdite de se présenter pendant cinq ans”. Les alliés hongrois et italien de la frontiste ont manifesté leur soutien, en tweetant respectivement “Je suis Marine” et “Je soutiens Marine”, utilisant la formulation mise à disposition par le parti, dans l’urgence, pour soutenir la députée condamnée.C’en est fini du tête haute, mains propres, vieux mantra paternel utilisé comme un étendard pour différencier le parti d’extrême droite du “système”. Longtemps, les Le Pen ont fait de la lutte contre la corruption des élus un élément de différenciation, ont demandé l’inéligibilité à vie de tout élu qui serait condamné par la justice.Son destin en questionEt maintenant ? Comment envisager la suite, pour Marine Le Pen, condamnée à naviguer entre deux eaux dans l’attente de son procès en appel ? “Il y a des millions de Français qui me font confiance, et je viens leur dire que ça fait trente ans que je me bats pour eux, que je vais continuer à le faire et que je le ferai jusqu’au bout.” Mais comment continuer, alors que chacune de ses actions politiques pourrait être frappée d’une date de péremption anticipée ? Comment préparer une campagne présidentielle sous la menace de se retrouver écartée à tout moment ? Comment, même, continuer de brandir la menace de la censure à l’Assemblée nationale, sachant qu’elle ne pourrait pas être candidate dans sa circonscription en cas de dissolution ? “Je crois, au contraire, que si elle pense que c’est le moment de voter une censure, elle le fera, encore plus par fierté, croit savoir un proche. Je ne la vois pas ne pas voter la censure pour rester députée deux mois de plus.”Quid de ses électeurs ? Au parti, on assure que la condamnation de Marine Le Pen va fédérer son cercle de soutiens, et fidéliser encore plus le vote frontiste. Radicaliser certains, peut-être. “Mais notre électorat de conquête, ceux venus de la droite, je ne suis pas certain que ce soit vraiment leur tasse de thé…”, grimace un élu.Reste l’hypothèse du plan B. Si la carte Bardella était allégrement brandie tant qu’elle restait conjecture, Marine Le Pen semble moins convaincue aujourd’hui. “Jordan Bardella est un atout formidable pour le mouvement, je le dis depuis longtemps. J’espère que nous n’aurons pas à user de cet atout plus tôt que nécessaire”, a-t-elle commenté dès lundi. Comprendre : le moment n’est pas venu de laisser la place. Peu importe que son destin politique soit contrarié et incertain, Marine Le Pen conserve la place du chef. D’autant que, selon un proche, les relations entre la patronne et son dauphin ne sont pas aussi roses qu’aux premiers jours. “Son émancipation sur la question économique l’a beaucoup agacée, j’ai senti poindre une vraie distance entre eux, assure ce dernier. Et surtout, elle a réalisé qu’il n’avait pas le niveau.”Le président du parti, pour l’heure, défend la cheffe de file. Jusqu’à quand ? “Si Marine Le Pen reste empêchée, il n’acceptera pas d’être relégué ad vitam aeternam au second plan”, assure un confident. “Loin de nous séparer, ce type de décision nous renforce […] et nous serons sur la grille de départ quelle qu’en soit la forme, et qu’elle qu’en soit la manière”, assure quant à lui l’eurodéputé dès le lendemain du jugement. Des sondages, déjà, ont commencé à tester la candidature de Jordan Bardella. On sait combien les chiffres montent à la tête. Et peuvent participer à inverser le rapport de force. L’entourage de la patronne, lui, feint encore le déni. “Il reste une chance. Les grandes épreuves forgent les grands destins”, philosophe un ami. S’agissant de son avenir, Marine Le Pen, héroïne de cette tragédie grecque, pourra toujours se reposer sur Racine, livrée en aveugle au destin qui l’entraîne.
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Author : Marylou Magal
Publish date : 2025-04-01 15:30:00
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Wednesday, April 2